J’aime beaucoup Ian McEwan, en particulier son grand talent pour mener le lecteur par le bout du nez. J’ai donc eu envie de découvrir ses premiers textes grâce à la réédition de Le jardin de ciment en Points, nouvelle collection « Signatures ». Ce texte date de 1978 et raconte comment une fratrie de quatre enfants (deux filles et deux garçons, dont Jack, quatorze ans, le cadet et le narrateur) se retrouve seule dans une grande maison après la mort de la mère qu’ils décident d’enterrer dans la cave.
Citation d’une interview accordée par l’auteur au magazine « Transfuge » de novembre/décembre 2006, alors qu’il parle de son enfance : « Comme dans toute les familles, peut-être, il y avait une sorte de tristesse dont je ne parlais jamais. Mais ce silence et cette oppression diffuse ont créé une sorte de nœud, de concentré de non-dit, qui a explosé quand j’ai commencé à écrire. Cette explosion d’étrangeté a donné voix à des sentiments inexprimés, des univers un peu macabres ou pervers, qui n’étaient en rien liés à des expériences personnelles vécues, mais simplement la traduction d’une contrainte, celle que j’avais ressentie de façon parfois inconsciente chez moi ».
Macabre et pervers, deux adjectifs appropriés pour qualifier Le jardin de ciment, roman troublant, voire dérangeant. C’est bien avant le décès de leur mère que les enfants se livrent à un touche-pipi vraiment pas innocent. Après son ensevelissement dans un excédent de ciment, ils laissent libre cours à leurs pulsions, le plus jeune garçon choisissant de régresser au stade de bébé, en se travestissant en fille pour faire bonne mesure. Jack passe son temps à se masturber et à fantasmer sur sa sœur aînée qui prend son rôle de chef de famille très au sérieux.
L’écriture sobre et froide de Ian McEwan sert à merveille cette atmosphère étouffante, à la limite de la claustrophobie familiale, car si l’on est dérangé par cette lecture qui ne va pas dans le sens du politiquement correct, c’est bien parce que l’auteur excelle à décrire le malsain. La démolition du quartier, la famille qui se délite (la mort du père puis de la mère), tout accompagne la ruine morale de ces êtres délaissés. Abandonnés à eux-mêmes, ils restent des enfants, enfin libres d’être naturels. Ils font fi de tous les tabous car plus personne n’est là pour les leur rappeler et ils se moquent de la mort car ils ignorent le temps, et le frère aime la sœur qui a toujours été sa complice et son réconfort.
J’aime beaucoup les romans de Ian McEwan, en particulier Délire d’amour, qui fait partie des livres que j’emmènerai avec moi sur une île déserte (au cas où). Le jardin de ciment m’a pourtant nettement moins enthousiasmée que les autres, même si j’en apprécie le style et la rigueur narrative.
Ce roman a été adapté au cinéma en 1993 par Andrew Birkin avec Charlotte Gainsbourg.
Ian McEwan sur Tête de lecture
Le jardin de ciment
Ian McEwan traduit de l’anglais par Claire Malroux
Le Seuil, Points n°P1856, collection « Signatures », 2008
ISBN : 978-2-7578-0755-2 – 174 pages – 8 €
The Cement Garden, parution en Grande-Bretagne : 1978