Le chemin du sacrifice de Fritz von Unruh

le chemin du sacrificeEn 1924, Maurice Martin du Gard dresse un portrait de Fritz von Unruh : « je ne pus me dérober à l’impression de force et de noblesse qui émanait de toute sa personne. Le beau uhlan ! Un front de marbre, de sereines épaules, une extrême politesse dans le geste ». C’est aussi le poète qu’il salue, l’écrivain qui s’est battu durant la Première Guerre mondiale. Parti vainqueur comme ses compatriotes, les horreurs de la guerre se sont chargées de le convertir au pacifisme.

Martin du Gard écrit aussi : « Il était absolument interdit de tenir un journal dans l’armée allemande », ce qui expliquerait pourquoi il existe aujourd’hui si peu de journaux allemands alors que les écrits de poilus français sont nombreux et divers.

Dans la préface au roman de Fritz von Unruh, Le chemin du sacrifice, Nicolas Beaupré ne confirme pas cette assertion qui reste à vérifier. Il explicite cependant très bien sa genèse : von Unruh se voit confier par l’état-major la rédaction d’une « chronique patriotique de la bataille de Verdun qui se profilait ». Le jeune homme semble en effet le rédacteur idéal, lui qui comme tous les membres masculins de sa famille est passé par une école militaire, mais a abandonné cette carrière pour se consacrer à l’art et à la littérature.

Le lecteur suit une escouade en chemin pour Verdun, cette bataille décisive qui doit emporter la victoire. Il s’agit d’une troupe d’assaut qui ne peut qu’attaquer ou mourir. Tous ont bien l’intention de rentrer sous peu à Berlin. A l’exaltation des uns s’opposent pourtant les doutes de certains.

Nulle vie n’a-t-elle de valeur ? Ne sommes-nous vraiment plus que de simples moyens ? Quel est le but ? Sur quelle base solide me reposer alors que tout vacille autour de moi ? Est-ce notre sang qui engendre ces ténèbres ?

Même si le texte qu’on lit aujourd’hui a été remanié plus tard, on imagine que le texte que von Unruh livra ne fut pas du goût de l’état-major puisqu’on ne lui commanda pas la suite. Censuré. Lui par contre l’écrivit : la tranchée, l’insupportable attente en raison d’un assaut toujours remis, et puis l’assaut enfin, la ruée vers l’ennemi. Von Unruh se fait parfois lyrique, on le devine fasciné par la violence qui saisit les hommes transformés en tueurs.

La hache de Hillbrand sifflait et cognait sans pitié pendant qu’il se frayait un passage à travers l’ennemi et les fourrés. Clemens, les nerfs tendus et beau comme une panthère aux muscles bandés, envoyait des grenades dans des amas bleus qui s’accrochaient de tous leurs yeux à leur destin. Il arc-boutait sa jambe gauche à s’en faire craquer les os du bassin, levait le bras droit comme s’il lançait le tonnerre de Dieu et renversait l’ultime résistance devant lui avec fulgurations et cris. Il avait atteint la deuxième tranchée.

Puis vient la mort, le sang, les tripes. Les doutes exprimés par von Unruh tout au long de ce chemin du sacrifice s’aiguisent définitivement sur les cadavres de ses camarades, sur l’injustice de la mort. Il n’en exalte pas moins l’héroïsme, qui justement coute la vie. Il y a du grandiose dans Le chemin du sacrifice, quelque chose de plus grand que l’homme que l’écrivain traduit par une exaltation mortifère. Une fois dans les tranchées, on est loin du style réaliste des classiques français sur le sujet qui s’attachent essentiellement au quotidien. Von Unruh se bat aussi avec les mots, les siens n’ont rien à voir avec l’argot des tranchées cher à ses contemporains français.

Le verbe sombre de von Unruh est accompagné par Vincent Vanoli qui en une quinzaine de dessins illustre l’absurdité, la rage et la mort d’un trait sinistre et noir. C’est cauchemardesque mais aussi très intense.

Nicolas Beaupré termine son introduction en expliquant que la bataille de Verdun fut pour Fritz von Unruh « son initiation à la paix et à la démocratie ». Il lui a fallu passer par la mort et par son écriture.

Thématique Première Guerre mondiale sur Tête de lecture

 

Le chemin du sacrifice

Fritz von Unruh traduit de l’allemand par Martine Rémon
La Dernière goutte, 2014
ISBN : 978-2-918619-18-5 – 239 – 19 €

Opfergang, parution originale : 1919

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