Petit manuel de résistance contemporaine de Cyril Dion

Concernant l’état de la planète et surtout de notre environnement quotidien, il y a une question que je me pose : pourquoi, surinformés que nous sommes, ne se passe-t-il rien ? Pourquoi les conséquences connues de tous de la pollution, de l’élevage industriel, de l’industrie agro-alimentaire, des déchets mobilisent-elles si peu de gens ? Tout le monde sait mais quasi personne ne fait rien à part râler contre les étés trop chauds, les hivers trop doux, y’a plus de saisons…

Les gens regardent un documentaire sur l’urgence de ralentir puis s’en retournent faire leurs courses au supermarché, acheter des produits bas de gamme parce qu’ils ne sont pas chers (mais dépenser toujours plus dans des abonnements qui les rivent à leurs écrans), salir le monde par leurs emballages, leurs déplacements, leur consommation irresponsable. Pourquoi leur cerveau ne fait-il pas le lien ? Pourquoi ce déni ?

Si on ne change pas, c’est que le changement semble impossible. Nous sommes conditionnés par ce que Cyril Dion dans son Petit traité de résistance contemporaine appelle un récit. Nous vivons tous aujourd’hui dans une société construite sur la croissance. Depuis les années 50, nous évoluons dans une société qui nous dit que pour être heureux il faut consommer, il acheter, il faut avoir. C’est un schéma inconscient qui ancre nos habitudes. On ne fait pas autrement car on a toujours fait comme ça, nos parents avant nous. C’est notre mode de penser, notre histoire notre récit :

Aujourd’hui, c’est aux flancs de cet écrasant récit, fait de prouesses technologiques, de vacances sur des plages paradisiaques, d’écrans plats, de smartphones, de filles à moitié nues, de voitures serpentant à flanc de montagne dans des décors de rêve, de livraisons en vingt-quatre heures sur Amazon… que nombre d’écologistes se heurtent.

Le récit écologiste, fait de renoncements et de sacrifices (être végétarien est un renoncement de chaque jour), se heurte à la vie de divertissements proposée par les écrans. Un garçon de 13 ans passe 6,71 heures par jour en moyenne devant un écran. Ainsi entretient-il la fiction du bonheur dans la consommation, sans même sans rendre compte. Le monde réel et ses contraintes sont mis à distance. Chacun peut oublier grâce à Youtube, Netflix, les chatons, le porno que le monde va mal et qu’on ne vivra jamais le mirage qui nous est proposé.

Oui, pour sortir le monde de la merde dans laquelle il se trouve, il faut renoncer au confort, au rapide, au facile. Et il faut comprendre qu’en renonçant à tout ça, on sera plus heureux, beaucoup plus heureux.

Comment faire passer ce message ? Ce que je crois, je l’ai lu dans ce livre de Cyril Dion : il faut montrer aux autres ce qui est possible. Faire autrement permet à tous de voir qu’il est possible de faire autrement, pas besoin de discours. Quand j’étais enseignante, un collègue est arrivé avec un mug et il m’a dit : « finis les gobelets de café jetables ». Vous imaginez à quel point ça m’a fait plaisir. Évidemment, je hais les dosettes de café et j’allais travailler avec ma thermos de café (que je transportais donc à bicyclette avec mes dossiers, mes cours, mon ordinateur et mon déjeuner : oui, tout est possible quand on le veut). Je le faisais parce que je crois que c’est bien, que je me sens bien en le faisant et parce que je me dis que peut-être, certains me verront et se diront qu’ils peuvent le faire aussi.

La somme de ces choix établit notre propre récit, celui que nous proposons chaque jour aux personnes que nous croisons, que nous connaissons, qui partagent nos journées de travail, nos repas, nos soirées, notre maison, notre lit… L’une des choses qui ont le plus d’influence sur nos orientations personnelles ou professionnelles est le regard de notre entourage . Plus une pratique est communément admise, valorisée par notre milieu social, notre contexte socioprofessionnel, la société en général, plus nous avons tendance à l’adopter. Changer notre récit personnel [c’est-à-dire notre façon de vivre] est donc un acte de résistance particulièrement puissant. Il ouvre un espace dans lequel d’autres peuvent s’engouffrer et accorder leur récit à celui que nous avons créé. Il est plus facile à quelqu’un de dire qu’il ne mange pas de viande si deux personnes le disent aussi autour de la table d’un dîner

J’ai compris il y a peu que j’étais ce qu’on appelle une écologiste radicale. Je ne le savais pas parce que pour moi, les écolos radicaux sont des agités du bocal qui font chier tout le monde avec leur moraline. Moi je ne suis pas chiante, non messieurs dames, et je ne tiens aucun discours. Je ne critique personne, ne fais pas de remarques sur le comportement des gens autour de moi. Mais je fais les choses, les gens me voient et ils ne peuvent pas dire que c’est impossible. Je ne recycle pas ou peu car je ne fais pas ou peu de déchets (le recyclage donne bonne conscience aux gens, pour moi, c’est totalement contre productif) ; je n’achète quasi pas de neuf (j’achète d’occasion ou je fais réparer) ; je ne mange pas d’animaux ; je consomme peu d’eau ; j’achète local (pas forcément bio) et sans emballage et croyez bien que c’est très contraignant, très.

L’argument à la mode pour dédouaner tout un chacun des efforts qu’il pourrait faire (car oui, changer demande des efforts quotidiens) est d’affirmer que le problème ne vient pas des individus mais qu’il est systémique : ce sont les grandes entreprises qui polluent, l’agriculture qui pourrit la terre. C’est le discours véhiculé par Derrick Jensen dans son documentaire Oubliez les douches courtes. Mais : 

Si les grandes entreprises ou les collectivités polluent, gaspillent, détruisent, c’est dans l’objectif de produire des biens de consommation ou des services destinés à des individus. Si ces individus cessent d’acheter ces produits et ces services, ces activités ne pourront que se réduire. 

C’est exactement ce que disait Coluche : « Quand on pense qu’il suffirait que les gens arrêtent de les acheter pour que ça ne se vende plus, quelle misère ».

Comme Cyril Dion, je crois aux petites batailles qui amènent de petites victoires mais des avancées significatives pour tout un chacun. Les gens ne se mobilisent pas pour lutter contre le changement climatique : plus l’objectif est grand, plus il est décourageant. On sait mais on évite d’y penser car on se sent impuissant. Il faut voir grand oui, aussi grand que la planète, mais commencer petit.

La somme de petits défis réalisables vous conduira vers le changement. Vous, moi, nous, c’est-à-dire la société car une société est une somme d’individus. Si vous ne voulez plus d’Amazon alors ne commandez plus ; si vous ne voulez plus que des gens aient des boulots de merde alors ne commandez plus via Uber Eats (c’est un exemple parmi d’autres de bullshits jobs). Dites non par des actes et arrêtez de vous plaindre du temps qu’il fait.

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Petit manuel de résistance contemporaine

Cyril Dion
Actes Sud, 2021
ISBN : 978-2-330-15557-5 – 256 pages – 8, 20 €

14 commentaires sur “Petit manuel de résistance contemporaine de Cyril Dion

  1. (bizarre, j’aurais juré l’avoir lu. Bref. En tout cas, tu connais Le syndrome de l’autruche, de George Marshall? Plus compliqué, je préfère Dion, mais intéressant)
    Alors oui? Je ne te savais pas radicale? Prendre son vélo ou préférer le train n’est pas toujours évident (surtout quand il y a des travaux dans le coin, ça je râle)(je me prévois 3 h d’attente en gare de Tours bientôt)(m’en fiche de prendre le train, j’ai du bouquin). Sinon, ne plus manger d’animaux n’est pas si difficile! Sauf au restau, parfois je transige . Mon sac poubelle de 20L met des semaines à se remplir (OK j’ai encore des emballages, mais j’en réutilise certains). Je râle intérieurement quand un champ de maïs est arrosé. ^_^
    Sinon, que faire quand tout autour ça continue à brûler?

    1. Je ne me sens pas si radicale que ça… juste concernée et active à mon échelle. Et surtout, je n’ai pas les réponses : je ne sais pas ce qu’il faut faire contre tel ou tel problème, mais je crois savoir ce qu’il vaut mieux ne pas faire… comme tout le monde en fait, tout le monde sait ce qu’il ne faudrait plus faire mais très peu de gens passent à l’action (car c’est fatigant, chronophage, peu pratique…etc.), c’est ce qui me désole…

  2. J’ai pris petit à petit suivi le chemin que tu décris, je ne mange plus de viande depuis bien longtemps, je cuisine plus, des produits locaux, je congèle, je recycle … Bref, je ne vais pas décrire mes habitudes en détail. Je ne me sens pas radicale, juste en accord avec ce que je peux faire à mon niveau. Mais ce qui me fait hurler, c’est le discours culpabilisant adressé aux petits consommateurs comme nous ! Et en regardant l’actualité de ce jour, je hurle encore plus ! A quoi cela sert que je ne prenne plus que les transports en commun et mon vélo, si on envoie une fusée sur la lune ? Bullshit !!!!

    1. Il te reste à arrêter les infos ! Pour moi, ni radio ni télé, seuls quelques médias en ligne soigneusement sélectionnés. Car j’en ai marre du prêt-à-penser,des doctrines toutes faites et de la fausse indignation, du discours pseudo militant suivi d’une page de pub.
      Et je ne congèle plus non plus : en ce moment, c’est conserves et confitures pour réduire ma dépendance à l’électricité. Ça prend certes beaucoup plus de temps que de congeler mais je ne perdrai pas tout à la moindre coupure (en Bretagne en février, on est resté 34 heures sans électricité…).

      1. Et les podcasts aussi, c’est très bien pour entendre de l’intelligence non formatée ! Pour les bocaux, j’ai tenté mais j’ai perdu pas mal de mes productions maison. Un savoir faire que je ne maitrise pas …
        Sinon, comme toi, je ne sais pas trop ce qu’il faut faire et effectivement, consommer différemment prend du temps, j’en profite pour écouter des podcasts … Notamment sur ces sujets qui m’intéressent.

      2. Oui c’est vrai, il y en a de très intéressants. Mais il faut un jour passe à l’action 🙂 Pour les conserves, ça viendra : tu n’as pas raté tes crêpes la première fois que tu en a fait ? Tu n’es pas tombée de vélo la première fois ? Allez courage, c’est super de manger de la soupe de courgette maison en plein hiver !

  3. Il est sur France-Inter hier matin Cyril Dion, toujours aussi calme. Je me rends compte que j’ai eu de la chance de tomber sur des écolos tendance Dumont avant mes 30 ans (la plupart végétariens). C’est avec eux que j’ai commencé à aborder tous les problèmes qui explosent aujourd’hui. Evidemment ils passaient pour de doux dingues, mais ça m’a permis de changer déjà d’alimentation et de bannir tous les produits raffinés. Je n’ai jamais eu de congélateur, en ville je trouve facilement du vrac, des petits producteurs sur le marché. J’ai encore de gros progrès à faire dans tous les domaines, ça viendra. Radical, ça commence à être l’expression à la mode quand on veut disqualifier tes propos ..

    1. Tu as fait les bons choix à l’époque car tu étais déjà vigilante : on ne peut pas dire que l’écologie ait fait du bruit ici avant les années 90… mais comme chacun sait, il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre…
      Je vis les 3/4 du temps à la campagne désormais, le fin fond de la Bretagne et si certaines choses y sont plus faciles (compost, potager, toilettes sèches…) les déplacements sont extrêmement compliqués : impossible de ne pas voir de voiture. Rien n’est fait pour les transports collectifs et il faut être bien hardi pour s’aventurer sur les routes bretonnes à vélo (je ne parle pas de la puie, un détail, mais bien des gens alcoolisés qui roulent comme des dingues sans permis).

  4. Je ne suis pas aussi radicale que toi… mais je fais mon possible 🙂 Un livre que je lirai bien… J’ai vu demain , le film docu mais je n’ai encore rien lu de lui…

    1. Je ne me sens pas radicale mais raisonnable. Et en cette période de restriction que nous connaissons, je fais déjà depuis longtemps tout ce qui est préconisé. Par exemple, les Cotes d’Armor sont menacées de coupures d’eau à la fin du mois (d’octobre) : il faut économiser l’eau ! Pour ma part, ça fait très longtemps que je n’utilise plus l’eau potable pour ma chasse d’eau : je récupère soit l’eau de pluie, soit l’eau de l’évier et je ne tire JAMAIS la chasse d’eau remplie d’eau potable. Jusqu’à présent, on me regardait comme une hurluberlue, plus maintenant…

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