La leçon du mal de Yusuke Kishi

La leçon du mal de Yusuke Kishi

Au moment d’écrire cette chronique, je me demande si j’ai aimé ce roman… j’ai écouté ses 544 pages lues par Marc Wilhelm mais je ne sais pas si j’aurais supporté de les lire. Car dans La leçon du mal nous passons ces pages aux côtés (et non pas dans la tête puisque le roman est à la 3e personne) d’un fou sadique et très lucide qui prend plaisir à tuer toujours plus et accumule les cadavres.

Seiji Hasumi est professeur d’anglais dans un lycée japonais. Jeune, beau, charismatique, il est la coqueluche des élèves. Il se voit donc confier une classe de 1ere à problème. Il est attentif, à l’écoute et très patient. L’intérêt de la première partie du roman est de dresser le portrait de cet homme, de comprendre comment il peut s’attacher les élèves et les profs.

Parallèlement, on découvre le manipulateur en lui. Une fois qu’il a installé un climat de confiance, il peut jouer avec les faiblesses des gens qui restent sur leurs premières impressions le concernant. Mais lui est avant tout froid et cynique, dénué de la moindre compassion. Plusieurs retours en arrière retracent son passé pour nous permettre de comprendre d’où il vient (mais pas comment ni pourquoi il est devenu l’être froid qu’il est : c’est dans sa nature même). Il a eu quelques problèmes dans son lycée précédent qu’il a quitté après une vague de suicides d’élèves. Suicides, vraiment ?

Puis il commence à tuer. Un corbeau, une personne, puis deux, puis trois, jusqu’au massacre de tout le lycée dont jusqu’au bout il espère sortir insoupçonné.

Le massacre s’avère très répétitif. Si au début on espère que, quand même non, il ne va pas tuer tel ou tel personnage, on comprend bientôt que c’est une machine à tuer qui n’épargnera personne. Surtout pas le gentil adolescent bien sympathique. Le « suspens » est donc dans le comment : comment un type seul parvient à faire un carton plein sur une trentaine de personnes en une soirée (tout en espérant s’en sortir ni vu ni connu). Ce « comment » étant truffé d’incohérences et tout à fait invraisemblable, ça en devient drôle, si on apprécie l’humour gore. Celui de certains films d’horreur, les slashers, où l’accumulation excessive et répétitive de cadavres finit par déclencher le rire. Le macabre poussé à son paroxysme déclenche le grotesque.

Rien de ce qui est lié au déroulement des meurtres n’est réaliste. Hasumi réussit trop facilement tout ce qu’il entreprend. Il accumule les cadavres derrière lui et jamais personne ne le soupçonne. Il ne s’agit donc pas d’un roman sociologique sur les tueurs de masse ou psychologique sur le fonctionnement d’un tueur implacable. Par contre, il pourrait s’ériger en traité de manipulation. Kishi Yusuke décrit comment le gentil professeur d’anglais endort ses collègues et dompte ses élèves : tous lui mangent dans la main. Il est une figure d’autorité que personne ne songe à mettre en doute.

J’aime assez cet humour qui me rappelle celui de certains mangas qui mêlent grand n’importe quoi, macabre et critique sociale. Et la série Scream de Wes Craven que j’aime beaucoup. Format 544 pages, c’est un peu long. D’autant plus que ce roman regorge de personnages aux noms plus japonais qu’il ne m’en faut pour que je confonde tout le monde (je ne sais même pas au départ s’il s’agit de prénoms féminins ou masculins, et une fois que je l’ai compris, j’oublie parce que les élèves et collègues de Hasumi sont vraiment très nombreux).

La 4e de couverture invoque American Psycho ce qui est vraiment à côté de la plaque. Le roman de Bret Easton Ellis est implacable et hyper réaliste, rien à voir avec La leçon du mal. Je pense plutôt à Battle Royale qui mêle gore et invraisemblable, jusqu’au rire. Il y a aussi un aspect caractéristique de cet humour asiatique (croisé dans certains films coréens déconcertant de Park Chan-wook par exemple) où le ridicule flirte avec les sujets les plus graves (ici le harcèlement scolaire, sexuel, psychologique) : on ne sait pas s’il faut en rire ou pas et c’est souvent inconfortable. D’où ma phrase d’ouverture : je me demande si j’ai aimé ce livre…

On nous dit aussi qu’il s’agit d’un livre phénomène au Japon. Peut-être mais dans ce cas, il faut sans doute avoir été élevé là-bas, y avoir été lycéen pour mieux apprécier la charge critique du roman.

 

La leçon du mal

Yusuke Kishi traduit du japonais par Diane Durocher
Belfond, 2022
ISBN : 978-2-7144-9461-0 – 544 pages – 24 €

Aku no kyōten, parution au Japon : 2010

 

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25 Comments

  1. Il est dans ma PAL et je ne sais pas trop si je l’apprécierais n’étant plus trop lectrice de ce genre de livres où les cadavres s’accumulent, par contre, tout ce qui concerne la manipulation m’intéresse.

  2. Le sanglant, ce n’est pas pour moi … C’est intéressant de lire ton billet car les autres commentaires que j’ai lus au sujet de ce roman ne semblaient pas avoir décelé d’humour, peut-être à cause du décalage culturel.

    1. Je ne connais pas beaucoup la culture asiatique et japonais qui m’est en général assez hermétique. Mais j’ai plusieurs fois testé leur humour macabre et il me plaît, même si ça reste très déconcertant…

  3. Vu les excès et les invraisemblances que tu mentionnes, je préfère passer. Je ne suis pas sûre du tout que ça me ferait rire, ça aurait plutôt tendance à m’énerver je pense.

  4. Je n’ai pas du tout aimé ce roman ou je suis complètement passée à côté. J’ai trouvé les personnages caricaturaux, l’intrigue absurde et je n’ai pas compris l’humour… Quand j’ai reçu la notification pour la publication de ton billet, j’étais vraiment curieuse de connaître ton avis… même si tu n’as pas tranché, je vois que nous avons relevé les mêmes éléments.

    1. Les personnages caricaturaux et l’intrigue absurde font partie de ce genre d’humour… Ce roman est destiné aux adolescents au Japon : il y a vraiment un gouffre culturel entre eux et nous !!

  5. Je peux passer, aucun ingrédient ne me tentant vraiment, à part le fait qu’il s’agit de littérature japonaise… Mais le macabre et l’invraisemblable, non, vraiment.

    1. Je pense qu’au final peu de lecteurs sont clients de ce genre d’humour et que ceux qui ne l’ont pas aimé ont été victimes d’un malentendu au départ…

  6. Je serais peut-être bien tentée, mais plus de 500 pages, c’est quand même long… On verra, peut-être qu’il croisera mon chemin à un moment ou un autre.

  7. On est d’accord… après avoir bien accroché, je me suis dit que « trop c’est trop »… j’ai aussi senti qu’on n’appartenait pas à la même culture.

    1. C’est d’ailleurs assez étrange parce qu’on a plutôt l’habitude de prendre les Asiatiques pour des gens plutôt réservés et discrets : cet humour de l’excès prouve que ce n’est pas toujours le cas.

  8. C’est un roman dont j’ai eu du mal à parler sur mon blog car comme tu le soulignes certaines choses sont intéressantes (le charme évident de ce professeur qui sait parfaitement plaire aux élèves par exemple) mais les scènes de tueries à répétition m’ont carrément dérangées voire écoeurées pourtant j’aime les thrillers mais là j’ai trouvé que c’était beaucoup trop, du coup je n’ai pas eu envie de lire d’autres titres de cet auteur…Merci pour ton ressenti

    1. C’est en effet quand il se met à tuer sans plus s’arrêter que ça tourne au grand guignol et qu’on peut avoir du mal à adhérer. Et je comprends que l’humour gore ne plaise pas à tout le monde 😉

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