Frederick Charles St John Vanderveld Montgomery se confie. Incarcéré pour meurtre, cet aristocrate désargenté décide de relater les raisons de son emprisonnement et ce faisant, de fournir un semblant d’explication à son crime.
Le lecteur sait rapidement qu’il a tué une femme, mais comme les circonstances de ce meurtre ne sont précisées que fort avant dans le livre, je n’en dirai rien. Sachez seulement qu’il est sauvage et sans pitié. Mais le but du narrateur n’est pas de se justifier, plutôt de se montrer dans sa gloire. Car il s’aime ce Freddie Montgomery, à peu près autant qu’on le déteste. Il aime mettre sa vie en scène, aussi banale soit-elle. « Nous étions – eh bien oui – nous étions des héros », dit-il de sa femme et de lui-même alors qu’ils séjournent dans les îles au milieu de la « racaille ». Cette même racaille à qui il doit de l’argent dépensé à ne rien faire. Forcé de rentrer en Irlande pour rembourser ses dettes, il sombre peu à peu dans l’alcool, la folie et enfin le meurtre.
Avant son forfait, il se sent supérieur aux communs des mortels, au-dessus des lois et de la morale. Ensuite, quand il erre avant d’être arrêté, il n’a de compassion qu’envers lui-même : « J’éprouvais, envers moi-même, une profonde et placide compassion, comme à l’égard d’une malheureuse créature errante, égarée. » En prison, il ne connaît pas le remords : « J’aurais pu feindre le regret, le chagrin, la culpabilité et je ne sais quoi, mais à quelle fin ? Quand bien même j’aurais éprouvé de tels sentiments, sincèrement, dans le tréfonds de mon cœur, est-ce que ça aurait changé quoi que ce soit ? » La seule chose qui l’émeuve, c’est son sort personnel et celui des autres prisonniers : « Ils sont si tristes, si vulnérables, ces voleurs, ces violeurs, ces bourreaux d’enfants. »
Je ne sais pas vous, mais ce texte résonne tout particulièrement aujourd’hui à mes oreilles. Nous sommes en plein procès Fourniret et je ne peux m’empêcher de rapprocher cette fiction du monstre bien réel qui joue son dernier numéro de vedette dans tous les médias en ce moment. Supérieurement intelligent, insensible à la souffrance, à la pitié, froid, cynique et méprisant, tout y est. Encore une citation : « J’avais espéré que les énormités dont je m’étais rendu coupable allaient au moins changer ma vie, qu’elles allaient avoir des répercussions, quand bien même horribles, qu’il allait se produire une cascade d’événements foudroyants, d’alertes, de peurs soudaines, et de fuites in extremis. » La mise en scène de soi prime même après son arrestation et ces lignes me rappellent les propos tenus par Fourniret à l’ouverture de son procès.
Je ne prétends pas comprendre un Fourniret à la lumière de ce texte (qui le pourrait d’ailleurs ?), mais Banville sait plonger le lecteur dans les méandres d’un cerveau malade, complètement mégalomane et égocentrique comme celui du tueur en série d’Auxerre. Grâce au monologue de cet aristocrate ruiné, le lecteur pénètre au cœur d’une folie singulière et fascinante. Comme en arriver là ? Á force de retour dans le passé, de souvenirs, le narrateur reconstruit le parcours d’un minable aux aspirations grandioses. Le lecteur le suit pas à pas, même si sa logorrhée tortueuse est loin d’être chronologique. Son verbe envoûtant, sa mégalomanie incroyable poussent à continuer malgré l’étouffement angoissant rapidement ressenti face à un tel individu. Le texte n’est donc pas aisément accessible, mais il est fascinant. S’il est par ailleurs le premier volume d’une trilogie, il se suffit à lui-même.
.
Le livre des aveux
John Banville traduit de l’anglais par Michèle Albaret
Actes Sud (Babel n°198), 1996
ISBN : 2-7427-0696-8 – 314 pages – 8 €
The Book of Evidence, parution en Grande-Bretagne : 1989