Vous ne me trouverez pas sur Amazon de Laurent Mauduit

Vous ne me trouverez pas sur Amazon

Laurent Mauduit est journaliste d’investigation, ancien du Monde, de Libération, co-fondateur de Mediapart. Dans Vous ne me trouverez pas sur Amazon il s’intéresse aux menaces que les géants du numérique font courir à l’édition et à la presse et au naufrage des libertés individuelles.

La presse est un fondement de la démocratie aujourd’hui menacé, selon Laurent Mauduit, par la politique autoritaire du président Emmanuel Macron. Les géants du numériques, les GAFAM, rendent ces menaces inquiétantes car ils permettent de les concrétiser.

Laurent Mauduit compare la révolution médiatique que fut l’essor fulgurant de la presse à la fin du XIXe siècle (rendu possible grâce à l’électricité) et le développement non moins fulgurant d’Internet. Mais la révolution numérique n’est pas source de transparence et de liberté, au contraire.

La presse française a fait l’objet « d’une opération de prédation organisée par une poignée de milliardaires » qui désormais possèdent quasi tous les médias : Bernard Arnault (Les Échos, Le Parisien, Challenges), Xavier Niel (Le Monde, L’Obs, Paris Turf, Nice Matin), François Pinault (Le Point), Patrick Drahi (Libération, le groupe L’express, BFM Business, BFM TV, RMC), Vincent Bolloré (Canal +, Cnews, Le Journal du Dimanche, Paris Match, Europe 1), Daniel Kretinsky (Marianne + 25 % du groupe Fnac-Darty) j’en passe.

On comprend la gravité du problème quand CNews fait campagne pour Zemmour. Il y a beaucoup d’argent derrière, beaucoup de temps d’antenne offert à un candidat plutôt qu’un autre. Que dire du Journal du Dimanche dirigé par un journaliste d’extrême droite ? Placé là par Bolloré qui par ailleurs possède le groupe d’édition Hachette, Vivendi pour la communication et Havas pour la publicité.

Laurent Mauduit explique que tous les éditeurs français ont pactisé avec Amazon et « ont fait du dangereux oligopole américain leur premier libraire et premier distributeur ». 2,9 milliards de dollars de profit pour le seul 3e trimestre 2022. Et comme tous les GAFAM, Amazon fuit l’impôt « sans lequel il n’y a pas de vie en société ». Je ne rapporte pas en détail les chiffres fournis par Laurent Mauduit, mais le démantèlement du système fiscal et la fuite de l’impôt sont impressionnants (un milliard d’euros par an de manque à gagner pour l’état français rien que pour Google).

Stupéfiant paradoxe : les grandes maisons d’édition de gauche raffolent de publier des livres qui dénoncent les outrances du capitalisme financiarisé, mais les mêmes n’ont pas le moindre scrupule à passer sous les fourches caudines de l’un des porte-étendards de ce système qu’ils dénoncent en l’occurrence Amazon.

Idem pour les grands médias qui diffusent enquêtes et reportages contre Google et Facebook mais pactisent sans vergogne avec eux. Il y a loin du discours aux actes, comme toujours.

Les GAFAM affichent des profits colossaux qui ont fait d’eux « des oligopoles planétaires, plus puissants que de nombreuses démocraties. Et leurs dirigeants sont de véritables chefs d’États privés ».

Cette puissance est rendue possible grâce à l’exploitation des données privées de leurs clients et utilisateurs qu’ils abreuvent de publicité. Comment les ont-ils obtenues ? Grâce aux propriétaires des grands groupes de presse qui ont passé des accords avec Google et Facebook. Qui ont vendu et continuent de vendre leurs abonnés autrement dit. Les GAFAM ont donc pu coloniser le monde via leurs plateformes et aujourd’hui ils savent tout, contrôlent tout et surveillent tout. Ils manipulent aussi comme Facebook l’a fait en faveur du Brexit et de l’élection de Trump. Mais bien sûr, la manipulation est invisible. Pour beaucoup d’utilisateurs, Facebook est un moyen de discuter avec des « amis ». Et Bezos un modèle de réussite à l’américaine auquel Emmanuel Macron a remis les insignes de chevalier de la Légion d’honneur. Pourquoi critiquer ? Moi, j’aimerais qu’on me dise ce que la patron d’Amazon a apporté de bien à la France pour mériter une telle récompense…

L’inspiration libérale et égalitaire qui a présidé à la naissance du web a donc progressivement été pervertie par les géants du numérique qui en ont pris le contrôle et l’ont transformée en son exact contraire : un système généralisé de prise de contrôle des données personnelles ; un outil d’asservissement transformant les citoyens en marchandises…

Aujourd’hui les statistiques d’audience et les classements (« la gouvernance algorithmique ») condamnent le contenu moins bien classé à être de moins en moins vu et donc à disparaître. La formidable diversité du net disparaît au profit des algorithmes qui donnent à voir ce qui est déjà le plus vu. Cette gouvernance permet de créer des produits et services adéquats et désormais jugés indispensables, comme les chaînes de séries par exemple. Combien d’individus sont rivés à leurs séries Netflix ou Amazon qui véhiculent les valeurs qui sont les leurs ?

Qui résiste aux GAFAM ? Bien peu de monde. Beaucoup de gens applaudissent quand Blanche Gardin refuse les 200 000 € d’Amazon mais pour autant, arrêtent-ils de commander chez Amazon ? Il y a 12 ans, j’ai écrit un article sur les liens entre les blogueurs et Amazon : pourquoi vous, blogueurs citadins qui prônez la diversité, achetez-vous vos livres (et le reste) sur Amazon qui cherche à tout niveler ? Et qui va y parvenir puisque les grands groupes d’édition entre les mains des milliardaires tirent vers le bas les contenus éditoriaux et surproduit pour inonder le marché d’ouvrages sans intérêt mais qui noient la concurrence : il n’y a pas de place pour l’originalité.

Autres résistants : Hobo Diffusion qui regroupe 80 éditeurs (dont Divergences qui publie ce livre) ; Zones sensibles (éditeur exilé en Belgique). C’est peu… et ça se comprend car les GAFAM sont prompts à taper sur les doigts des mauvais élèves qui osent leur résister (Facebook et Instagram bloquent les médias canadiens). Les éditeurs français laissent les libraires se battre avec Amazon (notamment dans la bataille des frais de port) : aucune solidarité. Pourquoi ? Laurent Mauduit interroge les acteurs du monde de l’édition mais ses questions dérangent et il n’obtient pas de réponse.

L’État français subventionne depuis longtemps la presse des milliardaires. Par exemple, Bernard Arnault, première fortune mondiale, a bénéficié de 14,1 millions d’euros (soit la somme la plus importante) d’aides publiques en 2022 pour Aujourd’hui en France, Le Parisien et Les Échos. Xaviel Niel empoche 8,7 millions d’euros pour Le Monde, Télérama, Courrier international, L’Obs… Ce qui fait que « deux des milliardaires les plus importants du pays ont la main à eux seuls sur plus de 20 % des aides directes à la presse ».

La presse française, dépendante des aides de l’État, est aussi désormais dépendante de celles de Google qui les subventionne, mais pas pour rien, bien sûr et sous le sceau du secret. Mais tout se sait… Google verse au groupe Le Monde (soit : Le Monde, Télérama, Huffington Post, La Vie, Courrier international, Le Monde diplomatique) la somme de 1 502 468 euros depuis le 1er janvier 2022. Les internautes peuvent s’abonner à moitié prix via leur compte Google. En échange, le groupe Le Monde offre leurs données personnelles à Google, ce que les abonnés ignorent (mais le sauraient-ils, cela changerait-il quelque chose ? Un abonnement à moitié prix, quelle aubaine!!). Le Figaro et Libération sont eux aussi largement arrosés par Google… et Facebook qui finance aussi la presse française, les mêmes titres avec la même opacité. À l’inverse, la fondation Bill et Melinda Gates est très claire : elle finance (et permet le fonctionnement) de Le Monde Afrique si celui-ci donne une image positive de l’Afrique.

En peu de pages, Laurent Mauduit décortique ce « capitalisme prédateur qui dispose de pouvoirs tentaculaires et qui se moque des conflits d’intérêts » et qui enterre doucement, avec la complicité de l’État, notre belle démocratie.

 

Vous ne me trouverez pas sur Amazon

Laurent Mauduit
Divergences, 2024
ISBN : 979-10-97088-67-5 – 115 pages – 13 €

 

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39 Comments

  1. Récemment j’ai commandé, non sur Amazon mais en librairie, un samedi matin, hé bien le mercredi j’avais un mail, le bouquin était arrivé. Franchement, pas la peine d’aller sur Amazon. Merci aux libraires.

    (ceci étant je suis restée prudente dans le lieu de tentations, histoire de ne pas repartir avec d’autres achats ^_^)(mais cette semaine, deux librairies, trois bouquins…)

  2. J’ai entendu Laurent Mauduit exposer le contenu de son livre sur une matinale radio et c’était passionnant. Inquiétant bien sûr, et rageant de se dire que nous y participons peu ou prou, même si je fais partie des citadines qui profitent de ce qu’elles ont sous la main et ne passent jamais par Amazon. Tout comme je ne partirai jamais dans un Airnb. Mais je suis une vieille schnock !

  3. Les gens commandent sur Amazon parce que c’est la facilité, et que cela répond à leurs habitudes de consommation = tout, tout de suite, et pas cher… Se poser des questions sur les conséquences sur ce genre de comportement ? Bah non, il ne s’agit de ne pas se gâcher le plaisir en se sentant coupable !

    Une chose est sûre, c’est qu’on ne me trouvera pas non plus sur Amazon…

    1. Tous les problèmes viennent de là : la modernité outille nos paresses. Tout est toujours plus facile, plus simple. Appuyer sur un bouton pour avoir de la lumière, du chauffage, tout en un clic, conduire plutôt que marcher ou pédaler et surtout, ne plus attendre… Rien ne pèse face à ce confort, aucun ravage, c’est désespérant.

  4. En France, les librairies indépendantes sont encore un peu protégées par la fameuse loi Lang, relative au prix du livre, mais ce n’est pas le cas du Royaume-Uni ou des Etats-Unis qui ont connu une véritable hécatombe, et pas seulement parmi les petits libraires et les bouquinistes. Même certaines grandes chaînes semblent menacées. Ceci étant dit, je sais bien que ce n’est qu’un aspect du problème.

  5. Merci pour ce résumé parfait de ce livre. Je connaissais déjà un certain nombre de choses sur les GAFAM et les groupes de presse français. Heureusement, nous ne sommes pas en Russie, et il possible de se renseigner ici ou là !
    Cela fait longtemps que je suis vent debout contre Amazon et plus d’une personne dans mon entourage ne prononce même pas ce mot, sachant que je vais enfourcher mon cheval de bataille ! Je crois en avoir convaincu quelques-uns de commander ailleurs ou d’aller en librairie ! Même à la campagne, on peut passer par des bouquineries en ligne (en vérifiant que les livraisons soient par la Poste ou en point-relais).
    Nous avons aussi résilié notre abonnement à Canal Plus et avec la plate-forme de films de la médiathèque et le cinéma, on voit même plus de films qu’avant.

    1. Il y a en effet des choses qui sont très facilement remplaçables et au final même mieux que ce que proposent les GAFAM sur le devant de la scène. Mais ils mattraquent tellement, semblent si indispensables que pour ceux qui n’y réfléchissent pas, ils semblent incontournables…

  6. Un livre intéressant en effet et qui en fera réfléchir certains sur leur mode de consommation mais aussi sur le fonctionnement de notre monde. Cela fait hélas bien longtemps que j’ai constaté que la TV se dégrade, qu’il n’y a plus de véritable information, puisque toutes les chaines débitent la même chose et que google nous donne ce que nous voulons voir sur nos téléphones portables et ect…Perso je ne suis sur aucun réseau social et je compte continuer à me préserver au maximum ! Ceci dit, ce qui est dommage en campagne c’est que tout est compliqué même si on a choisi d’y vivre, donc je ne jette pas la pierre à ceux qui utilisent A. ou la FNAC, parfois la facilité est pour des parents une question de survie tout simplement. Dans ma petite ville on a une librairie seulement depuis 1 an, alors forcément il fallait bien que les gens se débrouillent sans auparavant…quand on vit en ville c’est forcément différent on a tout à portée de soi…Laurent Mauduit est quelqu’un de très intéressant et c’est bien que des gens comme lui continuent à se battre pour informer. Merci d’en parler

    1. Je n’ai plus de réseau social, je gagne ainsi beaucoup de temps de vie ! Pas de télé depuis plus de 30 ans et je ne suis pas l’actualité. C’est certainement mal mais pour moi, c’est synonyme de nombre de morts par jour, de défilés d’hypocrites et de paroles toujours creuses. Je suis les sujets qui m’intéressent sur des médias indépendants, tant pis pour les guerres, les attentats, les Poutine et les Trump : je n’en veux plus.

    1. Il y a de quoi. On pourrait ingénument croire qu’on nous délivre une information fiable et impartiale mais vraiment, on en est bien loin. C’est aussi pourquoi j’ai choisi de ne plus m’intéresser à l’actualité, celle qu’on nous serine dans le poste…

  7. c’est effrayant . Moi, je commande sur Amazon, ici en Hongrie pas de librairie avec des titres en français, sauf peut-être à Budapest mais c’est trop loin de chez moi.

  8. Un titre qui interpelle, mais je ne lis pas ce genre de livre.

    J’achète parfois sur Amazon quand je n’ai pas trouvé ce que je voulais ailleurs. Pour les livres, maintenant, je me suis lancé dans les librairies d’occasions en ligne.

  9. Pour info, si vous achetez vos livres chez Leclerc, vous les payez moins cher que chez Amazon. Je ne dis pas ça pour faire de la pub à Leclerc mais juste pour souligner qu’Amazon n’est même pas le moins cher alors que c’est l’argument avancé le plus souvent par ses clients.

  10. Je n’ai jamais commandé de livres chez Amazone ou sur une autre plateforme d’ailleurs, je ne vais plus à la FNAC depuis longtemps. Etant citadine, j’ai la possibilité d’aller dans des librairies indépendantes, voire collaboratives. Et ma foi, oui, j’attends quelques jours pour que le livre arrive, mais vu ce que j’ai acheté déjà avant, je ne suis jamais à court !

    Pour le livre que tu présentes, ces tristes constats vont tellement m’énerver, que ton article, très complet, va me suffire.

    1. J’achète mes livres en ligne car d’occasion sur RecycLivre et Gibert. Mes finances s’étant améliorées depuis six mois grâce à Lagardère (hum, hum…) j’ai acheté trois livres neufs chez Gwalarn (LA librairie bretonne !) depuis le début de l’année 🙂

  11. Un essai que tu me donnes tres envie de lire sur un sujet passionnant.

    En tant que bibliothécaire, j’ai envie de dire que les bibliothèques ne sont pas assez fréquentées non plus alors qu’elles offrent l’avantage d’être peu onéreuses voire gratuites.

    1. Je vais une fois par semaine à celle de Lannion et j’emprunte toujours un tas de truc que je ne lis pas forcément (j’emprunte pour faire monter les statistiques de prêt : j’ai été moi aussi bibliothécaire !). Je ne sais pas comment je ferais sans bibliothèque, j’adore cet endroit, j’aime m’y promener, regarder, flâner, feuilleter…

  12. Billet très intéressant. Mais lire ce document me déprimerait trop. Il y a des moments, j’ai envie de faire l’autruche, car trop de sujets m’agressent et qu’à moi seule, je ne peux pas changer le monde.

    Mon dernier achat de livre… une tentation sur Babelio à propos des sorties de la RL de janvier. Commandée à l’une des librairies de Dinard.

    Par contre, j’avoue, j’achète mon matos photos sur Amazon… Il n’y a rien près de chez moi, aucune boutique de matériel photo, ce qui me ferait faire 170 km aller/retour.

    1. Tu fais partie de la société donc tu peux la changer. Si tout le monde baisse les bras, rien ne se fera : c’est parce qu’il y a des gens qui se battent qu’il faut continuer. Quand on adopte un comportement différent, il interroge les autres. Courage !

  13. Comme les gens d’aujourd’hui cherchent surtout la facilité et la rapidité, Amazon a un avantage. De plus, le site fournit des conseils personnalisés – le client n’a même pas à réfléchir de quoi il a besoin, on le lui dit ! C’est vraiment fou.
    On achète toujours dans des librairies indépendantes, même si pour certains titres les délais de livraisons sont plus longs.
    Heureusement qu’il existe ce genre d’ouvrage qui dévoile tous les enjeux.

  14. Coucou ! Que de thématiques qui larvent dans nos métiers depuis des années !! On gagnerait à rester solidaires entre maisons d’édition et librairies ❤ Malheureusement pour moi, ce livre n’est pas dans mes bibliothèques de quartier, peut-être un jour !

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