Merfer de China Miéville

merferPar quel bout commencer le résumé du foisonnant dernier roman de China Miéville ? Ce Britannique à l’imagination fertile n’en finit pas d’inventer des mondes, de créer des espaces, des temporalités qui lui sont propres et sont pour le lecteur comme une bouffée d’oxygène. Merfer est-il un roman post-apocalyptique ? Certainement, mais ce n’est pas ce qui importe. Ce qui fascine ici c’est le dynamisme de la langue, l’esprit d’aventure et la formidable inventivité d’un auteur qui nous surprend de livre en livre.

Sham est apprenti médecin à bord du Mèdes, train taupier qui sillonne la merfer sous les ordres de la capitaine Natacha Picbaie. Depuis des mois voire des années, cette dernière traque sa philosophie, une énorme darboune qui la nargue mais dont elle a juré la perte. Pensez donc, le monstrueux animal lui a dévoré le bras et elle en porte désormais un artificiel…

Les voies de la merfer sont sillonnées de ces capitaines manchots ou culs de jatte qui foncent à tout vent et vont au-delà de tous les dangers pour assouvir leur vengeance. Tels des capitaines Achab, rien n’entrave leur traque. Chemin faisant, l’équipage harponne darbounes et autres rat-taupes qui pour certains rapporteront beaucoup. Sham n’est pas adepte de ces boucheries, ni même des courses, mais enfin il n’a rien, il est orphelin et ses cousins l’ont confié à cet équipage afin qu’il fasse quelque chose de sa vie. Pourquoi pas médecin…

Les voies se croisent et s’entrecroisent sur la merfer et il est totalement déconseillé de marcher en dehors : des monstres animaux surgissent et dévorent les imprudents. Partout gisent des ruines, par exemple des trains abandonnés depuis des lustres. La merfer regorge d’objets insolites et anciens qui valent leur prix. Ceux qui les cherchent et les revendent sont les exhumeurs, et c’est bien ce que Sham voudrait devenir.

Alors quand Sham et la capitaine Picbaie se retrouvent un jour seuls au coeur d’une vieille loco échouée, il lui faut chercher à savoir : que fait-elle là ? Où allait-elle ? Y a-t-il de l’exhume à l’intérieur ? Il n’en revient pas d’y trouver un cadavre, et pire, un cadavre qui tient quelque chose caché dans sa main. Cet objet s’avère contenir des photos, qu’il verra une seule et unique fois avec la capitaine avant qu’elle ne les détruise. Mais trop tard, car il les a vues et en a même photographié une. Et ces vieilles photos représentent un monde incroyable : une unique voie, menant vers quelque part. Où ?

Sham se met en quête des enfants aperçus sur les photos. Il les trouve et découvre que Caldera et Dero sont les enfants d’un couple parti longtemps auparavant à la recherche de cette voie unique, de ce bout du monde, un certain paradis gardé par des anges… Cette voie unique existerait donc bel et bien ? Y aurait-il un au-delà de la merfer ?

China Miéville invente une fois de plus un univers unique et original. Si Sham le vit comme le sien, le lecteur s’interroge sur l’évolution qui a pu conduire l’humanité à un tel environnement. Et qu’est-ce qui a pu arriver aux animaux pour qu’ils atteignent de telles proportions ? Certaines réponses ne sont qu’esquissées car China Miéville n’est jamais didactique. Il ouvre nos imaginaires plutôt que de les réduire au sien et à une seule et simple interprétation.

Si l’intrigue tient la route, portée par des personnages denses et originaux, si l’univers est aussi cohérent que novateur, Merfer bénéficie d’un autre atout et non des moindres : l’inventivité de la langue. J’imagine le stimulant plaisir qu’a dû être pour Nathalie Mège la traduction de ce roman. Il ne s’agit pas d’inventer des mots pour le plaisir du son, pas seulement, il s’agit de faire sens nouveau, qui d’ailleurs parfois désarçonne le lecteur (les traineux ne sont par exemple pas des gens un peu lents mais les membres de l’équipage du train taupier).

Combien de ces philosophies se baladaient dans la Merfer ? Tous les capitaines de la région d’Haldepic n’en avaient pas, mais une bonne proportion d’entre eux se formaient une relation de proximité & d’antiphatie mêlée envers tel animal en particulier, dont ils avaient décidé &/ou compris qu’il incarnait telle signification, telle potentialité, telle vision du monde. A un moment donné, & il était dur de dire quand avec précision mais on le savait lorsqu’on en était témoin, la ruse à caractère professionnel qui s’applique aux proies basculait sur de nouveaux rails, pour devenir autre chose : la fidélité à un animal ayant pris l’aspect d’une idéologie.

L’animal traqué devient obsession intime qui définit l’homme et le fait agir. Tout entier dans sa chasse, il s’y résume, comme le capitaine Achab se résume en Moby Dick : sans elle, il n’est rien. De Melville à Miéville, il n’y a qu’une lettre… Merfer fourmille de clins d’oeil littéraires mais est aussi une réflexion sur le roman qui s’écrit. Un narrateur se fait en effet de plus en plus intrusif au fur et à mesure que l’on progresse dans l’intrigue, signifiant qu’en tant que capitaine, il est le seul maître à bord, n’en déplaise aux diverses attentes…

Ce roman est paru en Grande-Bretagne en collection jeunesse, young adults comme on dit chez eux : ils ont bien de la chance les jeunes Britanniques qu’on leur écrive de la littérature de ce niveau là…

Merfer est un roman foisonnant, divertissant, étonnant. Mais aussi un roman parfois grave, jouant de nombreuses influences, réfléchissant sur la langue et les moyens de la fiction. Il innove et invente tant sur le fond que sur la forme. On se demande parfois où est passée l’imagination des auteurs dits de l’Imaginaire qui nous servent trop souvent la même soupe… eh bien elle est à nouveau au rendez-vous de cet auteur britannique qui nous réjouit sans cesse.

China Miéville sur Tête de lecture

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Merfer (Railsea, 2012), China Miéville traduit de l’anglais par Nathalie Mège, Fleuve Editions (Outrefleuve), octobre 2016, 459 pages, 21,90€

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