Ce sont des raisons géographiques qui font que l’histoire de Tönle vaut d’être racontée. S’il n’était né sur le plateau d’Asiago, Tönle aurait peut-être vécu la vie de tant d’autres Italiens miséreux. Mais voilà, le plateau occupe une place tout à fait particulière : longtemps partie de l’Autriche-Hongrie, elle appartient depuis 1866 à l’Italie naissante. L’Histoire de Tönle s’inscrit donc sous le signe du territoire, de la frontière et bientôt des combats. Texte d’autant plus précieux qu’il nous parvient peu de romans sur l’Italie en guerre.
Tönle se fait d’abord contrebandier, comme beaucoup sur le plateau d’Asiago : il passe des marchandises, en ramène d’autres, gagnant peu. Un jour, parce qu’il ne veut pas répondre à une sommation des douaniers, il en frappe un et s’enfuit. Il part loin, très loin parcourt l’Europe de l’Est, se faisant vendeur d’images, éleveur de chevaux… Il revient passer l’hiver chez lui, vivant caché depuis qu’il a été jugé par contumace et condamné à quatre ans de prison. Au printemps, il repart.
De même que certaines forces le poussaient à s’en aller au printemps, d’autres le faisaient revenir à la fin de l’automne. C’étaient des forces supérieures à n’importe quelle volonté, comme la succession des saisons, les migrations des oiseaux, le lever et le coucher du soleil, les phases de la lune.
Il est gracié en 1904, et de toute façon, il est désormais trop vieux pour parcourir le monde : il décide de s’occuper de son troupeau de moutons.
C’est donc en berger que la Première Guerre mondiale le surprend. Un mois après l’événement, il apprend l’assassinat de l’archiduc à Sarajevo, puis tout s’accélère. En mai 1915, l’Italie entre en guerre et Tönle du haut de la montagne entend les premiers bombardements, voit les éclairs des batteries. Deux de ses fils sont mobilisés (trois autres ont émigré aux États-Unis). Le village est évacué. Si Tönle fait partir sa famille, il décide de rester et se retrouve bientôt seul avec son chien et ses moutons.
La vie en partie aventureuse de cet homme pourrait se raconter sur des pages et des pages. Mario Rigoni Stern écrit à l’économie, sans psychologisme un court texte qui avant tout inscrit l’homme dans sa terre, proche des éléments : il a finalement autant à craindre des douaniers, des Autrichiens que des avalanches. Sur ce territoire à l’identité fluctuante, hommes et femmes vivent loin du nationalisme et sont pourtant soumis à la force brute d’une autorité nationale qui dicte sa loi. Cette violence de l’État sur l’humain se traduit par le surgissement de la guerre, venue d’ailleurs qui détruit sans raison valable pour eux les hommes et leur environnement.
Cette guerre-là va tout changer, de la liberté à l’enfermement, elle va mettre Tönle en cage. Elle viendra à bout du cerisier qui poussait envers et contre tout sur le toit de sa maison. Mais elle ne parviendra pas à éloigner définitivement Tönle de son plateau d’Asiago : il reviendra y mourir.
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Histoire de Tönle
Mario Rigoni Stern traduite de l’italien par Claude Ambroise et Sabina Zanon Dal Bo
Verdier (Terra d’altri), 1988
ISBN : 2-86432-068-1 – 124 pages – épuisé dans cette édition
Storia di Tönle, parution en Italie : 1978
Le premier de l’auteur que j’ai lu et j’ai adoré. Me reste encore plein de souvenirs et notamment l’image du cerisier qui a poussé sur le toit d’une cabane (il me semble que c’est dans ce livre)
Oui tout à fait, et c’est une très belle image que celle de cette nature qui se développe malgré les hommes.
Rigoni Stern est un de mes écrivains préférés ! quel homme !
C’est vrai ?! C’est un écrivain dont on parle peu. A la bibliothèque de ma ville, tous ses livres sont en réserve, ça veut quasi dire en sursis avant le prochain désherbage (qui se conclut par une vente de livres à petits prix que je ne manque jamais !).
Je suis très tentée par ce livre et par ce que tu en dis
je me souviens d « Eva dort » au sujet des régions italiennes qui ont changé de nationalité , que de souffrance, je note ce titre de cet auteur que je ne connaissais pas.
De Francesca Melandri : je crois que c’est grâce à toi que j’ai noté ce titre dans ma LAL.
A R. il n’est pas en réserve (ouf!) Il écrit des bouquins parfois plus ‘nature’ alors je me promets de le lire… (un jour)
On en parle peu mais il a ses fidèles!!!
L’image du cerisier me parle énormément. Pas certaine que ce soit pour moi, ceci dit… je vais aller vérifier ça de plus près!
Tu pourras vérifier en lui consacrant juste quelques heures : ce n’est pas un gros livre 😉
Je ne connais pas cet auteur, tu donnes envie de le découvrir
C’est un auteur majeur de la littérature italienne que je suis ravie de te faire découvrir.
J’ai lu un article je crois sur ce roman, qui est donc noté et bien noté.
Il ne te reste plus qu’à mettre la main dessus, pas forcément évident, il faut avoir une bonne bibliothèque à proximité.
J’aime beaucoup Mario Rigoni Stern que je relis souvent.
Bon dimanche.
J’aime énormément ouvrages. MRS dont j’ai lu cinq ou six ouvrages.
Je n’ai lu que ce titre, dans le cadre de mes lectures sur la Première Guerre mondiale, je connais donc mal l’auteur…