Envoyée spéciale est sans doute une histoire emberlificotée. Mais emberlificotée par Jean Echenoz, ça change tout.
Tout commence par un général qui déclare qu’il lui faut une femme. Humm, quel début, Echenoz donnerait-il dans le graveleux ? Eh bien on ne le saura que bien plus tard car chapitre suivant, exit le général et entrent scène quelques personnages dont Constance qui se fait proprement enlever par trois types. Mais alors, vous n’avez jamais lu d’enlèvement moins tragique, plus léger. L’un des kidnappeurs lui braque quand même une perceuse sous le nez mais il a l’air si prévenant que Constance monte dans le camion.
Constance l’a suivi du regard, regrettant le tour pris par cette rencontre. Car décidément, fort beau type, sous son beau bleu si bien repassé, dommage. Dommage. C’est qu’elle ne peut jamais se retenir, Constance, d’avoir ce genre d’idées, nous avons bien compris qu’amoureusement, elle est insatisfaite
De façon assez probable, son mari, Lou Tausk (« un nom pareil, Lou Tausk, a tout d’un pseudonyme mais tenons-nous-en là pour le moment, nous reviendrons sur ce point en temps utile ») , reçoit une demande de rançon. Sauf qu’il s’en fout totalement. C’est un producteur blindé de pognon grâce à un titre qui a fait (qui fait encore) le tour du monde, mais ne s’intéresse guère au sort de sa femme.
Constance et Lou, ça fait deux personnages. Plus le général et son sbire. Bon. Mais il y a aussi Pelestor, Christian et Jean-Pierre, Clément Pognel, Marie-Odile Zwang, Lessertisseur, Lucile et j’en oublie…
Quant aux lieux de l’action, on va de Paris (où Constance est enlevée) dans la Creuse (où elle est … « séquestrée »?) jusque… eh bien à vous de le découvrir, disons très à l’est. Pour ne pas vous laisser dans un brouillard total, disons que Constance a été enlevée parce qu’elle a jadis interprété « Excessif », le tube qui a fait la fortune de son producteur de mari.
Il m’est tout à fait impossible de raconter cette histoire. D’une part parce qu’elle est complexe, d’autre part car ce serait vraiment dommage. Moi je n’en savais absolument rien avant d’appuyer sur le bouton « on » de mon lecteur MP3 et d’entendre la voix de Dominique Pinon me la lire. Et puis surtout, par-dessus tout, parce que cette histoire c’est un narrateur omniprésent qui la raconte et ce n’est pas l’un des moindres charmes de ce roman loufoque à bien des égards.
Et drôle aussi. Car enfin disons-le (enfin), Envoyée spéciale est une parodie de roman d’espionnage, peuplée de personnages improbables et de situations rocambolesques. Je ne lis pas de romans d’espionnage mais racontés par Jean Echenoz, je veux bien ne lire que ça ! C’est vraiment très drôle car guidé par le narrateur qui sait tout tandis que le lecteur ne découvre qu’au fur et à mesure de détails qui n’en sont pas et de digressions savoureuses les tenants et aboutissants de l’intrigue. Manipulation, voilà qui pourrait être le grand mot d’ordre de ce roman.
On est dans la même veine rocambolesque et drôle que Vie de Gérard Fulmard (paru en 2020), parodie de roman noir où ledit Gérard se fait détective après lecture de romans policiers. Ici Lou Tausk s’est fait dans sa jeunesse braqueur après visionnage de films de gangsters des années 70/80.
Envoyée spéciale n’est pas un roman à thème, un roman sur quelque chose. Rien n’y est crédible. C’est un roman sur l’art du roman, une démonstration brillante d’art romanesque sur un mode réjouissant.
Jean Echenoz sur Tête de lecture
Envoyée spéciale
Jean Echenoz
Les éditions de Minuit, 2016 – Audiolib
ISBN : 978-2-36762-160-9 – 312 pages – 18,50 €
Tête de lecture 
Argh, Echenoz! J’ai eu ma période de Binge Reading Echenoz, et bien sûr j’ai lu ce truc légèrement à l’ouest (enfin, à l’est, on se comprend, et même extrême) Au fait, Echenoz, il a écrit nouvellement récemment, parce que je suis en manque!
Je ne sais pas du tout ce qu’il en est, il me semble en effet que son dernier livre date un peu.
Pour une fois, nos avis diffèrent… ce titre m’a profondément ennuyée (une question d’incompatibilité d’humour, peut-être ?).
Ah bon ?! Quel dommage… il est vrai que tout le monde n’a pas le même humour mais chacun n’en a pas qu’un seul non plus… peut-être qu’en l’écoutant ce serait mieux (j’ai l’air d’insister mais je ne te dénie pas le droit de ne pas apprécier l’humour d’Echenoz, c’et juste que ça me surprend tellement… :-; )
Cela correspond à mon humour, j’avais beaucoup aimé également !
Essaie Vie de Gérard Fulmard, c’est aussi drôle.
Je n’ai pas encore lu cet auteur, je verrai par quel titre commencer si je dois le découvrir.
Si tu as envie de rire, tu peux choisir celui-ci 😉
Je me le note alors, merci 🙂
Bonne journée
Une lecture qui m’avait enchantée.
Moi aussi, au point que je l’écouterais bien à nouveau !
Oh oui, j’avais tellement aimé !!Et tous ces zeugmes ^^ ! Je le relirais bien, tiens !
Tente de l’écouter, c’est un vrai plaisir.
J’adore cet auteur ! J’ai beaucoup aimé aussi Des éclairs !
Moi aussi, même si c’est un peu moins drôle.
Bonjour Sandrine, lu en 2016 et je l’avais bien apprécié comme les autres Echenoz que j’ai lus (Vie de Gérard Fulmard comprîs). J’adore l’écriture et l’humour d’Echenoz. Bon dimanche de Pâques.
Moi aussi, c’est un humour littéraire et subtil qui marche bien avec moi.
Je me demande si cet Echenoz là n’est pas celui qui m’a fait le plus sourire … Connivence, malice, clins d’oeil se multiplient … Jubilatoire ( les deux gardes du corps de Constance, grandioses … et la fin … Complétement à l’est !)
J’ai comme toi beaucoup aimé la connivence qui s’installe entre lecteur et narrateur.
C’est un de mes Echenoz préférés. Ce roman est très drôle et complètement barré.
Exactement, il donne envie d’en lire d’autres de la même eau (tous les Echenoz ne sont pas drôles, mais sont réussis quand même).