On ne se sent pas bien dans le roman de Martín Kohan, Sciences morales. Aux côtés de María Teresa, on découvre le Colegio Nacional, jadis Collège des sciences morales, au cœur de Buenos Aires. Un endroit austère où règne une discipline très stricte que María Teresa, en tant que surveillante, est chargée de faire appliquer.
Les élèves ne semblent pas outre mesure indisciplinés, les quelques entorses au règlement ne sont que des cheveux trop longs de deux millimètres ou une paire de chaussettes en éponge plutôt qu’en nylon. Un jour pourtant, María Teresa détecte sur l’élève Baragli une odeur de tabac. Elle est dès lors persuadée que cet élève fume dans l’enceinte du collège, dans les toilettes précisément puisqu’il n’y a pas d’autre endroit possible. Surmontant ses principes et sa timidité, María Teresa décide de monter la garde dans les toilettes des garçons, jusqu’à démasquer le fumeur. Peut-être pourra-t-elle ainsi attirer l’attention de M. Biasutto, surveillant général…
Ce que Martín Kohan restitue parfaitement, c’est la pesanteur qui règne dans ce collège. Pour rien au monde un incident ne doit troubler « le règne souverain de la normalité ». Mais de quelle normalité s’agit-il ? Page après page, le lecteur s’interroge sur l’époque à laquelle se déroulent les faits racontés dans Sciences morales. Aucune indication n’est d’abord donnée, si ce n’est une alarme qui tout à coup déchire la tranquillité rigoureuse du collège et le frère de María Teresa mobilisé.
Il est bientôt évident que cette discipline et surtout une jeune femme comme María Teresa ne sont pas d’un temps de paix. Emprisonnée dans la rigueur, l’obéissance, la discipline subie jour après jour, María Teresa et le collège sont aux mains de la dictature militaire. Mais à la toute fin de cette dictature, quand la guerre des Malouines va en sonner le glas.
María Teresa, comme l’Argentine, se trouve à la croisée des chemins. Elle a vingt ans, ne sait rien des hommes quand elle décide de passer de longues heures dans les toilettes des garçons. Le moindre bruit sollicite son imagination, même si elle ne les comprend pas tous. Elle imagine les élèves urinant, tenant leur sexe dans leurs mains.
Elle en vient à penser que M. Biasutto s’intéresse à elle, puisqu’il l’invite à prendre un café. Et oui, il s’intéresse à elle, elle va malheureusement le comprendre.
María Teresa est comme son pays : elle a besoin d’un miracle pour sortir de la soumission, de la domination de quelques hommes sur sa vitalité et sa jeunesse. De la soumission aveugle et volontaire à des règles, de la brutalité de quelques-uns. Pour vivre sa jeunesse, tout simplement.
Sciences morales
Martín Kohan traduit de l’espagnol par Gabriel Iaculli
Seuil, 2010
ISBN : 978-2-02-097864-4 – 197 pages – 19.50 €
Ciencias morales, parution en Argentine : 2007
Une atmosphère sans doute un peu trop pesante pour moi.
Elle l’est en effet.
Comme Alex, j’ai l’impression que tout ça est trop sombre et glauque.
Très sombre oui, comme souvent les livres sur la dictature. Mais celui-là finit bien, au bon moment…
Une atmosphère pesante, sombre, glauque ?
Je note…
J’ai commencé, par bribes, à découvrir la littérature argentine, qui m’a l’air très riche. C’est l’occasion de continuer.
Oh oui. J’ai encore découvert d’autres auteurs au Salon du livre, certains sont traduits pour l’occasion : on a l’embarras du choix.