Alma est une jeune adolescente typique : en conflit avec la moitié du monde, ignorant l’autre, elle est intelligente mais peine à s’affirmer. Quand elle se décide à tirer la sonnette d’alarme en faisant une fugue, ce n’est que pour se cacher dans les chambres de bonne au-dessus de l‘appartement familial. C’est là pourtant, dans ces pièces qui servent d’entrepôts à bric-à-brac que la vie d’Alma va prendre une toute nouvelle direction…
Dans la pièce exiguë où la jeune fille se réfugie, il y a déjà quelqu’un : Bakary Sakoro. C’est un très vieux Noir qui ne se fait pas prier pour raconter sa vie à Alma, depuis les bords du Niger où il est né en 1898 jusqu’aux tranchées de Verdun et de la Somme. Car Bakary s’est enrôlé en 1914 pour se battre en France, mais aussi pour retrouver son frère engagé deux ans auparavant et dont la famille est sans nouvelles depuis le début de la guerre.
Il rencontre Jeanne à Fréjus pendant sa période d’entrainement, et les deux jeunes gens tombent amoureux l’un de l’autre. Rien ne sera simple pour ce couple qu’on dirait mixte aujourd’hui, mais les jeunes gens croient leur amour plus fort que toutes les conventions sociales, et surtout plus fort que la guerre. C’est que Bakary porte un talisman censé le protéger, « force noire », qui est aussi le surnom de son bataillon formé d’Africains : certainement un signe de la chance.
Et de la chance il en aura, venue seconder son courage et sa générosité. Car Bakary Sakoro est un héros au sens noble, un de ceux qui ne transigent pas avec leurs convictions et qui peuvent incarner bien des destins. Il a aussi des peurs et des faiblesses, ce qui le rend pleinement humain. On ne le suit que mieux dans son triste périple qui le voit affronter le froid, les obus, les officiers bornés, l’éloignement…
Et parce que la cette guerre nous concerne encore, nous les générations qui venons bien plus tard, des liens se créent entre le vieux Bakary et la jeune Alma, très sensible à ce récit. Comme le jeune lecteur, elle découvre bien des choses sur cette guerre concernant les troupes coloniales françaises. En ce sens, Guillaume Prévost remplit un des buts de ce genre de publication pour la jeunesse : instruire. Mais il n’oublie pas que c’est en divertissant qu’on instruit le mieux. Aussi, malgré son évidente gravité, Force noire ne néglige pas l’humour, grâce au personnage d’Alma qui ne manque ni d’aplomb, ni de répartie. Par exemple, parce qu’elle ne sait d’abord comment argumenter son devoir d’histoire intitulé « Le légionnaire et le Poilu : points communs et différences », elle songe à répondre : « On sait que pendant la guerre, les Poilus étaient légion, mais tous les légionnaires étaient-ils poilus ? »…
L’humour ne minimise pas le message, mais il retient le lecteur et emporte son adhésion. Bakary est bientôt aussi proche de lui que peut l’être Alma. Ainsi se tisse par-delà le temps un lien entre les jeunes générations et ceux qui vécurent l’enfer des tranchées dans les conditions les pires qui soient. Car ils durent en plus affronter le racisme et la bêtise qui peuvent blesser aussi durablement qu’un obus.
Thématique Première Guerre mondiale sur Tête de lecture
Force noire
Guillaume Prévost
Gallimard Jeunesse, 2014
ISBN : 978-2-07-066125-1 – 294 pages – 12.50€
L’auteur est agrégé d’histoire, c’est ça ? J’avais lu un de ses romans adultes sur les gueules cassées et c’était pas mal du tout.
Oui, c’est bien lui : pas un débutant 😉
Je l’ai vu chez ma libraire, mais j’ai hésité devant un petit coté eau de rose. Si elle l’a encore je feuilletterais mieux
Oh non, je n’ai pas senti d’eau de rose, tout ça est très naturel, bien amené, sans lourdeurs.
Un thème du racisme dans les tranchées qu’il est bon de rappeler.
Et qui a finalement peu été traité.