Vingt minutes de silence surprend dès départ : qui parle à qui ? Et ça continue : des phrases courtes, peu de ponctuation, pas de marqueurs de dialogues. Il s’agit plutôt de faire entendre des voix qui s’expriment autour d’un événement d’importance, à savoir la mort d’un riche bourgeois. On pourrait donc avoir affaire à un roman policier (il y a d’ailleurs des policiers qui s’expriment) mais bien vite, l’intérêt va au-delà du whodunit.
On en a pourtant tous les ingrédients : un mort, une veuve, un fils, une bonne. Des gens riches qui affrontent un meurtre nocturne, imprévisible. Madame a-t-elle tué Monsieur ? Avec le chandelier dans la bibliothèque ? Il y a aussi ces vingt minutes de silence entre la mort de Monsieur et le moment où on appelle le médecin. Commérages et suppositions vont bon train, on les entend grâce à la plume d’Hélène Bessette (les aficionados écrivent LNB7).
Derrière les caquetages et les interrogatoires, poignent également les voix de la mère et du fils. La répétition des questions dénote le harcèlement et traduit le doute : la mère a-t-elle tué le père seule ? Le fils l’a-t-il aidée ou a-t-il agit seul ? Pourquoi la bonne, Rose Trémière, revient-elle sur son témoignage ? Pourquoi un fils de bonne famille assassinerait-il son père ? Pourquoi une bourgeoise assassinerait-il son mari, de surcroît riche à miyons (oui, à miyons) ?
Naturellement elle n’aimait pas son mari.
Il n’aimait pas son père. Mais c’est une chose si simple d’aller sonner chez le docteur voisin quand un homme vient d’être assassiné.
N’importe qui le ferait pour n’importe qui.
Ils ne s’y décidaient pas.
Ils ne pouvaient pas.
Parce qu’ils étaient coupables.
S’ils n’avaient pas été coupables, ils auraient volé chez le docteur avec les ailes de l’épouvante, et la conscience tranquille seulement indignée.
Ce n’était pas le cas.
Et si la mère avait tout ignoré comme elle le prétend, elle aurait prévenu, couru, sonné aussitôt, sur les ailes légères du drame, et la conscience tranquille.
Mais elle savait.
Elle savait même très bien.
Et de sa voix froide elle dit simplement :
– Va cacher le révolver
La phrase ne cesse d’innover, y compris typographiquement. On dirait un jeu, un divertissement littéraire avant même l’Oulipo. Sauf que la souffrance qui peu à peu se fait jour finit par saisir le lecteur. Derrière un pseudo-roman policier se dissimule un roman de mœurs qui raconte le sordide d’une famille en désamour. Un père riche mais incapable d’aimer, à l’occasion violent, une mère volage et indifférente et deux enfants à peine nommés, dont le couple se serait bien passé (mais justement, il n’a pas réussi). Plus « l’enquête » se poursuit, plus c’est sordide. La pression sociale se fait envahissante à travers le concert de voix qui jugent et blâment tandis que la mère et le fils se dévoilent, elle dans sa froideur lui dans son besoin d’amour et de chaleur. On l’appelle « l’enfant » alors qu’il est un adolescent, on lui soupçonne autant de besoins qu’un animal, et de rêves et de désirs, aucun.
Adolescence sinistre d’après-guerre dans une ville de province où le résistant de la dernière heure enrichi par miracle règne en maître autoritaire sur sa famille. Hélène Bessette déboule dans cette famille bourgeoise qui vole en éclats, tout comme le roman du même nom. Le sujet est sinistre, le style jouissif et inventif et le ton caustique. On rit malgré tout car Hélène Bessette se moque intelligemment de ces bons bourgeois si parfaits en surface.
Les éditions du Nouvel Attila ambitionnent de rééditer toute l’œuvre de la méconnue Hélène Bessette. A voir si tout sera de la même eau. En tout cas, la couverture de celui-ci est une belle réussite : on y lit à la fois la biographie et la bibliographie de l’auteur grâce à des flèches, des cases et des couleurs. Ça a l’air foutraque, ça déconstruit les traditionelles bio-bibliographies, mais c’est tout à fait compréhensible. Comme le présent texte d’Hélène Bessette en fait…
Pour découvrir la carrière et la vie difficiles d’Hélène Bessette (après avoir été éditée chez Gallimard, avoir obtenu des voix au Goncourt, elle finit femme de ménage…), on peut regarder la courte interview de Patrick Brabant, son fils.
.
Vingt minutes de silence
Hélène Bessette
Le Nouvelle Attila, 2017
ISBN : 979-1095244226 – 169 pages – 17 €
Très intéressant !
Et cet éditeur mérite vraiment qu’on s’y attarde.
Ma bibli n’a que Le bonheur de la nuit.
Bon, l’éditeur me plait bien, de toute façon.
ça doit être dans la précédente réédition car Le Nouvel Attila n’en est qu’au premier titre réédité : plusieurs éditeurs ont déjà édité Hélène Bessette mais étrangement, elle peine à sortir de l’oubli…
ce que je sais de sa forme littéraire ne m’a jamais attirée , mais il faudrait que je la relise
Ca a l’air à part. Noté.
Oh mais voilà qui m’a l’air trèèèèès original, exactement comme j’aime ! Du genre irrésistible pour moi. J’aime bien aussi cette maison d’édition.
Ils en ont parlé à La Dispute à France cul et ils étaient très enthousiastes. Il est bien noté.
On écoute décidément les mêmes émissions de radio… (et vivement la fin des vacances qu’elles reviennent !).
En été, je compense en écoutant les cours du Collège de France (je suis assez atteinte).
Le nouvel Attila remet à l’honneur de bons écrivains… Je note celui-ci