American Predator de Maureen Callahan

American Predator de Maureen Callahan

Le tueur le plus méticuleux/sordide/violent/sadique… et je ne sais quels adjectifs encore. Pour vendre un livre, il faut faire dans le superlatif, d’autant plus quand l’auteur est inconnu. Et en matière de tueur en série, il faut un adjectif assez accrocheur pour que le lecteur ait envie de l’acheter et de tourner les pages : il faut lui promettre l’horreur et le jamais vu ! Pour Israël Keyes, dont personne n’a entendu parler ici, il faut taper fort pour attirer l’attention. Ce sera « le plus insoupçonnable », écrit sur le bandeau de couverture de l’édition de poche et le plus méticuleux pour le sous-titre en anglais. Ça ne claque pas très fort, mais le titre, American Predator, compense très bien.

Le propre d’un tueur en série est de tuer en série, c’est-à-dire un grand nombre de personnes. Une vingtaine officiellement pour Ted Bundy, l’idole de Keyes, ça en jette. 17 pour Jeffrey Dahmer, c’est moins mais comme il les a mangées, c’est tout de suite beaucoup plus vendeur. Pour notre héros du jour, c’est 3. C’est toujours trois de trop, bien sûr, mais ce qui retient ici mon attention c’est la surenchère éditoriale. Le livre de la journaliste Maureen Callahan n’a pourtant pas besoin de ça et se passerait de cette présentation tonitruante.

Février 2012. À Anchorage en Alaska, la jeune Samantha Koenig a disparu après sa soirée de travail dans un fast food de bord de route. Tout commence comme d’habitude : on soupçonne une fugue, la famille s’inquiète puis devient suspecte, un ou deux enquêteurs plus futés que les autres s’accrochent et le type est arrêté lors d’un contrôle routier.

On l’a compris puisque c’est pour ça qu’on lit ce livre : le suspect, Israel Keyes, n’a pas fait qu’enlever Samantha. On assiste ensuite aux interrogatoires de Keyes par le FBI et la police et c’est ce qui est le plus intéressant. Bien plus que le parcours de Keyes lui-même. En le retraçant cependant, Maureen Callahan met en lumière toutes les failles qui permettent à un tueur de tuer et tuer encore sans être le moins du monde inquiété. Il faut dire que cet Israel Keyes a une étonnante maîtrise de lui-même : il peut violer le cadavre d’une jeune fille dans son jardin et la minute d’après emmener sa fille à l’école et assister à une réunion de parents d’élèves…

C’est ce self control qui est effrayant mais Maureen Callahan ne parvient pas à le rendre vraiment inquiétant. Les meurtres sont vus par ses yeux puisque basés sur ses propres aveux mais restent très factuels. Ce qu’il raconte est effrayant mais ne suscite pas vraiment l’horreur. Il n’y a aucun sentiment, aucun affect. Oui American Predator se lit comme un roman, mais ce n’est pas un roman au sens où c’est un squelette dénué de chair. C’est un texte descriptif en ce qui concerne le tueur. Il y a à l’inverse des scènes qui s’attachent au ressenti des enquêteurs, ce qui n’est pas si courant quand on n’est pas dans un roman. Ainsi le travail des plongeurs chargés de remonter des cadavres à la surface est-il mis en lumière.

Car avec la masse de documentation en sa possession, ce que Maureen Callahan décripte le mieux ce sont les procédures, les problèmes rencontrer durant l’enquête, les invraisemblances, les rivalités d’ego entre les différents enquêteurs. C’est intéressant de voir comment les agents fédéraux tentent de créer un lien avec le tueur pour l’amener à parler. Ils veulent qu’il énumère tous ses crimes, qu’il avoue ce qu’il a fait des corps. Voilà qui leur permettrait sans doute de clore certains cold cases. Mais Keyes n’est pas disposé à tout déballer. Il pose des conditions tout en promettant de parler, plus tard. Il les ballade tellement qu’au final, ils n’ont que trois meurtres à se mettre sous la dent et beaucoup de soupçons dans d’autres cas mais qui restent sans preuve et sans aveu.

Autre intérêt du livre : le travail de recherche et de synthèse effectué par Maureen Callahan. Elle a eu accès à des documents du FBI et de la police, rencontré des enquêteurs, des témoins, lu la presse de l’époque. De cette masse sort American Predator qui se lit comme une enquête qui, puisqu’on n’est pas dans un roman, ne manque pas de temps morts.

Donc, quand la 4e de couverture affirme que « American Predator pénètre les rouages angoissants d’un esprit malade et ceux, grippés, d’une machine policière empêtrée dans ses luttes internes ». Je suis d’accord avec la seconde partie de la phrases, mais pas la première. Encore moins avec le « périple sauvage, aux confins de la folie » (pourquoi « sauvage », je me le demande).

Pour moi, American Predator n’est pas le livre le plus ceci ou le plus cela. C’est un bon livre qui nous plonge dans les coulisses d’une enquête, un jeu de chat et de souris entre des enquêteurs et un meurtrier retors dont l’Amérique semble regorger.

Un autre avis sur Book’ing.

American Predator

 

Maureen Callahan traduite de l’anglais (américain) par Corinne Daniellot
Sonatine, 2022
ISBN : 978-2-35584-837-7 – 360 pages – 21 €

American Predator, parution originale : 2019

 

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22 Comments

  1. Complètement d’accord sur cette surenchère inutile (et sur ce titre, qu’on croirait celui d’une série Z…), voici des extraits du début et de la fin de mon billet :

    « Le prologue met en bouche : nous allons faire la connaissance d’un tueur en série qui « a chamboulé toutes les convictions des agents du FBI, (…) un monstre d’un nouveau genre » soupçonné d’être responsable de la plus grande série de disparitions et de meurtres non élucidés de l’histoire contemporaine, dont nous n’avons pourtant jamais entendu parler… »(…) « Et si l’on se remémore la promesse du prologue, il faut bien le dire, ça fait flop… « 

    J’ai en revanche trouvé l’ensemble moins passionnant que toi, même s’il y a effectivement beaucoup d’éléments intéressants sur l’enquête elle-même (j’ai été très impressionnée par les plongeurs), mais la dimension redondante et minutieuse de son déroulé -même si elle rend bien compte de la longueur et des piétinements de l’enquête- a fini par rendre le temps long…

    1. J’ai ajouté un lien vers ton billet. Moi le titre me rappelle une des très rares série TV que j’ai vue : American Horror Story. Je crois bien que c’est pour ça que j’ai écouté ce roman, qui n’a rien à voir avec cette série.

    1. Oui, c’est parfois excessif. Ceci dit, quand je lis l’avis de certains blogueurs sur des romans qui sortent, c’est souvent encore plus excessif, je dirais même délirant. On sent la pommade passée en long en large et en travers, c’est encore plus insupportable, je trouve.

    1. Ce qui m’intéresse concernant les tueurs en série, c’est leur psychologie, leur construction, l’analyse de leur comportement. Ici, ce n’est pas au premier plan, c’est l’enquête qui est privilégiée.

  2. J’avoue que j’ai bien ri en lisant ton billet mais il faut croire que les méthodes publicitaires des éditeurs sont vendeuses puisqu’ils continuent d’en abuser… Et encore, on échappe aux couleurs criardes des couvertures anglo-saxonnes ! Sinon, ce livre semble plutôt intéressant, notamment pour le travail de recherche que la journaliste à effectué et la mise en avant des problèmes internes à la police.

  3. Je suis tout à fait d’accord avec la surenchère éditoriale qui m’agace au plus haut point… Surtout que souvent, ils promettent plus que ce qu’on ne trouve dans les pages et que du coup, on finit par être déçu. Alors qu’avec une 4ème de couv qui annonce juste l’histoire/le sujet, et sans bandeau supplémentaire, je ne m’attends à rien de particulier, juste à de la découverte … et là, je suis en général moins souvent déçue par mes lectures.

    Bon je note tout de même ce titre car tu en démontres bien l’intérêt.

  4. Un livre intéressant pour tout ce que tu nous dis avec brio d’ailleurs, mais est-ce que je recherche quand je lis un thriller ou un policier ou une histoire de tueur en série, je ne crois pas même si c’est important que l’auteur se documente sérieusement, et que j’apprécie qu’il le fasse, il me semble que celui-ci pourrait peut-être me tomber des mains. Je reste avec un avis mitigé du coup !

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