Karoo de Steve Tesich

karooKaroo, c’est l’histoire d’un type qui boit, qui boit, qui boit… Encore un de ces loosers américains cyniques et désenchantés ? Oui et non, car Saul Karoo a beau boire, il n’est jamais soûl. Comme si Steve Tesich s’inscrivait dans le sillage des grands auteurs américains sans suivre exactement le même sillon. Un truc à part, désenchanté, méchant, le roman d’une chute au royaume des faux-culs.

On rencontre Saul Karoo au cours d’une soirée comme on en a beaucoup lu : superbe appartement à Manhattan, argent, alcool, faux sourires et petits fours. La civilisation du paraître. Tout à fait ce qu’il faut à Saul Karoo, script doctor pour Hollywood qui aime se donner en spectacle au point de fuir toute intimité. Le but de la fin de soirée est de trouver une femme au bras de laquelle partir afin d’esquiver un tête-à-tête avec son fils Billy. Saul fuit les tête-à-tête, quels qu’ils soient. Il baratine, ment, parle pour ne rien dire et surtout pour combler le vide.

Saul Karoo, le lecteur apprend vite à le détester. Menteur, totalement égoïste, il ne pense qu’à lui, aime se donner en spectacle et être le centre du monde. Dans sa carapace de cynisme et d’amertume, il est incapable d’aimer, ne sait que parader suivant les codes de ses semblables. Il s’écoute penser et se trouve intelligent. On le dit génial, capable de redresser le pire des scénarios. Avec celui de sa propre vie pourtant, il a plus de mal. Car c’est bien à sa chute que le lecteur assiste, qui croie savoir où Tesich le mène, mais non.

Après cent-quatre-vingts pages d’errance new-yorkaise entre lucidité et miroir aux alouettes, Karoo prend des allures d’intrigue romanesque à la sauce hollywoodienne : le grand producteur Jay Cromwell demande à notre script doctor de retravailler le film du Vieil Homme, réalisateur en fin de vie. Karoo visualise le film et le trouve d’emblée génial dans son dépouillement. Son attention est attirée par une jeune femme : il reconnaît dans son rire celui de celle qui vingt ans auparavant lui céda anonymement son bébé nouveau-né. Il n’a pu oublier ce rire fugitif et va chercher à retrouver cette femme devenue actrice.

Elle s’appelle Leila, il va apprendre à la connaître et tomber amoureux. Et avoir la plus mauvaise idée de sa vie : réunir la mère et le fils qui bien sûr, ne se connaissent pas. Soudain, voici que le cynique Karoo déclare aimer son fils, il le lui dit même… peut-on croire à cette métamorphose ? Ce que le lecteur comprend alors que Karoo s’aveugle de bonheur, c’est ce qui se passe dans son dos : le bonheur cher Karoo, tu peux toujours courir après !

Pas de fuite dans l’alcool, l’argent ou le cynisme. Même la famille fout le camp malgré tous ses efforts. Aucune illusion n’est possible, même pas celle d’Hollywood. Il y aura toujours quelqu’un pour retravailler le script dans son dos et jamais Karoo n’aura sa vie en main, une vraie vie avec des sentiments, des amis, des émotions. Incapable d’être père, il a été un piètre fils et au moment où il cherche à se racheter, tout se dérobe. Pas de rédemption possible quand l’ivresse n’est plus…

Que nous proposent au final ces États-Unis du strass et de l’argent ? Encore plus d’argent et d’illusions. Certains croient y échapper en se gargarisant de théories à l’image de Dianah, la presque ex-femme de Karoo, mais ils ne sont pas plus clairvoyants ou plus intelligents, juste moins drôles. Et pour supporter les descriptions parfois très détaillées de cette société de nantis égocentrés, pas de doute que l’humour soit indispensable.

.

Karoo

Steve Tesich traduit de l’anglais par Anne Wicke
Monsieur Toussaint Louverture, 2012
ISBN : 9782953366495 – 606 pages – 22 €

Karoo, parution aux États-Unis : 1998

19 commentaires sur “Karoo de Steve Tesich

    1. Hum… ce Karoo parle beaucoup et brasse pas mal de vent : si tu fais une troisième tentative, va au-delà des 180 premières pages…

      1. C’est vrai, le roman de Tesich est finalement bâti sur du vide… celui qui emplit Karoo, et qui finalement le dévore. J’avais beaucoup aimé cette farce sinistre. Price, moins mordant, ne m’avait pas déçue, mais je l’ai tout de même trouvé en-dessous de ce titre.

      2. J’essaierai Price, mais on ne peut qu’être déçu qu’il n’ait écrit que si peu de romans…

    1. Je me disais en effet au début que je n’en prendrais pas 600 pages sur le ton des deux cents premières. Mais je pensais à tous ces lecteurs enthousiastes et je poursuivais pas lecture pour en effet être saisie par la suite, puis retournée comme une crêpe…

    1. Eh bien, je ne pensais pas que ces premières pages pouvaient rebuter au point d’abandonner le livre… c’est dommage…

    1. J’adore lire des avis aussi divergents et au final, ils me donnent envie d’aller y voir de plus près car un roman qui suscite des réactions aussi contraires ne peut être qu’intéressant 😉

    1. Je te comprends, c’est assez rédhibitoire pour moi aussi. Mais celui-ci ne parvient pas à être soûl, ça change tout 😉

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s