Attention, humour très noir en vue. Pas caramel, chocolat ou bouse séchée, non : vraiment noir, par un Noir sur les Noirs américains.
Le Moi du titre français, c’est le nom du protagoniste et narrateur. Dans le prologue qui ouvre le roman, il assiste à l’ouverture de son procès : Moi contre les Etats-Unis d’Amérique. Ce Noir qui n’a jamais rien volé, jamais triché sur sa déclaration d’impôts ni aux cartes, bref, un bon Noir exemplaire, qu’a-t-il fait pour être accusé de vouloir rétablir la ségrégation et l’esclavage ?
Moi commence par raconter son éducation tout à fait particulière. Jamais il n’a mis les pieds à l’école puisque son père, « estimé psychologue afroaméricain« , a pourvu à son éducation. Assez radicale l’éducation puisqu’elle peut passer par l’électrocution et le lynchage… Le père est déjà donc un phénomène à lui tout seul, qui raconté par la verve de son fils assurerait la retraite voire même l’éternité au premier psy venu.
Moi vit à Dickens, jadis ville puis quartier (agraire) de Los Angeles, aujourd’hui même plus un point sur la carte. Le nom du ghetto a disparu, mais le ghetto lui est toujours là même s’il est désormais plus peuplé de Mexicains que de Noirs. Mais qu’en est-il de l’esprit de ghetto ? De la bonne vieille ségrégation qui donnait une véritable identité aux Noirs américains ? Avec le ghetto, c’est l’identité noire qui a disparu. Ce n’est que petit à petit que Moi se rend compte de l’impact bénéfique que pourrait avoir la ségrégation. Tout a en fait commencé parce qu’Hominy s’est obstiné à devenir son esclave, et à se faire fouetter… Moi n’aspirait pourtant qu’à s’occuper de sa « ferme » (il se déplace à cheval), de ses animaux et de ses arbres fruitiers.
Quand Paul Beatty se moque, il y en a pour tout le monde. Les cent premières pages sont juste hallucinantes d’humour et de cynisme : l’éducation de ce Noir-là devait être écrite ! Nous autres lecteurs, bien éloignés de cette réalité, prenons le parti d’en rire (et on rit beaucoup), mais il est aisé de penser que Paul Beatty fait grincer des dents. Comme dans American Prophet, il cible ces Noirs américains symbolisés par les fameux Oreos : noirs dehors, blancs dedans. Il fustige les Noirs plus blancs que Blancs, mais certains Blancs bien pensants en prennent aussi pour leur grade.
Certains passages sont tellement dingues ou loufoques, ou les deux, qu’on se dit que ce n’est pas possible, ce Paul Beatty en fait trop. Et pourtant, quand l’Oreo de service retraduit tout Huckleberry Finn en remplaçant systématiquement le mot « nègre » par « guerrier », on se dit que ce type a raison et que ce qu’il écrit là n’est pas drôle mais hyper réaliste et grave (on se souvient de l’universitaire Alan Gribben qui voulut expurger l’oeuvre de Twain du même vilain mot et le remplacer par « esclave »).
Rien n’échappe à Paul Beatty, ni l’hypocrisie, ni le politiquement correct.
Encore une traduction de haut vol, due cette fois à Nathalie Bru.
Je ne sais pas quoi dire.
– T’as pas un diplôme de psychologue comme ton père ?
Non, je sais juste deux trois trucs sur les animaux et le fourrage.
Mince, se laisser fourrer par des animaux, c’est ce qui fait que ces garces se retrouvent dans la merde, alors tu ferais bien de trouver quelque chose à lui dire, à cette dinde.
Paul Beatty sur Tête de lecture
Moi contre les Etats-Unis d’Amérique
Paul Beatty traduit de l’anglais par Nathalie Bru
Cambourakis, 2015
ISBN : 9782366241563 – 345 pages – 24 €
The Sellout, parution aux Etats-Unis : 2015
Comment résister à ça! Voilà un nouvel auteur que j’ai plus qu’envie de découvrir. Merci pour cette tentation!
Jusqu’à présent traduit chez de petits éditeurs en France : petit mais très méritants !
Ouach, ça m’a l’air de bien dézinguer, ce truc là!(tout ce que j’aime; j’ai des goûts comme ça de temps en temps)
Oh ça oui, ça déménage ! Je me demande bien comment les Noirs américains reçoivent un texte comme ça, et même les Américains en général, certains écrivains sont nommés, ça doit faire grincer des dents…
Figure toi que je viens de le trouver à la bibli de R! Et en VO! Je rame un petit peu, mais le plaisir est là, j’en suis page 58, faut du temps. Vraiment un truc hors normes!
Pas sûre que ça me plaise… peut-être un autre de l’auteur ?
Je n’ai lu d’autre qu’American Prophet, tout à fait dans le même esprit.
Fait pour moi, je pense…je note
Je pense aussi. Je ne sais pas si à travers mon billet on sent à quel point ce livre est drôle : les 100 premières pages je me marrais tout le temps en me disant qu’il était sacrément gonflé !
donc : fait pour moi ! je viens de finir neverhome, magnifique, par contre pas drôle.Alors ça peut pas faire de mal ! 😉
difficile de se faire une opinion , je dirai si j’ai du courage oui j’y vais sinon je le laisse me rencontrer une seconde fois
Je crois que c’est le genre de lecture pour lequel il faut être vraiment motivé. Et j’imagine tout à fait que ça peut ne pas plaire à tout le monde.
Je me demande si j’aimerais aussi mais c’est intrigant ! A guetter en bibliothèque !
C’est le genre de livre dont on se fait rapidement une idée : quelques pages et on voit tout de suite si on a envie de lire ça ou pas.
Ca a l’air noir, mais drôle aussi.
humour Noir…
J’avais beaucoup aimé Slumberland, et même si American prophet attend toujours dans ma pile, je crois bien que ce nouvel opus passera avant. Tu donnes trop envie….
J’ai complètement raté ce titre… traduit par Nicolas Richard en plus, mon préféré !
est ce que tu vois les images que la pub impose dans ton article?
Mon dieu quelle horreur !!! Merci mille fois de me l’avoir signalé. Je n’ai bien sûr pas installé ce truc horrible et n’ai aucune idée de la façon dont c’est arrivé là. J’espère seulement que ça ne fait pas trop longtemps que ça y était… on ne devrait plus le voir désormais, mais je suis juste furax !
American prophet nous donnait déjà un aperçu de son humour sans concession. Je note celui là également.
Un commentateur me signale qu’un autre roman été traduit, au Seuil : Slumberland
Bienvenue ici, Indira.
merci Sandrine. J’ai pris plaisir à découvrir tes critiques.
Encore un roman que je veux ABSOLUMENT lire ! 😀
J’en étais sûre !
J’aime bien le cynisme et les grincements de dents… je le note !
Beatty a un humour très spécial, je serais curieuse de savoir comment il est reçu aux USA…
Il enseigne la fiction à Columbia. Ce qui montre quand même qu’on le reconnait comme un bon auteur. Après plus généralement je ne sais pas comment il est reçu par le public
Merci pour ton article ( et pour ma sœur )
Pfffff il faut absolument que je lise cet auteur. Je l’avais déjà noté avec American Prophet. Je ne suis clairement pas en avance…
On en est tous un peu là… mais Beatty franchement, c’est quelqu’un : pas un robinet d’eau tiède, la vraie douche froide tout de suite !
on sent, dès le début de ton billet, un côté farfelu de ce roman… qui peut me plaire.
Oui, et c’est même plus que farfelu, ça peut parfois être dérangeant : tant mieux !
J’ai peur d’être rebutée par le côté loufoque, mais il semble y avoir un vrai fond politique et sociologique donc je tenterai…
Je confirme pour Nathalie Bru (c’est la soeur de ma copine Coralie, avec qui on podcaste Bibliomaniacs) j’ai lu « L’ours est un écrivain comme les autres » et « Un ange meilleur », elle traduit toujours du lourd et elle s’en sort admirablement bien.
Coralie ? Mais, je crois bien que je l’ai rencontrée à America ! Il me semble qu’elle a fermé son blog ?
J’ai lu les deux livres dont tu parles, très bons aussi d’ailleurs, même si je crois que l’exercice de traduction est ici encore de plus haut vol. Peut-être fait-elle partie des virtuoses comme Claro ou Nicolas Richard…
Oui son blog est malheureusement fermé, mais elle va contribuer à un webzine, et elle continue les Bibliomaniacs…
Elle écrit également des livres, ce qui lui prend beaucoup de temps (j’ai beaucoup aimé son dernier roman « Deux Minutes », et je ne dis pas ça parce que c’est ma copine^^)
Oui oui c’était moi au festival 🙂
Très tentant ce que tu écris sur ce roman. C’est un auteur que je ne connais pas du tout.
Il fait partie de ces écrivains américains peu médiatiques car pas de tout confort. Il y en a quelques-uns comme ça qui font un peu taches dans le décor et qu’on ne met pas en première ligne…
C’était déjà Nathalie Bru qui avait traduit le précédent.
Une valeur sure de la traduction : chapeau !