Marc Dugain raconte dans Avenue des géants l’histoire d’Al Kenner (Edmund Kemper dans la vraie vie), un type qui commença à se faire connaître en tuant ses grands-parents d’un coup de chevrotine dans le dos. La grand-mère parce qu’elle lui bouffait son oxygène, le grand-père parce que la vie sans sa femme serait certainement trop dure pour lui. Son forfait accompli, il se rend, est déclaré irresponsable et enfermé pendant quatre ans dans un hôpital psychiatrique où il apprend beaucoup. Al n’a que quinze ans et un QI diagnostiqué supérieur à celui d’Einstein.
Et de fait, le lecteur qui suit ses pensées grâce à un récit à la première personne, constate que cet homme est froidement intelligent. Ou plutôt que Marc Dugain trace le portrait d’un homme froidement intelligent. Un type pas franchement chaleureux qui du haut de ses deux mètres vingt ne sourit jamais, ne se lie à personne et n’a aucun humour.
La biographie romancée est un genre de plus en plus prisé par les écrivains, tendance que l’on peut associer ici à leur goût actuel pour les faits divers. L’Histoire a déjà inspiré Marc Dugain qui travaille cette matière à l’aide de techniques littéraires éprouvées. La mise en place du suspens en est une. L’alternance des points de vue en est une autre : le lecteur d’Avenue des géants suit le plus souvent Al, de son premier double meurtre jusqu’à l’hécatombe (dont le lecteur ne connaîtra la nature réelle qu’à la toute fin du roman), mais il l’entraperçoit également parfois de nos jours, dans sa prison, alors qu’il souhaite écrire sa biographie, le texte même qu’on est en train de lire.
Marc Dugain choisit de ne pas sombrer dans le morbide : pas de description des crimes, pas de scènes sanglantes dont tant d’auteurs français de thrillers ou romans policiers se repaissent et qui sont tout simplement insupportables. Marc Dugain transporte son lecteur dans la psyché de son personnage qui pour être malade n’en est pas moins très lucide. Edmund Kemper à vingt ans l’était-il vraiment ou est-ce une facilité d’écriture pour pointer la folie froide ? Le jeune homme est tout à fait conscient de ce qu’il fait, il peut même expliquer en termes psychiatriques d’où vient son problème. Il explicite sa souffrance, démonte ses mécanismes et parvient à sa source. Rien de bien original d’ailleurs, son problème s’appelle maman, une maman qui le frappait, a fait de la cave sa chambre et ne lui a jamais manifesté le moindre amour.
Ma mère avait pour moi les yeux d’un cheval pour son propre crottin, mes sœurs me regardaient comme un obstacle entre elles et le réfrigérateur, ma grand-mère comme son souffre-douleur et mon grand-père comme le type qui allait lui causer des ennuis avec sa femme. Après avoir vécu tout cela, il y avait des raisons de culpabiliser, de se dire qu’on doit bien être un monstre pour mériter un traitement aussi unanime…
Rien de bien nouveau sous le soleil des tueurs en série, et certains passages d’Avenue des géants m’ont de fait paru un peu longs. Le plus réussi me semble être la plongée profonde dans le délire de Kenner qui tout en tuant (on le devine même s’il n’en parle pas), devient le quasi gendre et collègue du chef de la Crim’ de Santa Cruz, Californie. Et pas à n’importe quel poste : il traque un type qui a le même profil que lui, son quasi jumeau psychologique, et les flics ne soupçonnent rien… Ce qui dans l’histoire d’Edmund Kemper relève de la fiction.
L’évidente atrocité de ses crimes n’apparaissant qu’à la toute fin d’Avenue des géants, le lecteur plaint pendant trois cents pages ce pauvre type que la vie n’a pas gâté. Il n’a eu de chance ni avec son physique ni avec sa famille, et on se prend à penser que dans un autre terreau, son QI supérieur aurait donné quelqu’un d’autre. La société y est certainement pour quelque chose, cette Amérique de la guerre du Vietnam qui donne à certains jeunes gens le permis de tuer légalement, cette Amérique de la liberté sexuelle et de la contre-culture si étrangères à Al Kenner enfermé dans un corps qui ne s’éveille qu’au morbide.
A l’inverse de ce que Thomas Harris a fait d’Edmund Kemper, Al Kenner n’apparait pas au final comme un monstre. Son seul meurtre décrit est celui de ses grands-parents, tous les autres sont passés sous silence. On ne voit qu’un jeune homme souffrant et un vieil homme plutôt débonnaire qui enregistre des livres pour les aveugles. Il est plus pitoyable que monstrueux. On contemple un destin raté, une vie gâchée et malgré sa froideur, Al Kenner passe plus pour une victime que pour un tueur psychopathe. Serait-on en face d’une entreprise de réhabilitation ? Impossible combat que celui de sauver un monstre, ce que Dugain traduit en inventant le personnage de Duigan, le flic qui essaie de trouver une place pour Al dans la société, allant jusqu’à lui donner sa fille en mariage. Duigan échoue car Dugain sait le combat perdu d’avance : que faire d’un type qui utilise la tête décapitée de sa mère comme cible aux fléchettes ?
Marc Dugain sur Tête de lecture.
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Avenue des géants
Marc Dugain
Gallimard, 2012
ISBN : 978-2-07-013235-5 – 350 pages – 21.50 €
Bonjour, je l’ai fini il y a quelques jours et j’ai programmé ma chronique pour le 21 (challenge oblige). Tout comme pour Claustria, l’horreur est susplantée par l’analyse psychologique. Bizarre, mais des personnalités complexes comme celle-ci, j’aime tenter de les comprendre et les deux auteurs y arrivent très bien. Dans celui-ci, il y a en plus, le suspense garanti par la construction habile du récit.
Le personnage de Dugain est beaucoup moins monstrueux que Fritzl, et pourtant Fritzl n’est pas un meurtrier, il n’a pas éviscéré de jeunes filles ni joué aux fléchettes avec la tête de sa mère… c’est quand même gênant qu’il soit finalement plutôt sympathique ce Kenner, je suis sûre que si on voyait des photos des corps maltraités, il le serait tout de suite moins… Qu’a voulu faire ici Dugain ? Explorer l’intériorité d’un assassin, oui, mais je ne trouve pas que sa folie soit si évidente.
Pour ma part, je l’ai trouvé passionnant, comme tout ce que j’ai lu de Dugain jusqu’à présent …
je l’ai trouvé intéressant moi aussi mais j’aimerais en savoir plus sur la démarche de l’auteur.
Bonjour,
Moins convaincue par celui-ci que par d’autres du même auteur ( « La malédiction d’Edgar » notamment). J’ai été gênée par la position dans laquelle nous met l’écriture à la première personne. Etre dans la tête de ce vicieux, pervers, haineux personnage en sachant que tout n’est pas raconté (heureusement d’ailleurs !) m’a un peu gâché le plaisir de l’écriture.
Moi aussi je suis mal à l’aise au final parce que, pour reprendre tes adjectifs, ce type ne me semble pas vicieux, pervers, haineux alors qu’il l’est certainement…
De cet auteur j’avais lu un recueil de nouvelles, j’avais apprécié, sans être transportée, et celui-ci décidément ne me tente pas…ni le thème ni le traitement…un autre peu^-être?
Il est vrai qu’entrer dans les pensées d’un tueur en série n’est pas forcément tentant…
L’écriture de marc Dugain ne m’inspire pas : trop de froideur dans le style à mon goût. Mais peut-être ai-je tort ?
Dans ce roman, je crois que la froideur du style convient au personnage.
Aucune envie de lire ça… il faut dire que je viens de terminer un Chattam, me voilà vaccinée contre les livres qui parlent de tueurs en série pour au moins 10 ans…
Pas de scènes gore ici pourtant, c’est bien plus intéressant.
Bonjour Ys, si je comprends bien, tu n’as pas trop apprécié le roman, à moins que je me trompe. C’est vrai que le personnage central est monstrueux mais tout reste relativement neutre. Personnellement, j’ai trouvé le traitement du sujet assez culotté. Bonne après-midi.
Si, j’ai apprécié ce que j’ai lu, mais je me pose beaucoup de questions qui restent sans réponse…
Je suis davantage tentée par La malédiction d’Edgar.
Je le suis aussi, ça viendra. La nouveauté est passée devant, comme souvent…
j’ai pourtant très envie de le lire
Et moi je suis curieuse de lire ton avis.
J’ai aimé ce live sans aucun bémol !
J’en ai quelques uns, mais je l’ai apprécié quand même.
Je ne sais pas si je vais choisir Dugain dans cette catégorie. je vais voir! Il me fait un peu peur! Quel écrivain me conseilles-tu?
La saga de François Tallandier me tente particulièrement, c’est intrigant. Trouve un résumé ou une critique sur le net, tu verras. J’ai ai entendu parler dans feu l’émission « Jeux d’épreuves » et depuis je l’ai notée sans encore passer à l’action… Et Littell me tente aussi beaucoup, il faut que je me motive…
Ton interrogation finale me laisse perplexe…
Il va falloir que je me mette en quête d’interviews de l’auteur…
J’ai beaucoup aimé . Dugain parvient à manipuler le regard du lecteur, on est pris d’empathie pour le tueur … j’ai même eu de la compassion pour lui !
Moi aussi, mais la question est : pourquoi Dugain veut-il que le lecteur compatisse ? Ce type est un sadique criminel de la pire espèce…
Il m’attire beaucoup, je ne sais pas pourquoi je ne l’ai toujours pas lu d’ailleurs !
Ça ne fait pas encore longtemps qu’il est sorti, et je trouve qu’on en parle moins que ce à quoi je m’attendais. Je te souhaite bonne lecture.
Les questions que tu te poses quant aux intentions de l’auteur et à sa manière de présenter le « héros » m’interpellent. Pas au point d’avoir envie de lire ce roman, mais je serais curieuse, effectivement, d’entendre l’auteur en parler pour savoir quel était son dessein.
Je viens d’écouter Le Masque et la plume qui ne m’a pas éclairée sur le sujet, ce qui ne m’étonne pas…
J’ai déjà lu « La chambre des Officiers »; très beau roman sur les gueules cassées de la Grande Guerre. Je voudrais lire « La malédiction d’Edgar » et « Une exécution ordinaire ». Maintenant, il me faut ajouter « Avenue des géants » tellement ta chronique est intrigante…
Belle chronique. A bientôt.
Moi aussi j’ai bien envie de lire La malédiction d’Edgar. J’y viendrai. Bienvenue sur ce blog Benoit.
Je dois avouer avoir été déconcertée par ce roman. Déjà le style m’a franchement dérangée, je sortais d’une lecture de Jim Harrison, au style bien plus littéraire… Et j’ai trouvé de nombreuses longueurs, et si j’ai trouvé le procédé original, je n’ai pas franchement aimé cette lecture !
Moi aussi j’ai aimé avec des bémols. Je n’aime pas le gore non plus mais le côté finalement plutôt conventionnel de ce roman ne me semble pas forcément bien convenir au sujet – j’aurais peut-être attendu plus de complexité, d’opacité, quelque chose de plus surprenant…