Underground Airlines de Ben H. Winters

Underground AirlinesAprès une lecture en demi teinte de l’encensé Underground Railroad de Colson Whitehead, il me fallait lire Underground Airlines (publié avant le roman de Whitehead aux États-Unis), même si ma précédente lecture de Ben Winters ne s’est pas révélée concluante (oui, je suis une lectrice difficile…). Une version aéronautique des chemins de la liberté ? Non, une version uchronique et pour ce qui est du moyen de transport, tout aussi métaphorique.

Nous voilà donc dans une Amérique du XXIe siècle où l’esclavage n’a pas été totalement aboli. Dans les Hard Four, on pratique un esclavage dit non violent, en théorie. Victor, appelons-le comme ça, sait ce qu’il en est. Il a grandi dans un de ces états, travaillant dans un abattoir, et son passé le hante. Il a réussi à fuir, à passer la Clôture pour rejoindre la Patrie de la Liberté. Mais il est tombé sur un marshal.

Le marshal Bridge a conclu un marché avec Victor : il sera un Noir « libre » s’il accepte de devenir chasseur d’âmes. Il devra traquer les Noirs fugitifs comme lui, trouver leur planque et les dénoncer à Bridge. C’est simple. Et c’est une excellente trouvaille romanesque. Un Noir qui en traque d’autres sans arrière-pensées juste pour être libre, sans se soucier des autres, en voilà un bon personnage, original. Ça change des redresseurs de tort. On se dit bien que notre Victor sera en quête de rédemption, mais c’est plus complexe que ça, toujours vraiment bien.

C’est que Victor a beau être libre, il n’en est pas moins pisté électroniquement par Bridge et surtout il vit dans un Nord plus abolitionniste par intérêt que par conviction. Il peut toujours être contrôlé et humilié sans que ça pose trop de problèmes de conscience à la grande majorité de la population.

Quand débute Undergroud Airlines Bridge confie à Victor une mission en apparence habituelle : retrouver un certain Jackdaw, fuyard. Mais ce dossier-là est particulièrement embrouillé et Bridge, qu’il ne contacte que par téléphone, n’est pas prêt à lui apporter des précisions. Victor part quand même en chasse, pas le choix, et se rapproche d’un certain père Barton, connu pour aider les fuyards. Il remonte la piste Jackdaw et découvre qu’effectivement, cette affaire-là est vraiment, vraiment spéciale.

Tout fonctionne dans Underground Airlines : l’intrigue qui tient la route jusqu’au bout, le personnage principal et surtout l’uchronie. Que se serait-il passé si les États-Unis n’avaient pas aboli l’esclavage, peut-on se demander ? Plus intéressante encore : si les États-Unis ont effectivement aboli esclavage et ségrégation, qu’est-ce que les Noirs américains vivent aujourd’hui ?

Freedman Town [un ghetto noir] est utile aux autres. Cette partie de la société qui, comme Martha, la regarde de loin, derrière ses lunettes noires. Effrayée, mais à l’abri. En créant des enclos comme celui-ci, on ne laisse d’autre choix à ceux qui y habitent que de vivre comme des animaux. Il ne reste plus qu’à les désigner comme tels aux yeux du monde et dire « Vous avez vu ces animaux ? car c’est bien le genre de personne que c’est ». Et comme ça, l’idée se diffuse dans toute la société, comme la fumée d’une usine : Noirs = pauvres et pauvres = dangereux et, petit à petit, les mots se mélangent pour devenir une seule et même idée sombre, un nuage noir dont les fumerolles nocives viennent planer dans le ciel du pays tout entier.

La science-fiction (ici l’uchronie) ne traite pas de l’avenir, mais de la société actuelle, on ne le dira jamais assez. Ben Winters interroge les relations entre Noirs et Blancs aux États-Unis aujourd’hui : quelle forme de racisme s’y pratique, de quelle forme d’esclavage s’agit-il ? Il ne se simplifie pas la tâche en choisissant pour personnage principal un Noir renégat. Et certains pourront lui reprocher d’être mal placé pour parler au nom des Noirs, lui l’écrivain blanc. Reproche  bien connu déjà adressé à William Styron pour Les Confessions de Nat Turner ou Joyce Carol Oates pour Sacrifice par exemple. Je ne sais si ces auteurs blancs sont légitimes pour parler du racisme. Ce que je pense, c’est qu’il n’est évidemment pas nécessaire d’avoir vécu quelque chose pour en faire une fiction et qu’un écrivain est avant tout un être humain. Et que rien n’est de trop pour nous amener à réfléchir, activité ô combien en perdition…

.

Underground Airlines (Underground Airlines, 2016), Ben H. Winters traduit de l’anglais (américain) par Eric Holstein, Actu SF (Perles d’épices), octobre 2018, 435 pages, 19,90€

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s