A chercher un adjectif pour qualifier Sept yeux de chats, on hésite entre virtuose et vertigineux. Bien d’autres s’imposent pour traduire à la fois la maîtrise narrative de Choi Jae-hoon et l’impression pas déplaisante d’avoir été l’objet d’un jeu. Il est justement beaucoup question de traduction dans ce roman, ainsi que de jumeaux, d’épilepsie, de papillons, de tueurs… mais tentons d’abord de le résumer…
Sept yeux de chats se compose de quatre parties. La première, « Le sixième rêve », raconte la réunion de six forumeurs adeptes des tueurs en série qui ne se connaissent que virtuellement. Ils ont été conviés par le webmaster surnommé le Diable à se retrouver dans un chalet isolé. Mais celui-ci est absent. Les convives boivent et discutent en l’attendant et bientôt, l’un d’entre eux est retrouvé assassiné. Puis un deuxième, puis un troisième… La tension monte, il n’y a rien à manger, ils se soupçonnent les uns et les autres et disparaissent de même.
Dans la deuxième partie, « Équation d’une vengeance », six narrateurs prennent successivement la parole et racontent leur vie. Certains détails biographiques font ressembler ces personnages à ceux de la première partie, sauf que qu’ils ne concernent plus les mêmes personnes. Les portraits y sont plus touffus, mais ils sont mélangés, au point que la vie d’Untel rencontre celle d’un autre personnage, qui n’est pas vraiment le même. J’espère que vous suivez…
Parce que si vous avez décroché, la troisième partie, « π », va vous sembler encore plus bizarre. M. est traducteur. Parfois, il s’autorise à modifier quelques détails dans les romans qu’on lui donne à traduire du japonais au coréen. Un jour, il fait mourir la hérissonne d’un personnage. Lequel l’appelle pour le lui reprocher. Puis c’est une maison d’édition qui l’appelle et lui demande de traduire un roman, Sept yeux de chats. Du japonais au coréen bien sûr. M. a rencontré une femme qui vit désormais avec lui et qui chaque nuit lui raconte une histoire qui l’empêche de dormir. A moins que ça ne soit le narrateur qui a rencontré la femme, le narrateur qui a inventé le personnage de M. bien sûr, vous m’avez dit que vous suiviez…
Pour ne pas sombrer dans un galimatias qui vous ferait certainement fuir ce roman fascinant, je ne résumerai pas la quatrième partie qui est elle aussi une mise en abyme.
A l’infini, l’auteur coréen imagine des variations autour de plusieurs histoires et personnages, les mêlant et emmêlant avec une dextérité qui force l’admiration. Les caractéristiques des uns et des autres s’échangent selon le bon vouloir d’un auteur qui ainsi transgresse plus d’une règle romanesque. Une grande part est faite au rêve et à la schizophrénie pour faciliter les glissements identitaires. Mais la folie n’est pas une simple ficelle, c’est bien sur la virtuosité narrative que repose tout le talent de cet auteur.
L’ayant lu quasi d’une traite, je ne me suis pas sentie perdue dans cette lecture vertigineuse qui par bien des aspects m’a rappelé le non moins étonnant Jardin des sept crépuscules de Miquel de Palol. Les références littéraires, cinématographiques, picturales et musicales sont nombreuses et quasi exclusivement occidentales : Hitchcock, Polanski, Oscar Wilde, Schubert… un moyen d’être quasi comme chez soi en lisant de la littérature asiatique…
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Sept yeux de chats
Choi Jae-hoon traduit du coréen par Lim Yeong-hee et Françoise Nagel
Picquier, 2014
ISBN : 978-2-8097-0981-0 – 325 pages – 19,50 €
Ilkopkaeeui Koyanginun, parution en Corée : 2011
Excuse moi, je reviendrai sur ton billet plus tard, juste aperçu quelques mots prometteurs, car je l’ai demandé à la bibli, j’espère qu’il arrivera à temps pour l’éditeur du mois!
Lis-le quoi qu’il en soit car c’est vraiment ébouriffant. Au début, j’avais consciencieusement noté sur un papier les détails et caractéristiques des uns et des autres, puis j’ai lâché l’affaire pour mieux me laisser submerger : un grand plaisir.
un peu peur de me lancer dans ce vertige, et pourtant tu en parles très bien et puis je suis trop en retard sur tellment de livres… mais je trouve la couverture très belle
Le mieux je crois pour lire ce livre, est de disposer d’un peu de temps. Je l’ai lu quasi d’une traite, tous les personnages bien en tête et le plaisir était grand.
Un de ces romans qui est dans ma PAL et dont je ne savais plus pourquoi (le mot chat et la couverture ? ) Mais là tu as attisé ma curiosité et donné l’envie de l’en sortir, c’est évident …
Au moment d’entamer ce mois Philippe Picquier, j’ai regardé ce que j’avais sur mes propres étagères et j’ai trouvé, entre autres Sept yeux de chats et Les huit chiens des Satomi : tu vois le résultat…
Finalement, après un début enthousiaste, je me suis enlisée et j’en sors un peu mitigée. J’ai trouvé que la bonne idée de départ n’était pas exploitée au mieux, mais il semble que je sois une des seules à penser ça. Mais attention, ça reste une bonne lecture ! J’en attendais peut-être plus.
Mon billet paraît demain… j’ai eu un peu de mal à le rédiger, ne voulant pas trop en dire, tout en donnant envie, parce que c’est vraiment une expérience à vivre !
C’est le même roman que moi ???
Oui, le hasard a bien fait les choses : j’ai repéré ce titre sur le blog d’A girl from earth il y a quelques semaines, et je venais juste de le terminer quand j’ai reçu ton mail annonçant l’éditeur de mars !!
Cela semble fort original… je prends note, pas forcément pour ce mois de mars ! 😉
Je ne m’attendais pas du tout à apprécier autant, car il faut bien dire que je suis un peu fâchée avec la littérature asiatique. Et je suis sûre que tu apprécieras aussi.
Auteur adoubé chouchou depuis que j’ai lu ce livre renversant et assez unique en son genre ! C’est un véritable génie ce type ! J’ai toujours Le Château du baron de Quirval qui m’attend dans ma PAL et je me réjouis d’avance de sa lecture.^^
C’est après lecture que je me suis rendu compte que l’auteur était aussi celui de ce roman paru chez Decrescenzo que j’ai noté depuis belle lurette mais sans jamais le trouver dans aucune des bibliothèques que je fréquente. Moi, la littérature asiatique bourrée de références européennes, ça me va 😉
Si je me suis perdu en lisant ton joli billet, comment ne pas avoir peur de céder à la tentation.
Le Papou
C’est difficile d’écrire sur un tel roman. Passer par une description, un résumé c’est réduire tout l’art de l’auteur. Mais pour donner envie, il faut bien en dire un peu. Alors je suis contente si je t’ai appâté 🙂
J’avais repéré la couverture 😉 Il faudra que je le lise !
Bon weekend 🙂
Bon dimanche à toi : j’espère que tu liras de belles choses, notamment chez Picquier 😉
je suis partagée. Ta chronique est très alléchante mais j’ai vraiment peur de m’y perdre. Cruel dilemme.
Si tu lis vingt minutes par jour et mets dix jours à le lire oui, tu seras perdue. Mais si à l’occasion tu peux t’y plonger pleinement, n’hésite pas.
je note 🙂
Oh oh ! Je le note illico, celui-là !
Ça me fait plaisir : je ne pensais pas qu’un jour je conseillerais un roman coréen avec tant d’enthousiasme !
Comme quoi, on peut toujours être surpris ! Je suis en train de lire un roman chinois et suis aussi toute étonnée (& ravie) de l’adorer.
Tentant, je le note et, si je le trouve à la bibli…
C’était l’année France-Corée l’an passé et la Corée était invitée au Salon du Livre de Paris : les bibliothèques ont un peu réassorti leur fonds à l’occasion, ça doit être possible de le trouver.
Relecture attentive de ton billet après relecture attentive de celui d’inganmic. Je me dis bon, elles ont adoré toutes les deux, donc normalement, je fonce … Mais asiatique … Toutes mes expériences (peu nombreuses et pour cause !) de lectures d’écrivains japonais m’ont laissée pour le moins dubitative. Et puis, je vois coréen, donc, superbe excuse pour me laisser tenter, finalement ! et j’aime bien l’idée de la mise en abime, c’est un truc littéraire qui me parle.
Moi non plus je ne suis pas littérature asiatique du tout. Je me suis mise à la littérature coréenne par la force des choses (…) et je n’ai pas non plus de grand amour pour la japonaise. Mais franchement ce Choi Jae-hoon n’a que des références occidentales et une culture très vaste en la matière. Lis-le, il te plaira forcément.
Je vais le noter parce que cela m’intrigue un peu, mais plutôt pour le prendre à la bibliothèque : je ne voudrais pas être trop ambitieuse dans mes lectures tout de même.
Je t’assure qu’il n’est pas difficile à lire si tu as un peu de temps à lui consacrer, bien moins complexe par exemple que Le Jardin des sept crépuscules qui s’étale quand même sur plus de mille pages !
Tu donnes très envie…
Le titre me tentait bien, mais je crains de me perdre un peu.
Consacre-lui un week-end et tu ne le regretteras pas.