Monsieur de Montespan, LE Montespan,… Voilà un nom auquel on ne peut pas penser sans sourire, le malheureux ! Et pourtant, le brave homme n’a vraiment pas mérité ça. C’est ce dont on se persuade à la lecture de ce roman, consacré à l’un des nombreux oubliés de l’Histoire.
Tout commence pourtant si bien : deux jeunes gens du même âge, qui se rencontrent, s’aiment et s’épousent, ça n’est pas si courant pour l’époque. Ils sont heureux, batifolent jour et nuit, et dépensent en cinq mois la rente annuelle de monsieur. C’est que madame aime les sorties et le grand monde et que son amoureux de mari ne peut rien lui refuser. Résultat : ils jouent chez eux au reversi avec des haricots en guise d’écus, s’éclairent à la chandelle de suif de mouton et se planquent pour échapper aux créanciers. Foin de la pauvreté, le marquis est heureux : « Je suis plus pauvre que jamais mais j’ai ton cou, tes bras lestes et frivoles et la caresse, nuit et jour, de ta parole. Je suis riche de tes yeux. Je ne vis qu’en ton essence. Je suis riche de tes baisers sans nombre, la seule opulence, crois-moi, et que me fait que le temps soit sombre s’il fait soleil chez nous. »
Qui ne saurait se satisfaire d’un tel amour ? Madame de Montespan bien entendu. Pendant vingt ans, elle va satisfaire tous les désirs de Louis XIV, lui donner moult enfants, et traîner son mari plus bas que terre quand celui-ci viendra clamer son infortune à la face du monde. Son infortune et son amour, car, nous démontre Jean Teulé, le Montespan a aimé son infidèle de femme jusqu’au tombeau, sans jamais faillir, faiblir ou renoncer à la récupérer. Avec obstination et courage, il a montré son mécontentement à Sa Majesté, par exemple en parant son carrosse repeint en noir (signe du deuil de son amour) d’une paire de bois de cerf on ne peut plus éloquente… C’est qu’à l’époque, « il faut avoir une marque du sang échauffé, le cerveau modelé d’une autre manière que le commun des hommes, pour oser, dans cette universelle ruée vers la servitude la plus rampante, élever la tête au-dessus des dos courbés et accuser l’idole en face. »
Il n’est donc jamais pitoyable ce personnage, ce cocu royal. Il est fier, attendrissant et profondément humain, le Montespan. Et surtout, il est amoureux de sa femme ! Il l’aime comme un amant, comme au premier jour, il l’aimera toute sa vie.
Ce n’est pas un rêve, mais un roman rempli d’anecdotes qu’on croirait inventées tant ce marquis a poussé vraiment loin la provocation envers le Roi Soleil.
Après le Moyen Age, le XIXeme siècle, on sent bien que Jean Teulé a pris du plaisir à s’immerger dans cette époque et dans cette langue, ô combien colorée. Cependant, si la lecture de ce roman est plaisante, elle n’est, à mon avis, pas inoubliable. D’une part, je n’accroche pas vraiment au style de l’auteur qui passe du raffiné au très vulgaire en l’espace de quelques lignes, pour faire sourire sans doute et qui donne naissance au qualificatif de truculent pour le décrire. Truculent certes, mais aussi vulgaire. D’autre part, Jean Teulé aime trop son Montespan. Du coup, le portrait de madame en devient vraiment trop chargé : la marquise qui laisse mourir sa fille de dépit, la marquise qui accomplit la fellation royale tous les jours à seize heures pipantes, la marquise se livrant à des messes noires avec égorgements de nourrissons. Que n’accepterait-elle pas, la misérable, pour rester là où elle est ? On a bien compris qu’elle ne mérite par l’amour d’un homme aussi généreux que Louis Henri de Pardaillan de Gondrin, marquis de Montespan.
Réhabilitation d’un homme formidable par un admirateur inconditionnel : même d’une seule teinte, le portrait est agréable à lire.
Jean Teulé sur ce blog.
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Le Montespan
Jean Teulé
Julliard, 2008
ISBN : 978-2-260-01723-3 – 333 pages – 20 €