Dans ce recueil de nouvelles, Mircea Cartarescu nous dit moins pourquoi nous aimons les femmes (ou plutôt pourquoi vous, hommes et poètes, aimez les femmes), que comment lui les aime. En homme et en poète.
A travers ces courts textes, l’écrivain roumain semble se confier, murmurant à l’oreille de ses lectrices quelques secrets que parfois même, il finit par ne pas avouer. Ainsi apprennent-elles qu’il dut attendre vingt-quatre ans pour perdre sa virginité, de surcroît dans une odeur de ragoût. Mais elles ne sauront jamais quel objet ne quitte jamais son bureau d’écrivain : procédé malin qui permet d’imaginer le plus fantasque ou le plus licencieux des fétiches.
Car Mircea Cartarescu ne quitte que rarement un ton malicieux, qui tourne même parfois à l’autodérision : il a été cet adolescent idiot qui soupesait les femmes du regard comme un boucher la viande, celui qui a préféré passer au large des prostituées d’Amsterdam et refuser l’aguichante proposition de son couple d’amis adeptes de la pluralité.
Ce recueil illustre à bien des égards ce que certains appellent le mystère féminin. Certaines femmes apparaissent et disparaissent comme des fantômes, d’autres sont si inquiétantes qu’elles ne sont plus que des créatures (comme la naine du musée de Turin), il y en a même une, une enfant, pour le guérir d’une possible tuberculose. Car oui, n’en doutons pas, le salut des hommes vient des femmes.
Les hommes ont le cerveau imprégné d’hormones. Le plus distingué des intellectuels n’est pas autrement. Lui aussi, à tout âge, il s’imagine comment il s’y prendrait avec la fille maussade et inconnue qui se trouve là.
Ce Mircea fait souvent figure d’ingénu face au sexe, non par pudibonderie ou par timidité mais quasi par idéal. Il n’est jamais plus émouvant que quand il chante la fidélité conjugale et se fait juste un peu trop insistant quand il décrit « la bombe en or ». Il se présente comme un grand amoureux, un admirateur et un observateur bienveillant. La femme est son registre, voire même l’éternel féminin comme disent les poètes.
Mircea Cartarescu se plait à prendre cette posture de poète qui regarde le monde, s’interroge sur le bonheur. Il n’avait pas cinquante ans à la publication de ce recueil mais il adopte la posture du vieux sage. A l’évidence il joue de sa naïveté passée, si tant est qu’elle ait existé, qu’elle ne soit pas un pur artifice littéraire. Car enfin, comment ne pas sourire à la litanie qui répond à la démonstration annoncée par le titre :
Parce qu’elles ne sentent pas la transpiration ou le mauvais tabac…[…]. Parce qu’elles dépassent avec un courage surprenant toutes les servitudes de leur anatomie délicate. […]. Parce qu’elles conduisent prudemment des voitures astiquées comme des bonbons […]. Parce que la plus âpre des businesswomen porte des culottes aux tendres fleurettes et dentelles…
Toutes celles qui sont gaulées comme des porte-manteaux ou des rugbymen, conduisent des taudis sur roues emballées dans des sacs à patates s’y reconnaîtront…
Pourquoi nous aimons les femmes
Mircea Cartarescu traduit du roumain par Laure Hinckel
Denoël (Denoël & d’Ailleurs), 2008
ISBN : 978-2-20725958-0 – 206 pages – 12 €
De ce iubim femeile, parution en Roumanie : 2004
Tiens tiens…
J’aime le passage sur les voitures… (la mienne n’a jamais connu l’aspirateur, pfff)
Cet extrait est tiré de la nouvelle qui clôture le recueil, porte son titre mais ne me semble pas la meilleure : exagérément idéaliste et romantique…
Arf ! Tu cites la seule nouvelle que je n’ai pas aimé ! Dommage qu’elle clôture le recueil, je te l’accorde…
Tout de même, je te trouve trop dure : « les femmes gaulées comme un porte-manteau conduisant un taudis » sont aussi des femmes désirées et aimées – sauf atroce manque de bol – et je crois que si leur homme n’aurait pas parlé de leur style vestimentaire, de leur taille empâtée ni de leur voiture, il pourrait tout de même parler d’elle avec délicatesse (de leurs yeux, de leur voix, d’une expression, d’une manière de faire, etc.) … non ?
Arf, je suis une grande romantique, on ne se refait pas. 😉
Mais oui, mais oui : c’est exactement ce que je veux dire (mais maladroitement…) : les femmes dont Cartarescu parle ici semblent être sorties de ses rêves, de magazines, de belles images. Où sont les autres, celles qui portent moustaches et puent des pieds ? 🙂 C’est ce que je lui reproche un peu, cette idéalisation romantique : on peut être très mal carrossée et être aimée très fort, on peut être laide et être chantée par des poètes… D’ailleurs, la nouvelle sur la femme naine dans le musée italien me semble symptomatique : il ne sait pas « quoi faire » de cette femme qui ne correspond à aucun de ses critères…
Ce serait intéressant de lire le pendant de ce livre : Pourquoi nous aimons les hommes… Mais peut-être allons-nous devoir l’écrire nous-mêmes? 🙂
Allez vas-y, lance-toi !
Je suis curieuse de découvrir cette émission sur les écrivains roumains contemporains. J’avoue que je ne les connais pas ..
Moi aussi, j’ai tout à apprendre…
Je lis « le paradis des femmes »‘ d’ali Bécheur, alors, je vais attendre un peu pour lire un nouvel opus sur nous
Encore un titre qui promet beaucoup : j’espère que tu nous en parleras.
Amusant que Moglug et toi ayez choisi à nouveau le même livre. Intéressant par ailleurs d’avoir vos 2 points de vue. Je note ce livre pour une de mes prochaines lectures.
Oui c’est drôle, on ne se concerte pourtant pas. J’aime bien confronter nos points de vue, assez différents pour ce titre-là…
en lisant ton billet je pensais à « l’éloge des femmes mûres » d’Andras Vajda , livre qui m’avait beaucoup plu à l’époque , est ce que les gens du centre de l’Europe sauraient mieux que d’autres parler de la sexualité féminine?
Je ne trouve pas justement que Cartarescu parle des femmes… elles sont bien le sujet, mais je trouve qu’il parle aussi beaucoup de SA façon d’envisager les femmes, de lui, mais peut-être est-ce difficile d’envisager les choses autrement…
J’ai tendance à me méfier des généralités sur les femmes, surtout vues par un homme. Le seul que je tolère dans ce genre c’est Brassens 😉
Mais si l’on a manqué sa vie
On songe avec un peu d’envie
A tous ces bonheurs entrevus
Aux baisers qu’on n’osa pas prendre
Aux coeurs qui doivent vous attendre
Aux yeux qu’on n’a jamais revus…
Qu’il parle d’emmerderesse, de filles de joies ou de femmes callipyge, il parvient toujours à m’émouvoir ou me faire rire. Je lui pardonne donc sa tendre misogynie 😉