1898. Tout commence par vingt minutes de film sans parole ni musique : rien que l’homme, le travail, la souffrance et la poussière. Un homme coriace, dur à la tâche et avec lui-même. Il creuse le sous-sol d’une terre aride, ingrate et rebelle. On sait déjà qu’il est prêt à tout supporter pour le gisement qu’il a trouvé. Peu importe l’argent qu’il rapporte, peu importe la souffrance, peu importe les autres : rien ne compte que le pétrole.
Pourtant, on se dit que cet homme dur n’est pas dénué de sentiment puisqu’il trimbale avec lui, entre pétrole et poussière, un bébé qui restera durant les deux heures trente huit du film, H.W. Son fils, l’enfant d’une femme morte en couches, qui suit son père et sert son baratin quand il veut acheter aux malheureux pionniers leurs hectares de cailloux pour une bouchée de pain. Leurs terres improductives vont devenir de l’or noir entre les mains Daniel Plainview. Mensonge, parjure, violence : il n’épargne aucune bassesse pour parvenir à ses fins et construire son rêve.
Daniel Day-Lewis a décroché un Oscar pour cette superbe interprétation taillée à la mesure de son physique et de son étrange charisme. Il habite tout l’écran, de sa démarche claudicante, tout en sueur, pétrole et indifférence du prochain. Il avance, achète, écarte les obstacles, humains ou matériels. Et quand un jour son fils, devenu sourd à cause d’un accident lors d’une extraction, n’est plus un avantage pour lui, il l’écarte également, sans effusion et peut-être sans regret. Peut-être car derrière le masque impassible de ce visage usé, il y a un homme. On voudrait le sauver, lui pardonner, le rendre humain, mais il accepte toutes les humiliations pour un pipeline.
Il a pourtant en face de lui un adversaire de taille : le pasteur Eli (Paul Dano), chef de l’Eglise de la Troisième Révélation. Jeune, discret, mais ambitieux à sa manière, c’est lui qui a mis Plainview sur la piste du pétrole de Little Boston qui va faire sa fortune. Exorciste à ses heures, il envoûterait bien ce paroissien qui lui résiste, qui lui doit de l’argent et qui a réussi dans son domaine, la prospection indépendante. Alors comme il ne peut pas atteindre le chercheur d’or noir, il cherche à humilier l’homme en lui faisant hurler devant tous qu’il a abandonné son fils. Mais il ignore que l’homme n’a ni âme ni conscience, juste un esprit de vengeance très tenace qui lui permettra d’attendre des années avant de faire avouer à Eli qu’il est un charlatan.
Ces deux aveux sont parmi les scènes fortes de ce film, de même que la scène d’ouverture et celle où le père crache à la face de son fils qu’il n’est qu’un « bastard from a basket ». Autant de rage et de folie dans un homme froid, c’est comme l’avènement diabolique d’un être dont le charisme réside dans la haine d’autrui. Car au-delà de l’épopée du pétrole américain, ce film est l’itinéraire d’un homme démesurément ambitieux.
Dans des décors magnifiques de misère, de lumière naturelle, de végétation tantôt aride, tantôt luxuriante, ce Daniel Day-Lewis est un fou grandiose, un être humain sans morale incarné par un acteur rare, une image trouble de l’Amérique qui réussit. Dans un paysage de derricks, de rocs et de cabanes poussiéreuses, dans des espaces grandioses et magnifiés, c’est finalement une épopée intimiste que nous peint Paul Thomas Anderson en s’inspirant du livre de Upton Sinclair, Oil !, paru en 1927 aux Etats-Unis.
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There Will Be Blood, Paul Thomas Anderson (USA)
Avec Daniel Day-Lewis (Daniel Plainview), Paul Dano (Eli & Paul Sunday), Dillon Freaser (H.W. Plainview)
Durée : 2h 38 min – Sortie en France : 27 février 2008