Un gosse, à peine un ado, vit dans une cité de banlieue. Il décrit la vie des habitants de sa tour, étage par étage. D’abord monsieur Stern qui ne veut pas payer la rénovation de l’ascenseur parce qu’il ne s’en sert pas mais qui, coup du sort, se retrouve paralysé après un accident de vélo d’appartement ; ce frimeur de Peter ; Catherine Mondial qui vient d’être abandonnée par son mari et qui par esprit de vengeance va faire le bonheur des petits gars du coin, dont Samuel, qui perdra son pucelage dans le local poubelle ; et Dédé par exemple, chez qui on est éboueur de père en fils et dont voici le portrait :
Dédé, c’était le type le plus gentil de la Terre. Il était serviable, généreux, disait toujours des trucs agréables aux gens, ne parlait jamais mal aux filles et faisait tout pour bien travailler en cours, bien qu’il était le plus mauvais à l’école. Et s’il était un peu plus con que les autres, c’était pas de sa faute. Fallait plutôt aller regarder du côté des mélanges dans sa famille. Parce que la mère et le père de Dédé, ils se ressemblaient comme deux gouttes d’eau, et la légende disait qu’ils étaient deux frère et sœur débiles qui n’avaient pas trouvé mieux qu’eux pour se marier. En tout cas, même si Dédé allait encore de temps en temps au collège, on savait bien qu’un de ces matins, on le verrait habillé en martien rejoindre ses frères autour du camion vert.
C’est sur ce ton là que Samuel Benchetrit, trente ans, entame son autobiographie : drôle sans être graveleux, vécu, souvent émouvant malgré la violence, la drogue, le racisme et tous les ingrédients traditionnels de la cité qui sont forcement présents mais sans être envahissants. Loin du témoignage du type « ma vie dans les cités », l’auteur nous montre l’autre face du quotidien, celle de ces gosses qui mentent, se tapent dessus et finalement se marrent bien, parce que y’a pas, c’est là qu’ils vivent.
Et sans être rabat-joie, le petit Bench est devenu grand, et philosophe : « A cette époque, il restait encore trois ou quatre étoiles visibles dans notre ciel de banlieue. Elles ont filé depuis.
Alors bien sûr, le style n’est celui de ces octogénaires qui se retournent sur une vie bien remplie, dont ils sont fiers et dont le récit va… éclairer le monde ? Donner à penser ? Édifier les jeunes générations ? Non. C’est plutôt une succession de scènes de vie dans le 9-4, comme une galerie de souvenirs identitaires et nostalgiques. Les anecdotes sont celles d’un sale gosse devenu grand mais qui n’a pas encore, loin de là, répondu à toutes les questions primordiales de la vie et qui doute encore, on le sent : « Je sais pas pour vous, mais moi des fois les femmes me foutent vraiment mal à l’aise. »
J’ai souri bien souvent à la lecture de ces souvenirs, je crois que j’ai même rigolé, grâce au récit du séjour des correspondants italiens par exemple. Ne boudez donc pas votre plaisir et lisez les mémoires d’un trentenaire.
Samuel Benchetrit sur Tête de lecture
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Chroniques de l’asphalte 1/5
Samuel Benchetrit
Julliard, 2005 (réédition Pocket)
ISBN : 2-260-01680-4 – 187 pages – 18 €