L’an passé, quand est paru Docteur Sleep, je me suis dit que ça devenait urgentissime de lire Shining. « Urgentissime » à mon rythme, ça fait un an… Comme beaucoup, j’ai vu et revu le film, et comme beaucoup, je savais que King n’en était pas complètement satisfait. J’ai essayé de lire en oubliant les images, c’est peine perdue : Jack Nicholson est Jack Torrance, il n’y a rien à faire contre ça, et au final, ça n’est pas plus mal.
Jack Torrance, c’est le père, celui qui arrive à l’hôtel Overlook, si sympa et souriant. Mais il y a un avant d’arriver. Un avant qui pèse de tout son poids de culpabilité mais aussi de révolte. Jack est un alcoolique violent, fils d’alcoolique violent. Frappé par un père qui s’en prenait à sa femme à coups de canne. Saoul lui-même, il a un jour frappé son fils au point de lui casser le bras. Et ça, Wendy ne peut pas l’oublier. Wendy Torrance, qui croit, le temps de quelques jours, avoir retrouvé son Jack qu’elle était sur le point de quitter.
C’est que le séjour dans les Rocheuses est propice au rapprochement des liens familiaux : plusieurs mois de neige sans pouvoir aller et venir ou ne serait-ce que joindre quelqu’un… Ne compter que les uns sur les autres. Avoir confiance en Jack qui ne boira plus, il l’a promis, de toute façon, il n’y a rien à boire à l’hôtel Overlook… Et Jack est là aussi pour finir sa pièce, celle qui confirmera son talent et lui évitera à l’avenir d’avoir à accepter des boulots de gardien comme celui-là…
Et Danny. Celui que ne fait pas de tricycle dans d’interminables couloirs à la moquette géométrique, qui ne voit pas le spectre de deux petites filles ni d’ascenseur gorgé de sang, qui ne parle même pas avec son doigt… mais qui bien sûr, a le Don, comme le comprend tout de suite Mr Hallorann, le cuisinier de l’Overlook, quand les Torrance débarquent le dernier jour de la saison. Autant qu’il peut, il prévient l’enfant : il verra des choses étranges, des choses que lui seul est capable de voir et d’entendre. Qu’il l’appelle, par le Don, en cas de danger : même en Floride il l’entendra tant son pouvoir est puissant.
Ce qui fait la force de Shining et qu’aucun film ne pourra restituer, c’est la densité des personnages. Jack Torrance, avant même d’arriver dans les Rocheuses, est un être tourmenté parce qu’il se sait médiocre, parce qu’il a été renvoyé de son poste d’enseignant. Un type qui voudrait être quelqu’un. Quand l’hôtel va commencer à se servir de lui, il sera une proie facile parce qu’il veut être Celui Qui. Sans doute aime-t-il son fils, mais il ne supporte pas qu’il lui vole la vedette, qu’il soit celui que l’hôtel réclame.
Au classique schéma de la maison hantée, King ajoute de puissants personnages, tout en interrogations, qui ne cessent d’évoluer, de lutter contre l’emprise du Mal (l’alcoolisme, la violence…). Le mal si beau et séduisant, s’incarne ici dans un magnifique hôtel dont le luxe cache les turpitudes. Il s’en prend aux faibles, manipule ceux que la vie n’a pas aguerri : les enfants et les artistes sont de ceux-là. C’est un thème qu’on retrouvera chez Stephen King, à l’orée de son œuvre quand il écrit Shining, en 1977.
Stephen King sur Tête de lecture.
Shining (Shining, 1977), Stephen King traduit de l’anglais (américain) par ? (mon édition ne mentionne pas le nom du traducteur !!), Librairie Générale Française (Le Livre de Poche n°15162), 2007, 574 pages, 7,60€