Moura la mémoire incendiée d’Alexandra Lapierre

mouraConnaissez-vous Maria Zakrevskaïa, madame Beckendorff ou encore la baronne Budberg ? Je gage que non et pourtant, ces femmes n’en sont qu’une (que nous appellerons Moura pour plus de commodités…) et elle a traversé le XXe siècle au rythme d’une vie étonnante. Aventurière sans aucun doute, peut-être espionne, grande amoureuse et menteuse experte, cette aristocrate née en Ukraine attendait sa biographie qu’Alexandra Lapierre romance en connaisseuse.

Moura naît en Ukraine à la fin du XIXe siècle. Fille de Son Excellence le sénateur Zakrevski et de Sa Haute Noblesse Maria Nicolaïevna, son destin est tout tracé : elle épousera un autre aristocrate, aura des enfants et fréquentera les grandes familles. Mais voilà que la Première Guerre mondiale et la révolution russe en décident autrement. Si elle épouse bien un noble, de surcroît par amour, la révolution fera d’elle une jeune veuve et lui fera découvrir la passion en la personne d’un agent secret britannique nommé Lockhart.

Cet homme la précipite dans l’Histoire puisqu’il vient en Russie pour empêcher la signature du traité de Brest-Litovsk qui libérerait le front est et serait catastrophique pour les Alliés. Passion intense mais contrariée : tous deux sont mariés et jetés plusieurs fois en prison. Si Lockhart parviendra à quitter le pays, Moura devra affronter seule à Petrograd les rigueurs de la révolution. Pour survivre elle se fait traductrice et rencontre ainsi Maxime Gorki qui cherche à faire traduire en russe tous les grands chefs d’œuvre de la littérature mondiale. Nouvelle passion pour Moura qui s’éprend du grand écrivain national, loué par Lénine puis Staline. Qui recevra la visite d’un autre grand de la littérature, Herbert George Wells, qui deviendra une autre des grandes passions amoureuses de Moura l’insatiable amoureuse.

Alexandra Lapierre a consulté toutes les archives, y compris les archives secrètes, concernant cette héroïne vivante. Femme de caractère et de conviction, elle a marqué les hommes qui ont croisé sa vie et l’évoquent dans leurs mémoires. L’auteur va plus loin que ces archives et témoignages en imaginant quels ont pu être ses sentiments, inventant des dialogues qui n’ont pourtant rien de fantaisistes.

La situation des pays baltes avant et pendant la guerre, la révolution bolchévique, la terreur rouge : autant de contextes et d’épisodes complexes qu’Alexandra Lapierre restitue avec fluidité. Pas de tunnels explicatifs ni d’exposés pédagogiques qui donneraient au lecteur l’impression de lire un manuel d’histoire. C’est une grande qualité d’intégrer les précisions historiques nécessaires à la compréhension à l’intrigue elle-même sans en alourdir le récit. Il faut dire qu’Alexandra Lapierre est une habituée de ce type d’ouvrages, de ces destins grandioses tombés dans l’oubli.

L’immersion est donc totale, tant à la cour du tsar que dans les rues meurtries de Saint-Pétersbourg ou les prisons de la Tchéka. Cette Moura oubliée, enfin ressuscitée, a vécu mille vies et fut même de son vivant incarnée au cinéma. De quoi dépayser, exalter et réjouir le lecteur.

Le site de l’auteur.

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Moura la mémoire incendiée

Alexandra Lapierre
Flammarion, 2016
ISBN : 978-2-0813-3282-9 – 733 pages – 22,90 €

9 commentaires sur “Moura la mémoire incendiée d’Alexandra Lapierre

  1. Je vais frimer, en répondant oui à ta première question. Depuis dimanche. franchement j’étais passionnée par l’auteur présentant son livre, plus tous les détails qu’elle a ajoutés sur le cours de ses recherches, etc. Je pourrais m’intéresser à ses autres écrits sur d’autres femmes.

    1. J’ai noté depuis sa sortie, puis me suis ensuite rendu compte que ça faisait trois ans, Je te vois reine des quatre parties du monde, avec cette femme amiral, les grandes découvertes…etc, ça me tente beaucoup. Et maintenant que je sais comment la dame écrit, je suis sûre que ça me plaira.

  2. Jamais entendu parler de cette Moura, mais c’est drôlement tentant cette histoire, surtout avec tout ce qu’elle a vécu, le contexte, l’histoire etc .. etc … (Emmanuel Laurentin parle toujours de Blois cette semaine, chic !)

    1. Il faut que j’écoute l’échange Snyder/Ingrao… Je ne sais pas si tu sais, mais Timothy Snyder a donné une conférence aux Rendez-Vous de l’Histoire. Blindée de monde bien sûr, je n’ai pas pu entrer. Par contre, on peut la voir puisqu’elle a été filmée. C’est ici. Et il parle en français (parfois un peu laborieusement, mais quel effort, chapeau !).

  3. Très tentant effectivement mais j’ai déjà le livre de l’auteur sur Artemisia Gentileschi que j’aimerais lire depuis des années. Un autre sacré personnage féminin! On verra par la suite…

    1. Il a l’air très bien aussi, elle en a parlé au cours de la rencontre (en fait, Alexandra Lapierre parle beaucoup !). C’est incroyable d’entendre aujourd’hui que cette femme a été dépossédée de son oeuvre au profit d’un homme…

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