« Il y avait des rivières infranchissables », de ces obstacles qu’on anticipe avec anxiété car ils sont un basculement d’un état à un autre, d’un âge à un autre. On voudrait les franchir, pour être grand, pour être homme ou femme, enfin, mais on sait qu’on va y perdre le goût mystérieux de l’inconnu. Qui sait s’il ne sera pas amer après l’acidulé des premières fois ?
Marc Villemain s’attache à l’âge incertain de l’enfance et de l’adolescence dans ce recueil de nouvelles sensibles et douces. Il écrit les premières émotions, leur trouble. Il dit l’innocence qui est ignorance, la peur de mal faire, de passer pour soi-même, juste pour soi-même et pas pour le gars super à l’aise avec les filles, qui gère les situations les plus fantasmées. On est fin soixante-dix, début quatre-vingt, le paraître s’impose, sans Internet ni réseaux sociaux. Ces adolescents qu’on entrevoit de l’intérieur sont loin d’être parés pour l’arène de la vie.
Et le grand mystère c’est bien sûr l’autre. A l’âge où on connaît encore mal son corps, celui d’en face est terra incognita, tout en fantasmes et angoisses. Avant l’ère du sexe exhibé sur Internet, on n’a pas grand-chose pour débroussailler le terrain. Alors il y a la maladresse, qui est celle de l’adolescence mais aussi de tout commencement, comme au tâtonnement du monde.
Il lui retire le balai des mains, le pose contre le mur, la regarde, l’attire à lui, la prend dans ses bras, ouvre la porte, l’allonge tout habillée sur son lit. Lui aussi s’allonge, son visage tourné vers le sien. La peur de mal faire, leurs mains froides, leur respiration trop silencieuse. Tout, la vie, tout est en suspens. Il enroule sa jambe autour des siennes, l’enclôt de son bras, se soulève légèrement, veille à ne pas peser sur elle. Dans leurs vêtements ils ont trop chaud mais comment les enlever, comment échapper au ridicule de les enlever ? Sont-ils seulement certains que cette touffeur ne vient que de leurs vêtements ? Elle ne sait pas si elle a le désir de ça, et lui ne sait pas comment savoir si elle en a le désir. Alors ils restent ainsi quelques minutes, couchés l’un sur l’autre, à se regarder dans les yeux, à se balbutier des petits mots sans conséquence, à se bécoter gentiment, leurs tee-shirts emberlificotés, leurs grosses chaussures dépassant du lit, sans bien savoir que faire d’autre – sans bien savoir ce que signifie cette chaleur, cette moiteur entre eux.
A quinze ou quarante ans, la découverte du désir (le sien, celui de l’autre) se traduit toujours par les mêmes hésitations que Marc Villemain écrit avec sincérité et délicatesse, échappant ainsi à toute mièvrerie. C’est sans doute pourquoi ce recueil s’apprécie quel que soit l’âge. Et si vous avez été vous-mêmes adolescents dans ces années quatre-vingt, il vous sera comme une douceur venue d’hier. Les boums, les mobylettes, Roger Gicquel sont autant de clins d’oeil discrets à une époque, à une enfance et une adolescence pas encore aussi rapides qu’aujourd’hui, constituant comme un dernier espace avant l’ère du numérique et de l’ultra technologisation des relations.
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Il y avait des rivières infranchissables
Marc Villemain
Joëlle Losfeld, 2017
ISBN : 978-2-07-273235-5 – 143 pages – 14,50 €
Je ne connais pas cet auteur, mais ton billet me donne envie d’aller y voir de plus près !
Je le découvre avec ce recueil et beaucoup de plaisir.
J’ai toujours du mal avec les adultes qui écrivent sur l’adolescence… Je ne sais pas pourquoi. C’est toujours un peu maladroit. Ce sont des souvenirs ou des tentatives d’approcher quelque chose de disparu, ce n’est jamais très juste je trouve… Les adolescents dans les romans sont souvent les personnages que j’aime le moins d’ailleurs.
Alors Corentine lis ce recueil. C’est très juste, oui, c’est l’adjectif qui convient. J’imagine que l’auteur a mis beaucoup de lui-même dans ces textes, en tout cas rien ne semble artificiel.
je suis toujours très intéressée par des nouvelles de qualités car j’en lis régulièrement à des vieilles dames.
je ne sais pas trop quoi en penser, l’extrait me plaît moyennement et je rejoins un peu Corentine…