Trois jeunes jésuites portugais décident de partir à la recherche du père Ferreira, leur maître spirituel dont ils sont sans nouvelles : est-il mort au Japon où il était missionnaire depuis trente-trois ans ? A-t-il renié sa foi comme l’affirment les nouvelles venues de Rome ? C’est que le christianisme vit des temps très difficiles en ce début de XVIIe siècle au Japon : les chrétiens sont persécutés, torturés, expulsés. Et ils sont confrontés au silence de Dieu…
C’est donc clandestinement que les trois prêtres s’embarquent. C’est le père Sébastien Rodrigues qu’on suit plus particulièrement à travers des lettres envoyées à sa hiérarchie (puis, de façon incompréhensible, le roman se poursuit à la troisième personne). Rodrigues et Garrpe ne savent rien de la situation de Ferreira et n’ont aucun moyen de le retrouver. Ils passent d’abord longtemps avec les paysans japonais qui vivent leur foi dans la clandestinité et acceptent de les cacher au prix de leur vie. Ils se rendent compte de la misère noire dans laquelle vivent ces gens, bien pire que ce que vivent les paysans portugais. Les deux prêtres sont un soutien pour eux mais aussi une menace car ils sont recherchés.
Trahis, ils sont arrêtés et emprisonnés. Ce qu’attend désormais le pouvoir en place, c’est qu’ils apostasient, comme Ferreira avant eux. Pour ça, les paysans qui les ont aidés sont torturés sous leurs yeux et seul le reniement de leur foi peut les sauver. Rodrigues est déchiré : peut-il renier le Christ auquel il a dédié sa vie ? Peut-il laisser souffrir ces gens pour lui ?
Shûsaku Endô, écrivain chrétien japonais (ils sont rares, et on comprend pourquoi en lisant ce roman…) témoigne de l’histoire de l’Eglise dans son pays et en particulier des persécutions. Il est difficile de parler du style puisque ce roman est traduit de l’anglais, la traduction est d’ailleurs assez lourde. Rodrigues est une figure explicitement christique qui comme Jésus prêche, dérange le pouvoir en place, est trahi et arrêté, jugé et condamné. La quête mystique de Rodrigues fait donc écho à la recherche plus concrète de Ferreira qui elle emprunte à un registre littéraire plus moderne. C’est en effet à Charles Marlow cherchant Kurtz dans Au cœur des ténèbres que l’on pense en lisant Silence, d’autant plus que la rencontre entre les deux protagonistes n’a lieu que tard dans le roman.
Shûsaku Endô témoigne de la ferveur et du courage immense de ces missionnaires qui quittèrent le confort d’une vie européenne pour vivre en conformité avec leur foi et la propager dans le monde entier. Grâce à ce témoignage en forme d’hommage, Shûsaku Endô soulève des questions essentielles. Jamais ces missionnaires ne doutent de la force du baptême qui semble agir comme une formule magique à leurs yeux : le baptisé devient chrétien. Mais de quel chrétien s’agit-il ? Comment quelques gouttes d’eau, même bénites, peuvent-elles changer des traditions ancestrales et des mentalités totalement étrangères au judéo-christianisme ?
C’est toute la question de l’universalité de l’Eglise : le message du Christ est-il fait pour tous les hommes dans le monde entier ? L’Eglise de Rome est-elle transposable telle quelle n’importe où ? Que fait-on des coutumes et religions locales ? En cette époque de grandes découvertes, la question est primordiale mais ne semble pourtant pas se poser…
Vous ne comprenez rien. Et la foule de curieux qui se disent apôtres, venus ici des monastères de Goa et de Macao, ne comprend rien non plus. Dès le début, ces mêmes Japonais, qui confondaient Deus et Dainichi, dénaturèrent et transformèrent notre Dieu, ils en firent autre chose. Même lorsque les problèmes de vocabulaire furent résolus, cette altération et cette falsification se poursuivirent secrètement. Même à la glorieuse époque des missions à laquelle vous faites allusion, les Japonais ne croyaient pas au Dieu chrétien mais à la propre déformation qu’ils lui avaient fait subir.
La torture des paysans met les missionnaires dans une position difficile. Ne pas apostasier, rester fidèle à sa foi, n’est-ce pas se sentir supérieur aux paysans torturés ? Si un mot suffit à faire cesser leurs souffrances à tous, pourquoi ne pas le prononcer ? L’idéal d’un missionnaire portugais est-il plus important que la vie de plusieurs paysans japonais ? Pour abréger leurs souffrances, le Christ lui-même n’aurait-il pas apostasié ? Terrible dilemme pour ces hommes qui ont voué leur vie au Christ.
Rodrigues n’a d’ailleurs pas attendu de retrouver Ferreira pour s’interroger. Quand il comprend la souffrance des paysans, il s’indigne des persécutions mais il en appelle aussi à Dieu : pourquoi ne fait-Il rien pour eux qui Lui donnent leur vie ? Pourquoi le silence de Dieu ?
Depuis vingt ans déjà, la persécution s’est allumée, la terre noire du Japon a retenti des lamentations d’innombrables chrétiens, elle a bu à profusion le sang rouge des prêtres ; les murs des églises se sont écroulés et, devant cet holocauste terrible et sans merci qui lui était offert, Dieu n’avait pas rompu ce silence.
Tout chrétien sans doute s’interroge sur ce silence. Ce que vivent les missionnaires décuple l’intensité du questionnement car l’injustice est évidente : pourquoi tant de souffrances si Dieu est amour, si Jésus est à nos côtés chaque jour ? Shûsaku Endô se pose certainement ces questions et les explicite dans ce roman sans jamais y répondre. Car bien que chrétien, il n’écrit pas un roman pro domo ni ne justifie l’évangélisation bien qu’à l’évidence il rende hommage au courage des missionnaires.
On regrette le peu d’efforts fournis par Gallimard pour cette édition, vite maquettée avec une photo de film de Scorsese. Pourquoi pas une traduction du japonais ? Pourquoi pas une introduction historique pour nous permettre de mieux appréhender ce contexte si peu familier ? Pour les mêmes raisons, quelques notes de bas de page auraient été bienvenues.
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Silence
Shûsaku Endô traduit de l’anglais par Henriette Guex-Rolle
Gallimard (Folio n°5140), 2010
ISBN : 978-2-07-04151-2 – 295 pages
Pas sûr que je le lise (douillette? ) mais quand même, ça pose plein plein de questions essentielles
J’ai oublié de préciser que l’auteur ne s’appesantit pas sur les scènes de torture…
Bonsoir Sandrine, je remarque que de plus en plus de romans sont deux fois traduits. A mon avis, le texte original ne doit plus avoir grand-chose à voir avec le texte que l’on nous vend. J’ai ce livre qui m’attend dans ma PAL car j’ai vu le film de Scorsese qui vaut la peine malgré sa longueur et j’ai appris que le Japon s’est refermé sur lui-même pendant 200 ans. C’est étonnant.
Le film de Scorsese n’est pas arrivé jusque chez moi en v.o. mais je compte bien le regarder en DVD car le sujet m’intéresse bien sûr beaucoup. J’ai très envie de « voir » ce Japon-là.
Le film m’a personnellement beaucoup déçue (je n’ai pas lu le roman). Je l’ai trouvé soporifique, pas très bien joué, mal doublé (un défaut faisant passer les personnages japonais pour des débiles profonds)… dommage, il y avait à matière à une intéressante réflexion sur la relativité des croyances et la légitimité de la prédominance de la culture occidentale.
zut, ça me douche ce que tu écris là… je l’emprunterai le DVD…
Peut-être que de le voir en VO le rend moins indigeste…
J’avais noté aussi un style, ou plutôt une traduction un peu lourde dans Un admirable idiot du même auteur, et traduit de l’anglais aussi. Bon, du coup ça me freine dans la lecture de ce roman dont les thématiques m’intéressaient pourtant. Et puis bon, les scènes de torture, je n’en suis pas friande…
Les scènes de torture sont supportables (pour le lecteur, les torturés s’en sortent mal…). Comme toi, je trouve étrange que les éditeurs ne se donnent pas la peine aujourd’hui de retraduire alors que chaque fois qu’un roman est retraduit, c’est annoncé en grand. Mai peut-être que ce n’est valable que pour les anglo-saxons cet effort, les Japonais, ça n’est pas assez tendance…
Te voilà désappointée par le travail à minima de l’éditeur. Mais ce roman a l’air si fort.
Bon, le sujet me passionnerait, je pense … Tes réticences envers la traduction me freinent quand même, mais, je me connais, je suis capable de passer outre si l’histoire en vaut la peine !
J’avais envie de prendre en note tout le livre tellement tout sonne juste à mes oreilles…
il avait eu du succès auprès de mes amies. mais elle ne m’avaient pas convaincue , je doute encore malgré ton billet fort intéressant.
J’ai déjà noté le roman. Les historiens de France Culture avaient parlé du film pour en discuter 1. La véracité 2. le rapport au roman, ça vaudrait le coup de réécouter l’émission !
Ce que j’avais apprécié dans l’émission « La Fabrique de l’Histoire » où les historiens ont parlé de ce roman et du film, c’est justement la contextualisation : je l’ai en effet réécoutée avant et ça aide beaucoup.