Les empreintes du diable de John Burnside

Les empreintes du diable« Voilà bien longtemps, à Coldhaven, petit port de pêche sur la côte est de l’Écosse, les gens s’éveillèrent un matin dans l’obscurité de la mi-décembre pour découvrir non seulement que leurs maisons étaient ensevelies sous une couche de neige épaisse et irréelle comme il ne s’en voit qu’une ou deux fois par génération, mais aussi qu’une chose étrange s’était produite pendant leur sommeil, une chose dont ils ne purent rendre compte qu’au moyen de rumeurs et d’histoires qu’en honnêtes croyants, ils avaient honte de colporter, des histoires évoquant le diable, ou les esprits, des histoires reconnaissant à contre-cœur la présence dans le monde d’une puissance cachée que, la plupart du temps, ils préféraient ignorer. »

Avec un tel début, on pourrait s’attendre à un roman fantastique comme la terre d’Écosse nous en a tant livré. Et pourtant, rien de plus terre à terre que la vie de Michael Gardiner, le narrateur, qui va dérouler l’écheveau de sa vie dans un flot âpre et ample comme cette première phrase le laisse pressentir. Rien de linéaire cependant, le lecteur suit les souvenirs du narrateur, qui se mêlent au passé proche et au présent de l’écriture.

Tout commence comme un fait divers affreux : Moira Birbie s’est suicidée en mettant le feu à sa voiture où se trouvaient aussi ses deux fils. Elle a étrangement laissé la vie sauve à sa fille aînée, Hazel, quatorze ans. Au village de Coldhaven, on dit Moira persuadée que son mari était le diable. Michael Gardiner, spectateur silencieux, se souvient qu’il a jadis connu Moira, qu’il a même été son amant, il y a quinze ans à peine… Se pourrait-il qu’il soit le père d’Hazel ?

Il déroule alors par bribes le flot de ses souvenirs, derrière lequel se dessine très lentement une communauté sordide, refermée sur elle-même. Enfant, le petit Michael fut le souffre-douleur de Malcolm Kennedy, frère aîné de Moira. Il a beaucoup supporté, jusqu’au point de rupture, jusqu’à la rencontre avec Mrs Collings, vieille prétendue folle, dont le mari avait eu pour maîtresse une femme qui mit au monde un enfant à deux têtes… Il prend alors une décision qu’il annonce froidement et dont l’accomplissement est inéluctable. Ce sont d’ailleurs les petites phrases qui font avancer le récit, des phrases courtes, innocentes, qui tout à coup redessinent l’histoire de cet homme sur un mode dramatique : « Je ne pensais pas qu’elle était en train de me tendre un piège », et le lecteur non plus ne le pensait pas, aussi l’intérêt reprend et le lecteur (qui s’est peut-être un peu perdu dans les multiples digressions des souvenirs et des phrases très longues) s’interroge : quel piège ? En fait, la vie de Michael Gardiner n’est que sous entendus, secrets et non dits. Quand devenu adulte, il a compris quel fut le calvaire de ses parents à Coldhaven, il connaît le poids du silence qui, ajouté à son propre silence de souffre-douleur, tisse une tragédie.

« La somme de leurs malveillances respectives dépassait largement toutes les mesquines insultes individuelles ». Ils sont comme ça les habitants de Coldhaven envers ceux qu’ils considèrent comme des étrangers et des intellectuels : lettres anonymes, rencontres menaçantes dans la rue, coups de téléphone malfaisants, boîte aux lettres enduite de déjections canines… De quoi réfléchir avant de s’installer en Écosse… John Burnside la décrit comme l’antre de la jalousie, de la xénophobie et de l’étroitesse de pensée. De cette population mesquine et alcoolique il n’attend plus rien, mais se promène en essayant « de ne pas déranger les oiseaux, de [s’] approcher sur la pointe des pieds sans leur faire peur, de façon à commencer d’apprendre ce qu’[il n’a] jamais pris la peine d’apprendre pendant toutes ces années passées sur la côté. » Les oiseaux plutôt que les hommes.

Les empreintes du diable

John Burnside traduit de l’anglais par Catherine Richard
Métailié, 2008
ISBN : 978-2-86424-636-7 – 217 pages – 18 €

Parution en Grande-Bretagne : 2006