Il pleut des mains sur le Congo de Marc Wiltz

Il pleut des mains sur le Congo« Les morts du Congo, victimes de Léopold II roi des Belges, ont disparu sans laisser de traces. Ils se sont littéralement volatilisés. »

Entre 1885 et 1908, Léopold II roi des Belges a organisé le massacre de la population congolaise et le pillage des ressources du pays pour son compte personnel. Cette histoire est aujourd’hui largement oubliée, même si quelques textes surgissent pour raviver ponctuellement les mémoires. Pourtant, au moment même où ces crimes ont été commis, des hommes se sont indignés, ont témoigné et lutté contre ce pouvoir royal et meurtrier, contre ce roi chrétien et sanguinaire qui organisa sa défense dans le monde entier à grand renfort de propagande.

Avec leur bonne conscience civilisatrice (combattre la traite des Noirs et abolir l’esclavage des Arabes), quatorze pays européens se partagent l’Afrique en 1885 à Berlin : Léopold II remporte une grosse part du gâteau : deux millions et demi de kilomètres carrés. Sur ce territoire grand comme quatre-vingts fois la Belgique, il se réserve la jouissance d’un « Domaine de la Couronne » privé (huit fois la Belgique). Une bonne affaire, une excellente affaire même puisque qu’il va pouvoir bénéficier dans un premier temps de l’ivoire congolais, et ensuite du boom mondial du caoutchouc grâce à l’apparition du pneu gonflable inventé par Dunlop en 1888.

Conférence de Berlin 1885

Henry Morton Stanley
Henry Morton Stanley

En 1871, Henry Morton Stanley (1841-1904), un journaliste gallois de vingt-sept ans, part à la recherche de David Livingstone, lui même parti en quête des sources du Nil en 1865. Il est alors correspondant de presse pour le New York Herald, et déjà un aventurier. Il quitte Zanzibar avec près de deux cents hommes, s’enfonce en Afrique centrale et retrouve effectivement Livingstone. Il continue son exploration du continent noir, le traverse d’est en ouest mais garde un intérêt tout particulier pour le Congo. Il a des projets démesurés pour ce pays dont il flaire le potentiel.
Il doit faire vite car sur la rive nord du fleuve un certain Pietro Savorgnan di Brazza (1852-1905) marque des points et balise un territoire pour le compte de la France. Mais en Europe, les grandes puissances refusent leur aide financière à Stanley. Il se tourne alors vers le roi des Belges qui finance son chemin de fer de brousse mais lui demande d’y bâtir un État, le plus vaste possible. Puis des officiers de l’armée belge et des administrateurs civils prennent le relais de Stanley, de jeunes intrépides s’engagent au service du roi.

Les témoignages sur la façon dont le roi des Belges a administré ce domaine sont nombreux. L’un des tout premiers vient d’un Noir américain, George Washington Williams. Depuis les États-Unis, il a rêvé une terre pour ses frères, un retour au pays. Il s’en va donc visiter le Congo auquel la conférence de Berlin avait promis de « développer harmonieusement le commerce, interdire l’alcool, abolir l’esclavage, instruire et soigner » : un paradis pour tous les Noirs américains opprimés. Dès son retour, il dénonce la mise en esclavage des populations noires, la violence faite aux autochtones, le non respect des promesses de la conférence de Berlin. « Tromperie, fraude, vol, incendie, assassinat, mutilation et  razzia sont les seuls instruments politiques de Léopold« .

En 1890, Joseph Conrad (1857-1924) nouvellement naturalisé britannique travaille pour le compte de l’État indépendant du Congo. Il racontera son périple dix ans plus tard dans Au coeur des ténèbres. Parti à la recherche d’un officier disparu en forêt, il le traque de longues semaines avant de le ramener mourant, avec son butin d’ivoire.

Autre témoignage, celui de Roger Casement (dont Mario Vargas Llosa a écrit une superbe biographie), devenu consul de Grande-Bretagne au Congo après y avoir passé de nombreuses années, certaines aux côtés de Stanley. Son rapport de 1903 est accablant et constate la terreur des populations (pour celles qui n’ont pas encore complètement disparu), la famine, les estropiés. Il témoigne sur les meurtres, mutilations et viols innombrables. « Il y est expressément mentionné que ces actes barbares et ces atrocités sont commis au nom du roi par des fonctionnaires blancs : les agents du gouvernement, les employés des principales compagnies commerciales qui exploitent les richesses du pays et le mettent en coupe réglée, les officiers de la Force publique […], tous les sujets de la couronne de Belgique, avec l’aide des miliciens noirs recrutés à cet effet. » Ce rapport est publié sous une forme édulcorée. Il scandalise, mais rien n’est fait sur le point politique. En 1904, Casement s’associe au journaliste britannique d’investigation Edmund Dene Morel (1873-1924) au sein de la Congo Reform Association qui travaille à dénoncer et à lutter contre les exactions commises au nom du roi des Belges. Elle est rapidement active, de nombreuses personnalités éminentes rejoignent sa cause : Mark Twain (1835-1910) deviendra vice-président de la branche américaine et publiera Le soliloque du roi Léopold en 1905, Arthur Conan Doyle (1859-1930) les rejoint également et publie Le crime du Congo belge en 1909 qui fait figure de réquisitoire implacable. Morel publie en 1905 un pamphlet :

N’est-il pas extraordinaire qu’au début du XXe siècle de l’ère chrétienne, le commerce d’esclaves africains tourne à plein sur le Congo, avec Anvers et Bruxelles comme centres organisateurs ; avec un monarque européen comme responsable suprême ; avec des dignitaires de la cour et des laquais, des sénateurs et des barons partageant cette responsabilité ; avec des cardinaux et des évêques, des politiciens et des journalistes le défendant ?

La pression internationale s’accentue autour de Léopold qui cèdera en 1908 son Domaine personnel à la couronne. Il n’est pourtant alors jamais question, parmi les opposants de plus en plus nombreux au vieux roi, de remettre en cause les vertus du colonialisme, encore moins la supériorité de la race blanche sur toutes les autres.

Et Marc Wiltz de s’interroger : pourquoi Léopold « est-il resté un personnage positif dans l’imagerie populaire ? Pourquoi les qualificatifs de philanthrope et de bienfaiteur de l’Afrique sont-ils restés collés à son uniforme ? » On le disait humaniste à l’époque, et les Belges ses sujets respectaient par trop la couronne et la famille royale pour s’inquiéter des dénonciations. Pourquoi aussi un tel « oubli » ? Pourquoi alors qu’il existe de nombreux témoignages et documents, les crimes du roi des Belges au Congo restent-ils aussi méconnus ?

L’auteur n’oublie pas pour autant de rappeler comment la France a elle aussi dépecé la partie du Congo qu’elle administrait. André Gide (1869-1951) avait déjà dénoncé les ravages des compagnies concessionnaires et résumait lucidement l’attitude des Européens face aux populations locales :

Moins le Blanc est intelligent, plus le Noir lui paraît bête.

Marc Wiltz suggère enfin qu’on débaptise places et rues qui portent le nom du roi infâme et pourquoi pas qu’on déboulonne sa majestueuse statut équestre qui trône au coeur de Bruxelles.

Il pleut des mains sur le Congo

Marc Wiltz
Magellan & Cie (Je est ailleurs), 2015
ISBN : 978-2-35074-311-0 – 188 pages – 15 €

23 commentaires sur “Il pleut des mains sur le Congo de Marc Wiltz

  1. C’est vraiment l’horrible mouton noir de la dynastie belge, Léopold II. On a longtemps occulté cette gestion du Congo dans les livres d’histoire (quand j’étais gamine, le Congo était à peine indépendant et on parlait toujours de la colonie et de l’aura de Léopold II) En même temps, il a contribué à l’embellissement et à la renommée de certains lieux comme Ostende ou Spa…

    1. Aucun pays ne peut parler à chaud des bourreaux de son histoire : il faut du temps pour ça. Et je ne doute pas du versant philanthrope de celui-là, vu tout l’argent amassé grâce au pillage congolais…

  2. Encore une horreur, je me demande si cette partie du continent africain est le résultat de cette colonisation. Car dans l’ex-congo, les crimes ne se sont pas arrêtés à la colonisation. Ils durent encore! mais l’administration belge en porte peut être une part de responsabilité. Et une petite question : il s’agit d’un documentaire ou de plusieurs livres écrits sur le sujet? tu parle speu du style , c’est bien écrit?

    1. Je pense que Marc Wiltz a consulté les textes écrits par les différents auteurs cités ainsi que des textes sur eux (des biographies par exemple) : ce texte est une synthèse qui les présente tous, qui explique leur engagement et leurs actions (j’aurais aimé une bibliographie en fin d’ouvrage). Il ne décrit pas par le menu ce qui s’est passé là-bas.
      De ce fait, le style est simple, et se fait parfois vindicatif, voire polémique sur la fin.

    1. Oui, tout à fait le genre de livre qui fait prendre conscience d’un fait historique largement oublié (voire occulté) aujourd’hui.

  3. C’est une partie de l’histoire que je connais peu, on a déjà du mal à regarder nos propres turpitudes, alors celles du Roi des voisins … c’est curieux en effet qu’il ait encore une telle image, après tant d’années écoulées.

    1. Il me semble important que chaque pays règle ses comptes avec son passé. Il a fallu des écrivains pour que la Belgique prenne conscience de ce qui se passait, il en faut aujourd’hui pour que nous sachions tous ce qui s’est passé, même si ce n’est pas notre pays. Parce que notre passé colonial n’est pas reluisant ; parce que nous devrions nous sentir plus Congolais aux mains coupées… parce que ce sont des hommes qui ont fait ça à d’autres hommes il n’y a pas si longtemps…

  4. ça fait quelques années qu’on parle de cette partie de l’histoire de la Belgique et de ce roi, mais j’imagine que comme en France, en Belgique on a longtemps gommé ses actions franchement sales au profit de ce qu’il a fait de bien pour son pays

    1. Oui c’est évident, on n’a pas envie de mettre le nez dans ce passé-là, celui qui ne passe pas. Ce qui doit d’autant plus motiver ce qui connaissent le sujet à le déballer…

  5. J’arrive un peu tard dans la discussion, mais pour ceux que le sujet intéresse, il y a un très court récit de Vuillard « Congo » qui est sûrement moins documenté que ce titre, mais qui est assez polémique également ( et éclairant). Pour celui-ci, le mélange des genres ne gêne un peu.

    1. Merci pour ce conseil. Je n’ai pas encore découvert cet auteur, à tort, j’ai d’ailleurs un de ses romans sur mes étagères.

  6. Mon post devrait bientot paraitre, mais ce livre est une bonne approche de l’ensemble des ecrivains ayant parlé du sujet. Pour le theme, le livre de Hochschild( les fantomes du roi leopold) reste à mon avis le meilleur du lot, plus que celui de Van Reybrouck. Sans compter que Marc Wiltz est un monsieur tout à fait charmant et sympathique.

    1. Oui, j’ai noté ce livre de Hochschild que je lirai. Quant à moi si ce n’est fait, je te conseille la biographie de Casement par Vargas Llosa.

  7. Les livres d’aujourd’hui ne font que répéter les livres parus à l’époque du moins, les livres à charge. Les livres à décharge sont totalement gommés alors que tous leurs auteurs ont été voir sur place ce qu’il en était. L’espérance de vie pour un Congolais à l’époque est de 38 ans et la trypanosomiase en tue 80% entre 1896 et 1906. L’honnêteté intellectuelle c’est de lire tout.

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