Broadway de Fabrice Caro

Axel, quarante-six ans dont vingt de mariage avec Anna, vient de recevoir une enveloppe de la CPAM. À l’intérieur, une invitation à passer un test de dépistage du cancer colorectal. Et là, c’est la crise, au moins existentielle. Pourquoi, mais pourquoi reçoit-il cette lettre qui n’est systématiquement envoyée qu’à des cinquantenaires accomplis ? Cette lettre devient une obsession, une de ses obsessions, car Axel est un ruminant. Il ne cesse de remâcher les micro-événements de sa vie très banale et de leur chercher des significations ontologiques. Et c’est drôle, très très drôle, j’en ris encore en écrivant cette chronique. Par exemple, il va désormais mesurer l’amitié qu’il porte aux uns et aux autres à l’aune de la possibilité de leur parler de cette fichue enveloppe bleu colorectal.

Un ami, c’est quelqu’un à qui on peut demander s’il a reçu un test de dépistage colorectal.

L’autre obsession d’Axel s’appelle Mel. En fait non. Mel est le prénom que dans ses fantasmes tahitiens, il donne à la prof d’anglais de son fils Tristan, quatorze ans, peintre en devenir. Il rencontre la jeune et séduisante enseignante car Tristan l’a prise pour modèle, ainsi que son prof de SVT. Tous deux en une scène de fornication en levrette des plus explicites. S’ensuit donc une convocation durant laquelle il promet de sermonner son fils, de l’emmener voir un psy s’il le faut.

Oui mais voilà : Axel est incapable de parler sexualité avec son fils. Sa femme a beau l’y enjoindre quotidiennement, rien à faire, c’est impossible. Tout comme il lui est impossible de parler du dépistage du cancer colorectal et du test à qui que ce soit. Blocage sur tout ce qui relève de l’intime et du corps.

Parviendra-t-il à consoler sa fille de son chagrin d’amour ? Elle lui demande, elle d’habitude si rationnelle, d’aller prier pour que son amoureux l’aime à nouveau. Axel est complètement interloqué par cette demande mais enfin, il peut au moins faire ça pour sa fille éplorée, ça ne coûte rien. Il se rend donc dans une église.

Je contourne les bancs sur la gauche, hésitant entre plusieurs lieux de prière, jusqu’à ce que j’arrive devant une statue qui retient mon attention : Notre-Dame d’Espérance. Le nom est tout indiqué pour ma prière, je ne pouvais mieux tomber. Je me trouve chanceux d’être précisément tombé sur elle. En même temps, je doute qu’il existe dans les églises une Notre-Dame du Désespoir ou une Notre-Dame de La Dépression Tenace. La chance a peu à voir là-dedans. Elle tient dans ses bras un bébé. Il se dégage une infinie douceur de cette statue. Le regard que lui porte celle que je suppose être sa mère est d’une tendresse palpable. Elle ignore encore que quatorze ans plus tard, il dessinera des levrettes.

Le pauvre Axel est complètement dépassé, et il le sait. Cherchant à ne contrarier personne, il ne dit jamais non et se voit contraint de vivre des situations qu’il déteste : l’apéritif chez les voisins tous les trois mois, les vacances à Biarritz pour faire du paddle…

Alors il fantasme, il s’imagine une autre vie, à Barcelone ou Buenos Aires où il retrouve ses amis footeux tous les matins en allant au travail. Il parle musique avec Benjamin Biolay qui voudrait bien qu’il reprenne du service à la batterie, ou avec Bernard Lavilliers. Ainsi échappe-t-il à un quotidien monotone.

Encore une fois, Fabrice Caro ne m’a pas déçue. J’aime son humour de loser, ses personnages velléitaires qui ont du mal à trouver une place dans la société. Axel pourrait être pathétique mais il est surtout attendrissant avec toutes ses difficultés de communication, sa maladresse et ses tergiversations. Il dit à quel point c’est difficile d’être père et de correspondre au rôle que la société veut nous faire jouer. On est plus souvent dans une comédie musicale ratée où tout est plus moche que sur grand écran. Les films que se fait Axel sont très nombreux, ils ont au moins l’envergure de Broadway mais ils ne résistent pas devant la réalité.

Si vous avez aimé Le discours, pas de raison pour que vous n’aimiez pas Broadway et son narrateur raté qui est à nouveau une réussite d’humour et d’absurde, mais pas tant que ça, après tout.

J’ai écouté la version audio de ce roman lu par Benjamin Lavernhe.

Fabrice Caro sur Tête de lecture

 

Broadway

Fabrice Caro
Gallimard, 2020
ISBN : 978-2-07-290721-0 – 193 pages – 18 €

 

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19 Comments

  1. En écho à ta phrase « On est plus souvent dans une comédie musicale ratée où tout est plus moche que sur grand écran.  » je me souviens d’un ami cinéphile qui disait que la vie est une série Z. Je n’ai lu que les BD de Fabcaro, je les ai toutes aimées, mais pas ses romans, qui ont l’air très réussis également. S’ils me passent sous la main…

  2. J’ai adoré Le discours , et oui tu décris fort bien l’esprit tendre et délicatement souffrant de cet auteur. Je lirai donc Broadway en te remerciant pout ton bel article.

  3. J’ai abandonné le seul album que j’ai tenté de lire, je n’accrochais pas du tout à son humour. Ton billet me donne envie de lui redonner une chance.

  4. Il y a des narrateurs ratés et de l’humour absurde dans tous ses écrits… J’avoue que j’ai eu du mal avec le discours. Seul Zai zai zai zai m’a plu…

  5. Ah mais je l’ai lu! Bon souvenir. (et on en rigole pas avec ce test, ça peut éviter des soucis de santé pas marrants)(même si le test n’est pas glamour)

    1. Zai zai zai zai a fait l’objet d’une adaptation au cinéma. J’ai absolument refusé de la voir il y a peu car je sais sans erreur possible que ma version à moi, celle que j’ai en tête, est bien meilleure !

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