Tout le monde connaît l’affaire Dreyfus, tout le monde sait comment elle termine. Monter un suspens autour de cette histoire archiconnue relève donc du défi. Brillamment relevé par un Robert Harris qui signe ici un des meilleurs romans historiques de l’année.
Le centre du roman n’est pas Alfred Dreyfus, déporté sur son île pendant quatre cent cinquante pages sur quatre cent quatre-vingts, mais bien Georges Picquart. Il est alors le plus jeune lieutenant-colonel de l’armée française, très brillant et prometteur, qui devient chef de la section statistique en 1895, c’est-à-dire chef des services secrets du ministère de la Guerre. Dreyfus a déjà été condamné et déporté et Picquart est convaincu de sa culpabilité. On apprend d’ailleurs au fil du roman qu’il a connu le capitaine bien avant la scène qui ouvre le roman et qui décrit par ses yeux la dégradation militaire publique du condamné avant sa déportation.
Ce n’est que plus tard que Picquart se met à douter, quand il tombe sur un document écrit de la même main que celui qui a fait condamner Dreyfus : il est signé Esterhazy. Dès lors, Picquart enquête et cherche à persuader ses supérieurs que l’armée s’est rendue coupable d’une erreur et qu’un innocent subit le pire. Et surtout, qu’il y a moyen d’y remédier en revenant sur les preuves et déclarations. Mais l’armée ne l’entend pas ainsi. Il est sommé d’arrêter d’enquêter, ses découvertes le confirmant dans ses soupçons. Bientôt, on le nomme en Tunisie pour l’éloigner. Et ce n’est que le début car cet homme va tout perdre : sa vie intime mise en pâture, son honneur bafoué, il sera même rayé des cadres de l’armée. Mais rien n’y fera : il sait Dreyfus innocent et surtout il sait que les plus hauts officiers du pays conspirent pour cacher leur erreur.
C’est cet homme-là qui tient tout le roman et il est admirable. Jamais il ne transigera avec sa conscience, jamais il n’hésitera. Il n’agit même pas au nom de Dreyfus qu’il n’apprécie pas particulièrement, mais bien au nom du devoir et de la justice. Et le lecteur ne peut que se passionner pour le destin de ce grand homme finalement méconnu, tout autant que pour les manigances de l’armée française qui ne recule ni devant la violence ni devant le meurtre pour garder la tête haute. C’est de l’espionnage monté comme un thriller qui met au centre non pas une cause ou un ministère mais bien des hommes, et c’est la grande force de ce roman. Des ambitieux, des frustrés, des malins, des arrivistes, beaucoup d’hommes tout à fait méprisables mais aussi très humains. Avant d’être un grand scandale social et politique D de Robert Harris est surtout une passionnante histoire d’hommes, reconstituée à partir de monceaux d’archives et de documents (dont le fameux dossier secret) qui ne transparaissent jamais à la lecture.
Si d’aventure vous cherchez à savoir ce qu’est un homme d’honneur, au sens le plus noble du terme, lisez D de Robert Harris. Si vous voulez lire un roman passionnant, machiavélique, révoltant, lisez D de Robert Harris. L’auteur britannique tire le meilleur du matériau historique qu’il manie sans didactisme et coule dans le moule du romanesque sans que la rigueur ait à s’en plaindre. Un vrai bonheur de lecture…
Ce roman a été adapté au cinéma sous le titre J’Accuse par Roman Polanski.
Robert Harris sur Tête de lecture
D
Robert Harris traduit de l’anglais par Natalie Zimmermann
Plon, 2014
ISBN : 978-2-259-22043-9 – 486 pages – 22 €
An Officer and a Spy, parution en Grande-Bretagne : 2013
Moi qui cherchait un roman historique, merci Sandrine, c’est parfait !
Tu l’as trouvé ! 🙂
Impossible de résister à un tel billet ! et un homme d’honneur, de nos jours, c’est suffisamment rare pour que l’on saute dessus.
C’est un peu ringard aujourd’hui comme mot, mais vraiment cet homme-là le symbolise tellement…
Encore une tentation, malheur ! 😉
Ah non là je t’assure : rien que du bonheur !
Voilà qui tombe bien … je viens de m’acheter un nouveau carnet (tout rose avec un élastique pour qu’il reste bien fermé dans mon sac …) pour noter toutes mes tentations, ce titre va l’inaugurer !
En étrennant le nouveau carnet rose avec ce roman, tu le places sous d’excellents auspices pour toutes les pages suivantes !
T’inquiète, je suis convaincue!
(je t’ai envoyé un mail -refusé- pour te prévenir que j’ai lu le Biancarelli. Je te le renvoie?(j’ai ton adresse)
Mail refusé ? C’est bizarre ça… si tu fais un billet et qu’il suscite des envies, je ne suis pas contre le faire voyager.
Adresse têtedelecture, pourtant?
OK, le billet va venir et j’attends de voir
Je suis (évidemment) convaincue par ton billet. Je viens à l’instant de me l’acheter en anglais en numérique (il n’était pas cher du tout). Merci.
Merci de ta confiance ! Ne te plonge surtout pas dedans à la veille de Noël si tu veux faire honneur aux tiens, ou au moins acte de présence : il m’a tenue loin de tout pendant deux jours !
Robert Harris ne publie pas trop contrairement à d’autres qui s’évertuent à un livre par an, mais je ne me suis jamais ennuyé à le lire.
J’ai lu Fatherland il y a longtemps, qui m’avait plu. Mais D m’a tellement emballée que je pense lire d’autres romans historiques de Robert Harris, tous des pavés qui me semblent appétissants…
Je suis très tentée, mais il ne figure pas sur le catalogue de la bibliothèque, dommage
Change de bibliothèque ! 🙂
Quelle bonne idée : d’avoir changé d’avis à propos de » l’ affaire » . Je note immédiatement ce livre
Et d’être seul à changer d’avis, et certain d’avoir raison, d’agir au nom de la justice…
Oh qu’il me tente ce roman. Je sens que je vais m’offrir un cadeau pour les fêtes 😉
Se l’offrir, l’offrir : tout est possible car je suis certaine qu’il contentera tout lecteur.
J’ai une tante qui m’en a parlé, je l’avais noté sur ma LAL, je souligne donc !
Ta tante a très bon goût ,-)
Et bien ! voilà de quoi se ruer chez son libraire ! Ce que tu dis sur le sens de l’honneur me tente beaucoup…
J’espère que de très nombreux lecteurs le liront car je sais qu’ils en sortiront contents.
Je l’ai vu à la médiathèque et me demandais ce qu’il valait…c est bon, tu as répondu à mes interrogations 😉
Tu pourras l’emprunter sans hésitation la prochaine fois !
Tu m’intrigues !
Il faut donc que tu ailles y voir de plus près…