Henri Lehmann est un homme que l’Histoire a oublié. C’était pourtant un peintre apprécié, un compagnon agréable, un ami fidèle. Mais il vécut parmi ceux qui furent les premiers de leur siècle et son souvenir est entré dans l’ombre de Liszt, Chopin, Ingres et bien d’autres.
Lui-même naît et grandi en Allemagne dans un riche milieu artistique et intellectuel. D’abord élève de son père miniaturiste, il se rend à Paris où il entre dans l’atelier d’Ingres. En cette période artistique et politique charnière, la vie parisienne est agitée. Il fréquente les salons, fait connaissance avec de nombreux artistes. Avant de rejoindre son maître à Rome, il expose à Paris, obtient une médaille au Salon et devient un jeune homme à la mode avant même ses vingt ans. On apprécie sa peinture d’Histoire et ses scènes bibliques.
A Rome plus tard, il fréquente Ingres qui le considère comme son fils et se lie d’amitié avec Marie d’Agoult et Franz Liszt. Il est subjugué par ce couple, admire particulièrement la comtesse qui par amour a suscité le scandale en abandonnant son foyer, sa position sociale. Il devient un intime, leur fait visiter Rome, se trouve près d’eux pour partager la joie de la naissance de leur troisième enfant, un fils enfin après deux filles (la seconde deviendra Mme Wagner). Mais la liaison de ses deux grands est houleuse, Liszt voyage beaucoup, Marie est jalouse, difficile. Retour à Paris, disputes, séparation.
Henri rencontre plus ou moins furtivement tout ce qui compte alors dans le monde artistique et culturel. Il les croque comme ils sont, de véritables commères qui n’ont de cesse de s’évincer, de se faire valoir et de médire.
Si je rapporte ce tissu de ragots dont le premier suffirait à désoler l’âme la plus confiante dans la nature humaine, c’est moins pour nourrir la trame d’un récit qui ne se soutiendrait pas lui-même s’il n’était composé que des maigres péripéties de mon existence, que pour soumettre ma perplexité à la réflexion du lecteur. L’ignominie est-elle la rançon du génie ? Sa condition nécessaire ? Comment expliquer que ceux qui tiennent le premier rang parmi les hommes de leur temps se montrent si souvent amis ingrats, amants infidèles ou parents indignes ? […] Faut-il croire que les forces nécessaires à la fabrication d’un chef d’œuvre suffisent à assécher un cœur et à ruiner le bon sens utile à une conduite décente dans les rapports privés ?
De fait, les bons mots succèdent aux trahisons, pour le plus grand plaisir du lecteur qui voit ces grands esprits se conduire parfois, souvent comme des rustres.
Tous ceux qui s’intéressent à la peinture, la musique et la littérature du XIXe siècle apprécieront Les Premiers de leur siècle qui nous fait entrer dans les ateliers et dans l’intimité de nombreux artistes qui comptaient alors. Ce roman séduira également par la proximité qu’il installe entre ces illustres génies et le lecteur, par sa vivacité et son abordable érudition.
Les premiers de leur siècle
Christophe Bigot
La Martinière, 2015
ISBN : 978-2-7324-7009-2- 412 pages – 20,90 €
intéressant! Quelle époque…!
C’est une époque riche artistiquement parlant et bouleversée d’un point de vue politique : de quoi faire un bon roman.
le type même de roman que j’aime quand l’érudition comme tu le dis se fait légère
C’est souvent le problème avec les romans historiques : l’auteur en sait beaucoup et veut en dire beaucoup et ça peut être un brin lourd, voire pire. Ici tout est léger, comme une comédie, avec cependant quelques épisodes dramatiques.
Quand l’érudition se fait légère, j’apprécie. Et puis avec des sujets pareils, il a tout pour me plaire.
Littérature, musique, peinture : que demander de plus 🙂
je susi allée sur internet pour regarder ses tableaux.. disons que ce n’est pas vraiment mon genre! mais ce roman semble bien intéressant , allez dans la liste ….
Et moi je suis allée sur Internet pour vérifier s’il existait vraiment tellement je suis ignare en peinture…
Hou la la !!! que je voudrais le lire et dire qu’il n’est pas à la bibliothèque !!
Je te l’aurais volontiers prêté mais il n’est pas à moi, je dois le rendre (lu dans le cadre du comité de lecture pour le prix du roman historique des Rendez-Vous de l’Histoire de Blois)…