Ouvrir ce Manuel de survie à l’usage des jeunes filles, c’est entendre la voix de Sal, treize ans et en cavale. Elle vient de tuer son beau-père qui abusait d’elle depuis des années, d’enfermer sa mère dans sa chambre pour qu’elle ne soit pas soupçonnée du meurtre et d’emmener avec elle sa sœur Peppa, dix ans. Les voilà parties pour une vie d’aventures, en pleine nature en ce mois de novembre écossais.
Si ses résultats scolaires laissent à désirer, Sal est loin d’être idiote. Elle a minutieusement préparé son crime et sa fuite, notamment grâce à des vidéos Youtube. Et au Guide de survie des forces spéciales qu’elle potasse depuis longtemps. Elle sait donc construire une cabane et allumer un feu sans allumettes, elle a tout ce qui est nécessaire pour la vie en plein air et connaît les dangers qu’elle doit affronter. Elle ne craint rien car sa détermination est sans faille : elle doit empêcher Robert d’abuser de Peppa comme il abuse d’elle.
Sal est précise voire minutieuse. Elle sait que sa survie tient à sa connaissance de la nature aussi connait-elle le terrain, les arbres, les plantes et les animaux qui l’entourent. Elle sait chasser et pêcher, elle a le matériel pour car depuis longtemps elle détourne de l’argent grâce aux cartes bancaires volées par Robert.
Jamais Sal ne se laisse aller aux émotions, jamais elle ne flanche. Sa voix pourrait donc être froide mais à travers ses phrases courtes et descriptives pointe une histoire qu’elle délivre ponctuellement avec un naturel désarmant. C’est cette simplicité et cette crudité d’énonciation qui disent le drame de la jeune fille. Elle-même ne se plaint jamais mais cherche au contraire veiller sur son feu follet de petite sœur comme elle l’a toujours fait. Comme elle a également veillé sur sa jeune mère battue et alcoolique.
Quand quelqu’un meurt, à la seconde où il cesse d’être en vie, toute l’énergie qu’il y a en lui le quitte. C’est comme un nuage invisible qui s’élève au-dessus de lui. Je l’ai vu sortir de Robert pendant qu’il saignait et qu’il faisait « ock » sur mon lit. Quelque chose qui était là sans être là était sorti de lui et il était mort. Après il n’était plus que de la viande qui saignait.
Ce que raconte ce Manuel de survie à l’usage des jeunes filles est très rude. Pourtant, la langue de Sal lui confère un certain humour et même de la légèreté. Sal a beau être blessée psychologiquement, dans une situation extrême et dangereuse, elle conserve la légèreté et la fraîcheur de l’enfance. Elle n’est certes plus insouciante mais elle jette sur le monde un regard simple et sans illusions qui témoigne de sa jeunesse. Elle n’est pas retorse et va droit au but avec pragmatisme et franchise. Son insatiable soif de savoir, qu’elle étanche sur le net notamment via Wikipedia achève d’en faire un personnage hors normes.
La nature est par ailleurs omniprésente dans ce roman. Sal et Peppa sont à la merci du froid, du vent, de la faim et des brochets qui n’entendent pas se laisser facilement pêcher. Sal observe, écoute, s’imprègne des paysages et utilise la forêt tout en la respectant. Elle décrit énormément, parfois trop, ces Higlands où elle établit son campement, loin du monde, de la police et du cadavre de Robert. Loin de sa mère aussi, insupportablement loin : il va falloir aller la chercher, la sortir du centre de désintoxication dans lequel elle se trouve.
La voix de Sal est convaincante. Par ses répétitions, son argot, sa façon de passer d’un sujet à un autre elle emporte le lecteur qui entend une jeune adolescente de treize ans. Une adolescente blessée et abusée et pourtant très vivante et dynamique. Car malgré les terribles sujets qui sous-tendent son propos Mick Kitson laisse parler l’enfance, la vie et la nature sans attendrissement ni mièvrerie.
Anne-Marie Métailié présente ce roman
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Manuel de survie à l’usage des jeunes filles
Mick Kitson traduit de l’anglais par Céline Schwaller
Métailié, 2018
ISBN : 979-10-226-0800-8 – 246 pages – 18 €
Sal, parution en Grande-Bretagne : 2018
Il m’a été recommandé par la libraire d’Amboise (encore elle !)
On dirait que tu as bien fait de t’aventurer dans notre belle région : on y trouve plein de bons conseils 😉
Heu, en dépot de la nature (tu connais mes goûts) je ne me sens pas attirée par ces soeurs sel et poivre. Marre des incestes et de la survie dans la nature?
Il y a en effet pas mal de nature, un chouïa trop pour moi, mais je t’assure que la question du traumatisme est traitée de façon très délicate, presque en arrière plan. Ce qui compte surtout ici ce sont les rapports les deux soeurs et la force de Sal.
Comme Keisha … L’inceste et la survie dans la nature, on dirait qu’il y a un filon ? Mais tu as mis à lire, et humour et légèreté, alors ma foi, dans un coin du carnet, je note quand même …
Je ne sais pas s’il s’agit d’un filon car en vérité, je lis assez peu de romans qui ont pour sujet principal ou dominant la nature. Et oui, malgré la gravité de la situation des deux jeunes filles, il y a bien de l’humour et de la légèreté dans ce livre, ce qui n’est pas une de ses moindres qualités.
Je l’ai noté, très tentée
L’argot de Sal ? Voilà qui aurait tendance à me faire fuir.
Il est tout à fait compréhensible, elle parle juste comme un ado, mieux même que beaucoup que je fréquente…
j’ai aimé cette lecture, et je vais en parler bientôt . La nature permet d’accueillir tous les blessés de la vie, même si les humains ne la respecte que très peu.
Si la nature les accueille si bien, c’est aussi parce qu’elles la respectent, je pense, juste retour des choses…
J’ai peur que ce soit un peu dur pour moi.
Beaucoup aimé ce premier roman, il faut que je trouve le temps d’en parler… mais tu as déjà tout dit 🙂