Généalogie du mal de Jeong You-jeong

Généalogie du malQui est Yujin ? C’est la question que se pose le lecteur tout au long des quatre cents pages de Généalogie du mal. C’est aussi celle que se pose Yujin, lui-même narrateur en proie au moins au doute si ce n’est à une grave crise identitaire. Il faut dire que n’importe qui serait bouleversé en se réveillant un matin baignant dans le sang de sa propre mère. Le cadavre est là, gorge tranchée et Yujin aspergé de sang ne se souvient de rien.

Agé de vingt-six ans, il vit avec sa mère et son frère adoptif. Depuis seize ans, il suit un traitement contre l’épilepsie prescrit par sa tante. Il vit ce traitement comme un carcan, une véritable camisole. Sa mère l’y contraint car il a déjà fait une crise lors d’une compétition de natation qui a failli lui coûter la vie. Et parce qu’elle a perdu son mari et son fils aîné, bien des années auparavant, tous deux morts noyés. Elle veille sur Yujin, le surveille même. Yujin le sait mais tout ce qu’il ignore, il va le trouve dans le journal intime maternel qu’il découvre et lit : il lui permet de remonter dans le temps, jusqu’à sa prime enfance. En même temps que lui, le lecteur comprend qui il est réellement.

Il ne serait pas de bon ton de raconter ce que découvre Yujin sur lui-même, même si le court résumé ci-dessus laisse au moins augurer de l’identité de l’assassin et du drame vécu dans l’appartement d’Incheon. Le titre, Généalogie du mal, laisse aussi assez entendre qu’on va remonter aux racines de la personnalité de Yujin qui n’est bien sûr pas le fils modèle qu’il semblait être jusqu’alors. Peu de suspens donc de ce côté-là. Ce qui est plus intéressant, c’est de comprendre au fur et à mesure de la lecture du journal maternel et du retour des souvenirs, comment Yujin s’est caché à lui-même.

Suspens psychologique oui, mais suspens tout relatif tant on comprend rapidement que Yujin est un prédateur. Ce qui s’avère à mes yeux le plus intéressant n’est donc pas le développement de sa personnalité mais les efforts faits par sa mère et sa tante maternelle pour contrer le monstre en lui. Est-il possible que de tels psychopathes vivent en société ? A quel prix ? En faisant de Yujin le narrateur de Généalogie du mal, Jeong You-jeong évite bien des pièges et parvient même à nous le rendre parfois sympathique. Ce qui souligne l’ambivalence du personnage : psychopathe mais humain. Le mal-être de Yujin est patent et sa souffrance évidente.  L’approche est donc habile et déstabilisante, ce qui permet d’apprécier la lecture malgré quelques longueurs.

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Généalogie du mal

Jeong You-jeong traduite du coréen par Choi Kyungran et Pierre Bisiou
Picquier, 2018
ISBN : 978-2-8097-1344-2 – 400 pages – 21,90 €

종의 기원, parution en Corée : 2016

14 Comments

  1. Tu n’es pas la seule à regretter quelques longueurs mais tous vous rejoignez pour conseiller cette lecture déstabilisante.
    Je vais donc suivre votre conseil (et ça me fera en plus une lecture pour Lire le Monde 🙂 )

  2. Je viens de terminer la rédaction de mon billet, à paraître le 20 dans le cadre d’une LC. Je te rejoins sur tous les points, notamment sur l’ambivalence qu’il suscite en nous, entre répulsion et une certaine forme de pitié aussi, parce qu’il semble être la victime impuissante (il ne songe d’ailleurs pas vraiment à lutter) de son « anormalité »..

    1. L’ambivalence du personnage fait sa richesse et son originalité car pour ma part, j’aime assez quand on ne sait pas sur quel pied danser avec un personnage.

  3. Voilà un livre qui me rappelle fortement le procédé de Dugain dans l’avenue des géants, j’avais eu quelques réticences à m’installer dans la tête d’un psychopathe. Pourtant, je suis quand même tentée, la lectrice est ambivalente, parfois …

    1. Je tente le thriller coréen, pour changer un peu, mais celui-ci n’est pas vraiment typiquement coréen, si cette réflexion peut avoir un sens… C’est pour moi plus facile à lire qu’un roman qui immergerait vraiment le lecteur dans cette culture et cette mentalité.

  4. Oho ! Voilà un roman coréen qui ne semble pas laisser indemne. C’est celui dont tu parlais chez moi ? Bon le thème n’est pas de ceux qui me parlent de suite comme ça mais il m’a l’air assez intrigant pour que je le lise un jour tout de même.

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