Culture, état d’urgence d’Olivier Poivre d’Arvor

Dans ce réjouissant (car stimulant) pamphlet, Olivier Poivre d’Arvor, actuel directeur de France Culture, jadis en charge de la politique culturelle du Quai d’Orsay, se livre à un bilan de l’état de la culture en France à la veille de l’élection présidentielle et propose quelques pistes qui permettraient à notre pays de retrouver son dynamisme passé.

France et Europe sont à la traine de la nouvelle donne culturelle : tout se fait aux États-Unis aujourd’hui. Le message culturel de la France est «conservateur et ronronnant», engoncé dans son prestige passé, devenu inaudible au niveau international. La France est «une étoile pâlissante autour de laquelle le monde, multipolaire, ne se construirait plus» ; «assis sur notre héritage, contempteur de notre patrimoine, nous avons pris un sacré retard». Exactement ce que constatait Donald Morrison dans son ouvrage Que reste-t-il de la culture française (après avoir agité le milieu avec son article annonçant la mort de la culture française dans l’édition européenne du Time Magazine en 2007).  La révolution numérique, «véritable tsunami pour les pratiques culturelles» vient d’ailleurs, la France n’en est pas à l’origine, elle ne fait que suivre et consommer. Le pays  a perdu son hégémonie culturelle, même si «la France est encore par réputation l’eldorado de la culture sur cette planète». Pour retrouver un semblant de lustre, elle e a besoin d’un New Deal culturel. Pour ça, foin de l’exception culturelle française et vive la diversité !

Après le constat, il est temps de s’interroger : à l’heure de la mondialisation de la culture et du reste, une culture nationale est-elle possible, souhaitable ? Quel est le rôle de l’Etat dans la culture ? L’idée de service public de la culture est-elle viable et exceptionnellement française ? Car quand on parle de culture, on parle de subventions, d’argent, ne perdons pas de vue une donnée essentielle : la frontière entre la culture qui rapporte (numérique, marché de l’art, tourisme…) et la culture qui coûte (bibliothèques, spectacle vivant…) ; entre le patrimoine (musées, bibliothèques) et la création (cinéma, musique, spectacle vivant…).

Bien d’autres questions stimulantes traversent ce petit livre : où est la frontière entre culture et divertissement ? La culture du net est-elle une culture facile, une sous-culture ? La télévision est-elle devenue un outil d’abrutissement des masses ? Les téléspectateurs se diviseraient en deux : ceux, les cultivés très peu nombreux, et la grande majorité qui cherchent le divertissement perpétuel. C’est un constat global qu’Olivier Poivre d’Arvor ne fait pas sien car pour lui, «la télévision reste bien le possible outil d’accès essentiel à la culture».

Olivier Poivre d’Arvor est fondamentalement un optimiste et il s’exclame, avec un enthousiasme généreux et éclairé : «Sus à la mélancolie régnante» ! Car il croit fermement que les Français ont le moyen de sortir de leur dépression culturelle : l’amour de la culture. «Les Français, fidèles à des habitudes anciennes, amateurs de belles choses, instructives comme divertissantes, sont toujours ceux qui, par habitant en Europe comme dans le monde, dépensent le plus pour la culture » et ce malgré la «politique culturelle» actuelle.
Il faut adapter le service public à la nouvelle donne culturelle, ne pas se reposer sur les nostalgiques mais stimuler les «natifs du numérique». Pour lui, la France doit rattraper son retard numérique, c’est une priorité. Pour ça, il faudra en passer par un changement de perspective : d’Internet comme danger pour les créateurs (musique, cinéma, livres) à cause du piratage et de la gratuité à Internet comme lieu d’expression participatif. «Reste à inventer ce nouveau modèle économique qui remplacera des lois pénales par un système rémunérateur et redistributif pour les ayants droit

Des changements en profondeur seront sans doute nécessaires, qui devront passer par une redéfinition de la culture et un sang nouveau. La culture doit devenir l’affaire de tous et non celle de quelques énarques ou élites. Pour Olivier Poivre d’Arvor, la démocratie participative en matière culturelle n’est pas synonyme de nivellement pas le bas ou de vulgarisation démagogique, elle permet à chacun d’être acteur.
Au-delà d’une action nationale, il faut inventer, au niveau européen, «une industrie commune de la culture» pour créer du contenu et forcer la position dominante des États-Unis. En effet, Wikipedia, Google, Facebook, You Tube et autres moteurs de la révolution numérique sont sous contrôle américain, la France et l’Europe ne sont qu’utilisateurs.

Personnellement, voici un des points qui me soucie, parce qu’il me concerne : le cinéma en France ne s’est jamais aussi bien porté, c’est formidable, tant mieux. Mais quel cinéma ? On se rue sur Intouchables, les Ch’tis, les adaptations de Harry Potter, Twilight. Mais moi, les derniers films qui me tentaient c’étaient El Chino, film argentin avec Ricado Darin et La mémoire dans la chair de Dominique Maillet. Ou bien Albert Nobbs, ou La Dame de fer. Ben ça va pas être possible, à moins de faire 70 kilomètres aller-retour. Au moins… Voici, à titre d’exemple, le programme du cinéma de ma ville en cette semaine : Zarafa, La vérité si je mens – 3, Voyage au centre de la Terre, Les Infidèles, Cheval de guerre, Félins, Intouchables (encore !), Le territoire des loups, Sécurité rapprochée, Ghost Rider, Star Wars – 1, La colline aux coquelicots, Alin et les Chipmunks – 3, Devil Inside, Il était une fois, une fois, Dos au mur, Le Havre. Tous les films étrangers sont bien sûr proposés en version française. Je me refuse à voir des films ainsi massacrés.

Ce qui met l’accent sur l’accessibilité à la culture : bien des habitants du Cantal, de la Creuse ou de la Dordogne se réjouiraient devant les expositions parisiennes, lyonnaises, lilloises… Mais comment y aller ? Nos petits musées de régions sont loin d’être aussi stimulants. Il en est de même pour les programmations théâtrales, d’une grande prudence (quand elles existent). Je fais partie de ces Français avides de culture habitant en zone rurale, et je peux vous dire qu’il fait triste y vivre, désolant même. Mais s’en préoccupe-t-on à Paris ? «en 2009, 92% du budget d’investissement du ministère de la Culture était consacré à la région parisienne» ! La décentralisation de la culture est un leurre. On emmène désormais les enfants des écoles au musée ? Qui me fera croire qu’une sortie au Louvre équivaut à la visite du musée du caillou de Trifouillis-les-Oies ? L’égalité de tous devant la culture n’est presque plus un combat social, c’est un problème géographique.

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Culture, état d’urgence

Olivier Poivre d’Arvor
Tchou, 2012
ISBN  : 978-2-7107-0792-9 – 146 pages – 9.95 €

22 commentaires sur “Culture, état d’urgence d’Olivier Poivre d’Arvor

  1. J’ai lu ce livre et je l’ai ressenti différemment. Il est utile pour se poser des questions mais bien trop centré sur la culture française, comme s’il n’existait que celle-ci.
    Je suis d’accord avec toi pour le problème géographique, et pas que dans les villages, dans les petites villes aussi.

    1. C’est la culture française qui l’intéresse ici, pas la culture en général. Ça n’est pas un hasard si le livre sort 5 mois avant les présidentielles : il souhaite interpeler les candidats en posant de vraies questions, en soulignant les problèmes. Et peut-être se voit-il en ministre de la Culture, pourquoi pas…

  2. Originaire de l’Aveyron (et y passant les trois quarts de mes vacances), je suis toujours atterrée par ce phénomène. Espérons que sa voix soit entendue… on peut toujours rêver ! 😉

  3. Si seulement ce livre pouvait faire réagir les politiques…mais la culture est loin d’être leur souci premier. Même si les promesses fleurissent en période électorale. Alors évidemment après….
    Et puis, personnellement, j’habite Lyon, oui il y a des expos, des cinés, du théâtre, etc…mais quand on gagne le smic (voire moins) il y a de très belles choses dont on ne profite pas non plus, même si elles sont alléchantes et sous notre nez. Certains musées, heureusement pratiquent la gratuité pour les non imposables, les chômeurs, mais… pour le reste ?
    Je suis pourtant haut et fort pour l’optimisme, car je crois qu’il peut nous porter loin, mais sans se voiler la face non plus !

    1. Ce qui est enthousiasmant dans ce texte, c’est l’optimisme d’Olivier Poivre d’Arvor qui semble être par ailleurs un homme généreux, ouvert. Il a des idées, il est intelligent, mais l’argent restera toujours un problème…

  4. en te lisant je me dis que j’ai la chance d’habiter Dinard qui est une toute petite ville où on aime le cinéma , j’ai vu tous les films dont tu parles en VO.
    Mais je souffre du manque de théâtre.
    les changements positifs concernant la gauche voudra sans doute dire plus d’état … plus de subventions ..
    mais on verra bien !
    Luocine

    1. Il explique que l’argent de la culture, ça n’est pas forcément que l’État. D’une part parce que les Français dépensent beaucoup dans ce secteur (j’avoue avoir eu du mal à y croire) mais aussi parce que des financements peuvent être trouvés ailleurs, notamment chez ceux qui s’enrichissent grâce au développement de la culture sur Internet sans y réinvestir le moindre centime. C’est complexe à expliquer, mais lis ce petit opus tout à fait éclairant.

  5. Plume, je ne suis pas tout à fait d’accord avec ce que tu dis par rapport à l’argent….

    Nous habitons Bordeaux et allons très souvent à Paris et nous avons constaté qu’il y avait pas mal de plans pour accéder à la culture gratuitement : beaucoup de musées sont gratuits un jour par mois, les galeries de peinture ou autre sont ouvertes à tous, etc….

    A Bordeaux, par exemple, le Musée d’Aquitaine est gratuit pour les expositions permanentes, le musée des Arts décoratifs coûte 5 euros et gratuit pour les -18 ans. J’ai payé 9 euros et 50 cts pour Cap sciences (1 adulte et 1 enfant), etc….

    Je pense qu’en cherchant, on trouve…Par contre, pour le cinéma, c’est beaucoup plus dur dans les petites agglomérations si l’équipe dirigeante du ciné n’est pas branchée film grand public ET films d’auteurs ou autres…

  6. C’est vrai que même si je suis en Province, j’ai la chance d’être près de Paris donc de pouvoir voir les expos qui m’intéressent, ce qui n’était pas le cas lorsque j’étais plus loin.
    Le cinéma de toute façon, je boycotte, tant que les places seront à 10€ !

  7. Très intéressant dis donc !
    Je suis tout à fait d’accord avec toi sur la culture dans les zones rurales, j’habite aussi en zone rurale et la culture manque. Ne serait-ce même au point de vue de certaines villes qui s’intéressent beaucoup plus aux fonds attribués au foot pour laisser de côté la culture et notamment les bibliothèques et médiathèques pour un premier exemple, c’est désespérant.
    Par contre j’apprécie ces petites villes qui se démènent pour faire venir le théatre jusque ici !!
    BEAUCOUP RESTE A FAIRE !!!!!!
    Je suis en manque aussi de ce côté culturel.

  8. j’ai la chance de travailler dans une grande ville et d’habiter à la campagne : donc, trajet et peu de temps pour les expos ou autres ! 1/ pas envie de redescendre dans ladite ville le week-end et 2/ que faire des enfants ? (trouver une nounou ?) 3/ pour l’opéra : cela implique de quitter la salle et d’aller récupérer seule ma voiture garée… moyen !

  9. Merci pour cette lecture, qui me rappelle quelques souvenirs. L’auteur se veut plutôt volontariste en matière de culture, et porte effectivement une certaine vision en la matière.

    Juste un clin d’oeil au sujet de la Creuse: il y a justement à Guéret un super cinéma (multiplexe trois salles, nommé « Le Sénéchal ») qui, en plus des productions mainstream, diffuse régulièrement des films plus recherchés…

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