Où il est question d’un universitaire, critique d’art, en longue résidence à Berlin avec sa famille pour écrire un essai sur les relations entre art et pouvoir politique. Voilà un roman qui pourrait s’avérer austère si cette histoire ne nous était racontée par un Jean-Philippe Toussaint malicieux voire farfelu. C’est que notre universitaire n’est pas vraiment à sa thèse. Après l’ultime étape du Tour de France, il décide de ne plus regarder la télévision. Lui, spécialiste des images, décide que c’en est trop et qu’il est temps d’en finir elle et lui puisque ces derniers temps elle prend de plus en plus de place dans sa vie. Et de toute façon, il n’est nullement dépendant.
Oui mais voilà. Depuis que c’est fini entre eux, il la voit partout et il parle d’elle à tout le monde. Tout le monde, ça ne fait pas grand monde cependant puisque notre homme est seul dans son appartement depuis le départ de sa femme et de son fils en vacances, qu’il ne fréquente quasi personne, évite même les autres. Mais il communique sa décision par téléphone à sa femme qui s’en fiche, et à son ami John qui lui de toute façon n’a pas la télé.
Très bien, puisque personne ne veut lui parler, il va nettoyer les vitres (pour avoir une meilleure vision du monde, c’est essentiel…) et que voit-il par la fenêtre ? Des gens qui regardent la télé. Il part en promenade et que voit-il dans les devantures des magasins ? Des télés. Pas seulement cependant car il ne tarde pas à avoir des hallucinations, ou peu s’en faut. Son ami John ressemble tout à coup à la Joconde, les baigneuses sont comme autant de femmes de Cranach et son lit, jonché d’emballages de cookies lui rappelle un lac parsemé de nénuphars. Il est largement temps qu’il se remette à la télé, beaucoup moins nocive que ses élucubrations sur la subordination du pouvoir à l’image.
D’ailleurs c’est bien simple, il n’a pas écrit un mot de son essai pendant deux mois. Il n’a pas été non plus capable d’arroser les plantes des voisins, ni même d’affronter leur retour. Tout centré sur sa petite personne, très satisfait de lui notre narrateur s’écoute et se félicite avec une autosuffisante réjouissante.
Je me débrouillais très bien tout seul, finalement : même un suppositoire, peut-être, j’aurais pu essayer de le mettre tout seul, dans le pire des cas. Ne dramatisons pas, il ne s’agissait que d’un coup de soleil. Je quittais l’appartement, songeur, après m’être assuré que j’avais ma clef et de l’argent sur moi (quel tempérament inquiet), et je commençais à descendre tranquillement les escaliers. Je portais une veste légère, et j’avais agrémenté ce soir mes chaussures bateau, qui se portent en général les pieds nus, d’une paire de chaussettes blanches afin de leur donner une petite touche de couleur locale. Je devais faire tout à fait Berlinois à présent.
Et tout à fait idiot, surtout quand il se retrouve à poil dans un parc. Si l’on ajoute à ça qu’il ne comprend pas bien la langue allemande, on se dit que ce pantin ridicule cherche à jouer un rôle qui n’est pas le sien, celui de l’intellectuel qui réfléchit sur le monde. Sauf qu’il ne réfléchit à rien d’autre qu’à lui. S’il ne passe pas pour un ennuyeux pédant, c’est que la constante ironie de Jean-Philippe Toussaint permet au lecteur un recul salutaire d’où nait l’humour. Il est aussi réjouissant de se perdre dans un luxe de petits détails souvent drôles par leur accumulation maniaque.
Et pendant que le critique d’art fait des brasses dans la piscine, c’est l’écrivain qui réfléchit sur la présence de l’image dans nos sociétés modernes…
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La Télévision
Jean-Philippe Toussaint
Minuit, 1997
ISBN : 2-7073-1582-6 – 269 pages – 22,30 €
Un très bon roman d’un très bon écrivain, tout simplement. Mais il est tellement discret (dans mon esprit) que malheureusement j’oublie trop souvent d’aller chercher ses romans en bibliothèque… J’ai honte d’écrire cela mais c’est la triste vérité.
Il publie Le footballen cette rentrée. J’imagine que ça parle de foot, mais sait-on jamais…
Ca a l’air assez étrange comme narration….
C’est assez décalé mais très plaisant.
Ma seule tentative de lire l’auteur s’est soldée par un échec (ennui) mais je ne lâche pas l’affaire comme ça! Ce titre, peut être?
Ce titre-là n’est pas ennuyeux du tout. En vérité, je ne pensais pas que cet auteur avait autant d’humour, je le pensais bien plus austère…
Mmmmh d’un côté c’est tentant, de l’autre je deviens frileuse avec Toussaint. Tu dis qu’il réussit encore à mettre son personnage à poil dans une situation où il ne devrait pas l’être ? Si tu savais le nombre de fois où Marie oublie de s’habiller dans La vérité sur Marie…. rien que ça, ça en devient grotesque… Décidément, JP Toussaint est sans doute un auteur intéressant, mais qu’est-ce qu’il m’agace !!
Cet homme a peut-être des désirs exhibitionnistes qu’il exorcise dans ses romans, va savoir. Il ne m’a pas agacée en tout cas au contraire, voilà une très bonne découverte : je croyais que c’était un auteur Télérama, genre jus de cerveau, mais c’est en fait bien plus drôle que ça.
Je confirme pour l’exhibitionnisme ! 😉
Voilà qui est fort tentant,il me semble que j’ai déjà lu quelque-chose de L’auteur qui m’avait plu mais la tout de suite, je ne me souviens pas de quoi si tant est que je ne confonde pas 😀 foutue mémoire 🙂
C’est pareil pour moi parfois et heureusement que mes blogs sont là pour me rappeler certains livres!
C’est un auteur qui ne m’attire pas tellement, mais j’ai peut-être tort. J’ai enregistré l’émission d’hier soir, ce sera l’occasion de lui donner une petite chance.
Je n’étais pas spécialement attirée non plus, depuis le temps que j’entends parler de lui, mais la découverte fut bonne. Je souhaite qu’il en soit de même pour toi.
Je suis retournée sur mon blog pour retrouver un livre que j’avais lu de lui, mais je ne l’avais pas chroniqué, ma mémoire est évidemment insuffisante pour me souvenir . Il me reste à lire celui dont tu parles pour me faire une opinion
On dirait que l’auteur ne marque pas durablement les mémoires…
J’ai souvenir d’avoir avec ce titre passé un bon moment, grâce au ton drôle et léger qu’y emploie l’auteur … et j’ai l’impression que toi aussi !
Oui, et comme je m’attendais à plus austère, j’ai été agréablement surprise.
je n’ai pas encore découvert cet auteur non plus, tu m’intrigues avec ce titre!
Eh bien c’est un auteur que j’ai découvert avec plaisir, mais je ne sais pas si tous ses titres ont ce ton humoristique.
J’ai tenté de lire l’auteur avec La salle de bains que j’ai abandonné en cours de lecture. Il va peut-être falloir que je lui donne une autre chance.
J’étais allée voir certaines chroniques ici et là avant de choisir parmi les ouvrages disponibles à la bibliothèque et La salle de bain en a ennuyé plus d’un…
Ah en voilà un français que j’aime bien! Découvert il n’y a pas si longtemps avec le cycle de Marie et le livre de son expo au Louvre. Très belle écriture, je trouve.
Ah oui mais lui, il n’est pas Français 🙂
Je l’ai découvert il y a deux ans (je suis retourné voir sur mon blog, comme quoi ça sert)avec La salle de bain et j’ai enchaîné avec d’autres titres dont trois volumes de sa quadrilogie (?) sur Marie… Je me régale à chaque fois, un plaisir renouvelé dès que j’ouvre l’un de ses livres (Monsieur, est mon préféré). Je n’ai pas lu La télévision, mais je pense que je vais tenter de le trouver… Quant à son dernier Football, étant donné mon peu d’attrait pour ce sport (c’est peu dire), je vais d’abord voir comment il en parle…
J’ai idée que le foot est surtout un prétexte… pas lu grand chose sur le sujet pour l’instant.