En 2058, Internet tel que nous le connaissons aujourd’hui a disparu, remplacé par le Réseau. Incontournable, il impose la Transparence à tous les citoyens : chacun est obligé de mettre à jour ses données personnelles et sa photo au moins une fois par an. Une très grande partie de la population fournit beaucoup plus au Réseau qui trace les sorties, achats, conversations, états de santé… Les Rienacas n’ont rien à cacher et y affichent donc leur véritable identité.
Camille Lavigne n’est pas de ces partisans de la Transparence : c’est une nonyme qui utilise un pseudo dans la vie réelle pour qu’aucun lien ne soit fait avec sa véritable identité. Dans La Transparence selon Irina, l’anonymat a donc changé de bord. Il existe même de farouches opposants au Réseau, les Obscuranets qui tentent de réveiller les consciences endormies par l’hyper technologie, le Revenu Universel et le métadicateur. Ce dernier mesure la notoriété de chacun : plus vous êtes conforme, obéissant, à la mode et plus votre métadicateur est élevé et vous avez accès à tout un tas de gadgets, passe-temps et privilèges jugés indispensables dans cette (notre) société de consommation et d’exhibition. Si votre métadicateur est à la baisse, on se détourne de vous, les portes se ferment : vous n’êtes pas tendance, c’est la honte.
Camille entretient une relation ambigüe avec Irina Loubovsky, sorte de philosophe du Réseau qui y fait la pluie et le beau temps. Le mépris et le cynisme sont ses armes et gare à ceux qui osent la contredire : en une phrase assassine, elle ruine une réputation. Camille ne l’a jamais vue mais l’admire, ne cesse d’aller dans son sens pour obtenir des miettes d’attention. Irina lui souffle le chaud et le froid sans éprouver la moindre compassion. Cynique et cinglante, elle n’a d’autre âme que le Réseau…
La vie de Camille bascule quand elle se fait quasi violer dans un bar. Choquée, elle se confie à Irina qui prend ça avec mépris : vifiste convaincue, elle pense que personne n’a besoin d’avoir de vie réelle. Il n’y a donc pas à se plaindre d’être physiquement agressé, il n’y a qu’à rester chez soi.
La Transparence selon Irina n’est pas le premier roman qui imagine les conséquences de notre addiction à Internet et aux réseaux sociaux. Nos solitudes modernes ont besoin de compagnie, nos ego de reconnaissance. Certains sont prêts à beaucoup pour un peu de reconnaissance sur la toile, pour un like, un ami Facebook de plus. Ah, être populaire… être, au moins virtuellement, celui/celle qu’on ne peut pas être dans la vraie vie… Le roman de Benjamin Fogel est d’autant plus inquiétant qu’il est réaliste car il n’a in fine pas poussé le curseur bien loin : tout ça est tout à fait plausible.
Contexte réaliste donc, mais pas d’une originalité folle. L’intrigue de La Transparence selon Irina tient la route sans être ébouriffante. La « révélation » finale est pressentie très tôt, au moins en partie : Camille fantasmant sur quelqu’un qu’elle n’a jamais vu, tout est imaginable. Je ne rejoindrai donc pas la cohorte des hyper enthousiastes : La Transparence selon Irina est un roman intéressant. Comme les autres romans dans son genre, il ne changera probablement rien à notre soumission à Internet et ses gourous, à l’abandon consenti de notre intimité. Mais il exprime bien à quel point il est difficile d’être un individu face au groupe, d’échapper à la pression sociale, à l’influence des autres. Être soi-même et le rester, tout un programme…
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La Transparence selon Irina, Benjamin Fogel, Rivages, mars 2019, 271 pages, 19€