Saul Garamond est accusé du meurtre de son père que l’on a retrouvé écrasé au pied de son immeuble après être passé par la fenêtre. Emprisonné, il est rejoint dans sa cellule par un homme qui dit être le Roi des Rats et lui permet de s’échapper. Saul le suit dans les égouts de Londres et découvre sa véritable identité : sa mère était un rat, il est lui-même mi-homme, mi-rat et son étrange sauveur, son oncle. Mais celui-ci n’est plus qu’un monarque déchu depuis que, cinq cents ans plus tôt, un certain joueur de flûte a anéanti son peuple, le contraignant à se cacher, à trembler de peur d’être retrouvé. Avec Anansi, le roi des araignées et Loplop, le roi des oiseaux, il gamberge sa vengeance qui ne peut être qu’illusoire car il n’a plus autorité sur ses sujets. C’est à Saul que peu à peu, les rats se mettent à obéir.
Parallèlement, les amis de Saul s’inquiètent pour le jeune homme disparu. Fabian essaie de le retrouver en s’adressant à leur amie commune, Natasha, jeune compositeur de drum and bass. Mais la jeune fille ne sait rien et n’accorde finalement que peu d’intérêt à la recherche de Saul, tout accaparée qu’elle est par l’arrivée dans sa vie de Pete, très étrange jeune homme qui semble capable de révolutionner la musique Jungle avec sa simple flûte…
Pour son premier roman (mais le troisième traduit en français), China Miéville a utilisé trois ingrédients : la musique, Londres et le vieux conte du Joueur de flûte de Hamelin. Avec une maîtrise étonnante pour un si jeune auteur, il marie les trois avec conviction pour créer une atmosphère glauque et pesante où les rats sont rois. Les égouts, les papiers gras, la nuit se marient aux piaillements des animaux qui se battent à mort et meurent dans des orgies de sang. Sur des rythmes à la fois violents et planants, le sang des animaux et des hommes envoûtés par la flûte démoniaque coule, entraînant des êtres qui meurent en croyant accomplir leur plus beaux rêves de sexe et de plaisirs. Pour dominer le monde, le Joueur de flûte, Roi de la danse, traduit en musique les fantasmes de chacun. Miéville traduit cet envoûtement par son écriture aussi évocatrice dans les descriptions que violente dans les dialogues. On suit Saul au cœur souterrain de Londres, là où grouille la vermine de nos pires cauchemars. Peu à peu il devient rat, mangeant les ordures, s’agrippant aux murs…
Dans une ambiance résolument undergroud et parfois gore, Miéville crée une Londres fantastique et magique qu’il faudrait parcourir, livre en main. On n’est pas loin du Neverwhere de Neil Gaiman (voir aussi le personnage d’Anansi), même si Miéville affirme ne pas avoir lu ce livre avant d’écrire le sien. La modernisation du mythe du Joueur de flûte est remarquablement intelligente et rattrape le ratage qu’est l’enquête de police (avec un protagoniste – l’inspecteur Crowley) qui disparaît du roman sans explication).
Bref, ce livre est avant tout une ambiance, une plongée fantastique et suintante dans une ville tissée de mystères et de musiques. Ceux qui n’ont pas pu entrer dans l’univers étrange de Nouvelle-Crobuzon (cf. Perdido Street Station et Les Scarifiés) y trouveront peut-être leur compte.
China Miéville sur Tête de lecture
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Le roi des rats (King Rat, 1998), China Miéville traduit de l’anglais par Florence Lévy-Paoloni, Fleuve Noir, septembre 2006, 295 pages, 20€