L’architecte de la vengeance de Tochi Onyebuchi

L'architecte de la vengeance de Tochi Onyebuchi

Ella et Kev sont frère et sœur, elle est l’aînée. Ils sont nés en Californie, sans père et noirs. Kev le jour des fameuses émeutes de 1992 à Los Angeles. Sous le signe de la violence donc. Quoi qu’il fasse, il sera toujours ramené à cette violence, impossible d’y échapper. Pas qu’elle soit dans sa nature, non, lui il est plutôt un bon gars, mais à cause des flics qui ont pour principale occupation de harceler les Noirs. Puisqu’ils ne risquent rien : même quand ils les tuent, ils sont blanchis, plus Blancs que Blancs. L’architecte de la vengeance raconte le racisme fondamental de la société américaine.

Il raconte aussi Ella, une enfant pour le moins différente des autres. Ça l’a pris toute petite, des saignements de nez, puis des visions toujours horribles et violentes, avec du sang et des Noirs qui meurent, assassinés. Pas difficile à imaginer quand on vit la guerre des gangs au quotidien… Elle voit l’avenir des gens, puis se rend compte qu’elle peut lire dans leur tête. Elle peut voyager loin sans bouger de chez elle, et même emmener Kev avec elle.

Plus Ella grandit, plus elle est en colère et plus elle maîtrise son don qui peut être dévastateur, si besoin…

La famille déménage à New York ; la violence les suit. Rester clean dans un quartier pousse-au-crime ? Kev est emprisonné. Tout est fait pour qu’il devienne plus violent encore, ou fou. Il raconte les traitements infligés en prison, par les matons mais aussi par les autres prisonniers ; le mitard, pour rien. Puis il passe sa conditionnelle dans un tout autre genre de prison, en Californie : pas de Blancs à l’horizon, pas de barreaux, mais une puce qui le contrôle à distance, lui injectant ce qu’il faut pour faire de lui un bon toutou. Ella interroge Kev : c’est ça qu’il veut ? Est-ce qu’il n’est pas préférable de tout faire péter pour tout recommencer, sans les Blancs ?

L’architecte de la vengeance est un roman grave qui illustre ce que Ta-Nehisi Coates décrivait il y a quelques années dans Une colère noire : la violence constante, le harcèlement de la police qui veut voir en chaque Noir américain un coupable. Ces deux auteurs noirs américains, tous deux bardés de diplômes, nous font comprendre la réalité quotidienne d’hommes et de femmes qui ne peuvent pas échapper à leur sort. Car la pauvreté est une autre donnée du problème, qui ne fait que l’aggraver. Ella a un moyen de passer outre le déterminisme social et de littéralement faire voler en éclats ce monde injuste. Elle va jouer à armes égales avec les Blancs, en employant la violence.

Répondre à la violence par la violence, parce qu’il n’y a plus d’autres solutions pour vivre sans être constamment humilié, méprisé. Si on n’adhère pas, on comprend. Et c’est bien la force de L’architecte de la vengeance : faire comprendre aux Blancs l’état dans lequel se trouve une grande partie des Noirs américains qui sont des bombes à retardement. La distance que le fantastique crée avec la réalité n’est qu’illusoire : tout détruire est possible quand la rage est grande.

J’ai audiolu ce roman lu par Charles Morillon, donc sans avoir accès aux notes de bas de page qui facilitent l’immersion dans la culture afro-américaine. C’est à l’évidence une des limites de l’audio lecture.

 

L’architecte de la vengeance

Tochi Onyebuchi traduit de l’anglais (américain) par Anne-Sophie Homassel
Albin Michel (Imaginaire), 2022
ISBN : 978-2-226-46145-2 – 192 pages – 17,90 €

Riot Baby, parution originale : 2020

 

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23 Comments

  1. C’est fou de constater que, dans un pays qui se dit civilisé et démocratique, on puisse encore voir ce genre de choses. La tentation de la violence et de la vengeance, c’est un sujet complexe qui s’impose régulièrement.

  2. Sur le même thème, et ton billet m’y fait fortement penser en raison de la dimension surnaturelle que tu évoques, il y a l’excellent et très original « L’enfant qui voulait disparaître », de Jason Mott. Vraiment, note-le, même si c’est pour le lire plus tard, parce qu’il vaut le détour, c’est un roman très surprenant, déstabilisant même, et aussi bouleversant..

  3. Une touche de fantastique n’est pas pour me déplaire ; je note, malgré le côté extrêmement sombre du thème. En sortirons nous un jour de ce système monstrueux ?

    1. Depuis qu’il y a des hommes, il y en a qui en haïssent d’autres. Ceux qui ont écrit la Bible le savaient bien : même entre frères, la jalousie et la haine sont là. C’est inhérent à l’être humain… certains choisissent les Noirs, d’autres les homosexuels, d’autres les juifs ou les musulmans…

  4. ça a l’air bien costaud, néanmoins intéressant… Si je tombe dessus, pourquoi pas. J’étais une grande adepte des livres audio (à cause de longs trajets voiture) et je n’ai plus l’occasion d’en caser dans mon quotidien, ça me manque beaucoup.

    1. Généralement, j’audiolis en jardinant, mais là, c’était en voiture, un long trajet, très long : 7 heures pour faire Lannion-Nantes grâce aux barrages d’agriculteurs !

  5. j’ai beaucoup de mal à lire ce genre de romans même si c’est important de se rendre compte de cette violence faite à cette population aux USA

  6. Un roman bien noir et violent même si réaliste, hélas…mais le sujet m’intéresse et j’espère le trouver en médiathèque pour faire connaissance avec cet auteur que je n’ai jamais lu. Intéressante ta remarque sur les notes de bas de pages. Je ne lis pas de livre « audio » parce que je préfère lire mais je me suis posée la question !! Tu me donnes la réponse, quand il y en a je les trouve bien utile, tout comme le glossaire en fin de livre…

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