Il faut toujours envisager la débâcle de Laurent Rivelaygue

Il l faut toujours envisager la débâcle de Laurent Rivelaygue

Qu’est-ce qui peut bien se cacher derrière un tel titre ? On y sent peut-être l’humour mais sans doute pas le thème du fait divers qui décidément me poursuit (ou que je poursuis pour être tout à fait honnête). Peut-on avoir un rapport pathologique aux faits divers ? Oui, le narrateur de Il faut toujours envisager la débâcle le démontre.

Le narrateur n’est ni un père, ni un mari parfait, un peu comme tout le monde. Mais lui a tendance à exagérer un peu côté égoïsme et madame en prend parfois ombrage. Il faut dire qu’il cherche à profiter de son récent licenciement pour écrire un livre, un grand livre de préférence, et que ce n’est pas facile quand on est déprimé et peu sûr de son talent : il ratiocine pas mal. Pas facile non plus quand madame accumule les petites piques agaçantes et injustifiées (qu’il note scrupuleusement dans un carnet). Parce que non, ce n’est pas notre narrateur qui dévore chaque nuit le contenu du réfrigérateur…

Il s’intéresse aux faits divers, non par passion mais par hasard (comme moi) et se dit qu’il pourrait consacrer son livre à l’un d’entre eux. Quand il découvre tout à coup, dans le troisième tiroir de son bureau… Xavier Dupont de Ligonnès ! Ça pour une surprise… notre narrateur déjà bien amoché du ciboulot (insomnie, dépression, cigarette font leur boulot) va donc demander de l’aide à son hôte inattendu (et mal élevé car vous l’avez compris, le réfrigérateur, c’est lui). Mais Xavier, appelons-le par son petit nom, préfère lui donner des conseils sur la façon de gérer son couple, un comble quand même ! (Si vous ne savez pas qui est Xavier Dupont de Ligonnès, vous vivez sur Mars.)

Et là tout de même, on commence à se demander si c’est du lard ou du cochon cette histoire. Parce que Dupont de Ligonnès est un homme qui a tué femme et enfants et que ça, ça n’est pas drôle du tout. Pas plus que le cas qui va obséder notre narrateur (pourriez-vous chers auteurs donner des noms à vos personnages, c’est bien plus simple quand il s’agit de parler d’eux). Il jette son dévolu sur l’affaire non résolue du Grêlé. Depuis que j’écris des podcasts sur des faits divers, j’en ai traité 46 (j’ai fait le compte pour rédiger ce billet) mais pas celui du Grêlé. J’en connaissais pourtant le dénouement, ce qui m’a un peu divulgâché la fin du roman de Laurent Rivelaygue.

Si vous vous intéressez aux faits divers, vous serez servi avec ce roman qui traite sérieusement du cas du Grêlé, c’est-à-dire sur un ton journalistique, avec de nombreux détails (on voit mal comment faire de l’humour avec un violeur d’enfants). La narration se découpe en chapitres consacrés à l’affaire, censés être écrits par notre narrateur, et en chapitres où il raconte son quotidien de loser. Parce que bien sûr, madame va partir avec le fils et lui va se retrouver seul dans une chambre de bonne. En faisant des recherches sur le net, il tombe sur un forum où des internautes font et refont l’enquête autour du Grêlé. Ils sont même certains d’avoir une piste, bien sûr négligée par la police. Ils se montent le bourrichon et se persuadent bientôt de l’identité du tueur. Je suis persuadée que des forums et des gens comme ça existent bel et bien dans la réalité.

Il y a donc d’un côté ce type avec sa petite vie pas drôle que l’auteur dote d’un sens aigu de l’autodérision. Et de l’autre l’affaire, le cold case qui depuis plus de trente ans nargue la police et qui va transformer notre petit journaliste en Grand Écrivain. C’est grâce à un meurtrier des plus sordides (car le Grêlé est vraiment un type infâme) qu’il va entrer dans la lumière. C’est un paradoxe très intéressant qu’aborde Laurent Rivelaygue, en même temps qu’il interroge notre intérêt pour le sordide. Il parvient très bien à manier les deux registres, celui de l’humour et celui du drame. A mes yeux, c’est l’humour qui l’emporte.

Exemple : pour manger, l’apprenti écrivain doit rédiger des chroniques sportives à base de dépêches pour un site de foot. Il a promis à son jeune fils dont il souhaite se rapprocher de lui rapporter un slip de Neymar (un joueur de foot sans doute). Il écrit un texto à sa femme pour lui dire que ça se concrétise :

« J’ai trouvé du boulot pour un mois et je vais peut-être récupérer le slip de Neymar, dis-le à Lucas. » Elle ne répond pas, une fois de plus, peut-être à cause de ce putain de correcteur orthographique qui a remplacé « récupérer » par « récurer »…

La vie de ce type est pleine de malentendus de ce genre qui s’accumulent et qu’il analyse, ou tente d’analyser avec un psy… qui meurt en tombant dans l’escalier, bien sûr.

 

Il faut toujours envisager la débâcle

Laurent Rivelaygue
Calmann Lévy, 2023
ISBN : 978-2-7021-8902-3 – 266 pages – 19,50 €

 

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25 Comments

    1. Merci, je ne connaissais pas. Concernant les faits divers que j’ai écrits en podcasts, je n’ai traité quasi que des affaires françaises. Parce que j’ai besoin de beaucoup de documentation (livres, journaux, interviews, émissions télé…) et qu’en anglais, c’est encore plus de boulot car mon niveau n’est pas assez bon. On dirait que cette collection se concentre sur les USA.

      1. Oui, en tous cas pour l’instant, ce qui m’étonne un peu vu que la plupart des auteurs sont en revanche français. Ca évoluera peut-être avec le temps..

  1. Je n’avais pas repéré ce roman, ou disons juste son titre qui attire l’attention… Le sujet de ses recherches semble difficile à traiter avec humour, mais son quotidien à lui allège l’atmosphère, si je comprends bien 😉

  2. Ah, en grande amatrice de faits divers, je ne peux pas rater ça ! Très curieuse de ce croisement entre humour (ça a l’air assez barré même) et sérieux en plus.

  3. Fan de faits divers et de true crime, je ne peux qu’être intriguée par ce titre. Le mélange des tonalités me semblent risqué, mais puisque tu le recommandes, je vais quand même tenter, en tout cas, je le note pour l’instant.

    1. Je comprends tes réticences. Mais je t’assure que quand tu lis et que tu vois sortir Dupont de Ligonnès du tiroir, tu rigoles. Après tu te dis que ce type a tué sa femme et ses propres enfants. sauf que ce n’est pas le vrai Dupont de Ligonnès mais un être de fiction. Reste donc l’éternel problème de savoir si l’on peut rire de tout… il y aura toujours des sujets plus sensibles que d’autres, qui varient selon la sensibilité de chacun.

  4. Je suis peu intéressée par les faits divers cela me rend souvent trop triste .
    Le dernier que je n’ai pas lu, mais juste vu passer sur mon téléphone, ce gendarme qui a tué ses trois filles avant de se suicider m’a donné envie de vomir.

  5. Le mélange a l’air assez détonnant ; a priori je n’irais pas vers ce genre de roman, mais je n’ai rien contre l’humour dans ces cas là, ça peut faire passer des choses impossibles autrement.

  6. Je suis l’auteur sur Facebook, il a un humour ravageur. Si j’ai bien compris, il travaille dans un atelier avec Olivier Tallec. Je suppose que c’est de l’humour aussi, Neymar ? Sinon, si tu ne sais pas qui c’est, tu vis aussi sur une autre planète 😉

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