Vie de Gérard Fulmard de Jean Echenoz

Certains hommes illustres ont eu Plutarque, Gérard Fulmard a Jean Echenoz. Ainsi ce pas-grand-chose entre-t-il tout de go dans l’histoire littéraire incarné par un certain style, désormais si reconnaissable. Et pour que la postérité se souvienne de Gérard, il ne fallait rien de moins qu’un Echenoz parce que dans le genre minable, le personnage se pose là…

Ancien steward, chômeur habitant chez feue maman, Gérard Fulmard pour partie narrateur de cette Vie n’a rien d’un héros. Il est permis d’imaginer le pire sur son passé puisqu’Echenoz entretient malicieusement le mystère sur les raisons de son statut de demandeur d’emploi. Que s’est-il donc passé dans le vol Paris-Zurich pour que Gérard Fulmard soit licencié, contraint de voir un psy deux fois par mois et même déchu de ses droits civiques… ? On l’ignore mais ce que l’on sait c’est qu’il est désormais à la recherche d’un emploi, non par volonté mais par obligation : il faut bien manger.

La chance lui sourit pourtant puisque le roman s’ouvre sur le récit d’un accident pour le moins saugrenu qui permet à Gérard, locataire d’un deux-pièces, de surseoir quelque temps au paiement de son loyer : quelques boulons égarés par un vieux satellite soviétique ont opportunément occis son propriétaire. Mais bon, Gérard concrétise son idée de génie : ouvrir un cabinet de détective privé. Il n’a aucune formation ni expérience en la matière, mais il a lu beaucoup de romans policiers. Ses deux premiers clients, puisqu’il s’en trouve, ne semblent d’ailleurs pas troublés par son absence de professionnalisme.

La vie sans envergure de Gérard Fulmard nous est contée parallèlement à l’histoire d’un petit parti politique : la Fédération Populaire Indépendante. A sa tête un médiocre Franck Terrail marié à une Nicole Tourneur elle-même mère d’une Louise Tourneur dont le physique fait rêver Gérard. Ladite Nicole disparaît, enlevée, et voilà qu’une crise de succession est déclarée au sein de la FPI. Et l’insignifiant Gérard de devenir homme de main pour l’insignifiante FPI…

La vie de Gérard est-elle intéressante ? Non. Les remous au sein de la FPI sont-ils de nature à retenir l’attention ? Non. Et pourtant, c’est en se réjouissant à quasi chaque page qu’on lit ce détournement de roman noir. Jouissance du mot, jouissance du ton et de la phrase : tout est plaisant, à la fois extrêmement travaillé et léger. Les phrases à rallonge d’Echenoz nous roulent dans l’ironie et la caricature, on en veut encore de tous ces mesquins minables magnifiés par la langue.

On lit sans même se demander si l’événement, le personnage ou l’allusion ont à voir avec l’histoire, L’histoire de quoi d’ailleurs ? D’un satellite soviétique ? Du supermarché d’Auteuil ? De l’enlèvement de Nicole Tourneur ? Autant de fausses pistes abandonnées sans rancune tant il est bon de cheminer sur ces voies narratives sans issue.

Rien de gratuit pourtant, Echenoz égratigne ça et là, les partis politiques et les médias par exemple à l’occasion de la destruction du supermarché d’Auteuil :

Point sur la situation à Auteuil effectué tous les quarts d’heure par un stagiaire sur fond de ruines fumantes, pendant qu’un autre battait la semelle devant le seuil de l’ambassade de Russie. Puis le plateau s’est renouvelé : on a fait venir, tant qu’on y était, des philosophes, des hommes d’Église et des tenants du millénium, il y a même eu un druide évhémériste en tenue vociférant que c’était toujours pareil, qu’il s’était tué à prédire un désastre et qu’on n’avait pas voulu l’écouter.

Mais cette Vie de Gérard Fulmard n’est pas une charge anti-sociale. C’est avant tout un plaisir de lecture, qu’on apprécie trop vite, auquel on se promet de revenir, même pour de simples extraits tant la langue prime sur l’histoire elle-même. Un petit peu d’Echenoz pour se rappeler que la langue française peut être artistiquement traitée.

Jean Echenoz sur Tête de lecture

 

Vie de Gérard Fulmard

Jean Echenoz
Les Éditions de Minuit, 2020
ISBN : 978-2-7073-4587-5 – 235 pages – 18,50 €

 

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12 commentaires sur “Vie de Gérard Fulmard de Jean Echenoz

  1. Je ne me suis pas encore trop penchée sur la rentrée de janvier, mais je n’ai pu ignorer Gérard Fulmard. Ceci dit, je préfère largement entendre parler de vraie littérature que de livres qui défrayent la chronique pour d’autres raisons. (je ne vise absolument aucun livre, ni personne, c’est général !)

  2. Ben moi, je n’avais jamais entendu parler du livre… je ne sais pas si ce sera pour moi… mais bon, je le garde en note dans un bout de ma tête. J’ai déjà Courir de l’auteur, dans la pile. Et j’en profite pour te souhaiter une très belle année!

  3. Echenoz était à la radio l’autre jour, ah oui nouveau roman. Mais c’est un auteur qui m’a déjà offert de bons moments.

  4. J’adore Échenoz, c’est un de mes auteurs chouchous et je suis vraiment ravie de lire ta chronique car tu me tentes beaucoup et je ne vois aucun argument qui m’empêche de lire cet auteur prochainement. Je t’embrasse.

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