Angel d’Elizabeth Taylor

Angel d'Elizabeth TaylorVoici un personnage détestable que l’on aime dès la première rencontre. Adolescente, l’Angel d’Elizabeth Taylor méprisait déjà le monde, enfermée dans son orgueil et sa suffisance. L’épicerie familiale n’étant pas assez bien pour elle, elle s’invente une vie de rêve dont elle abreuve ses rares amies. Elle ne lit pas, non évidement, « elle n’avait jamais beaucoup aimé les livres car ils ne parlaient pas d’elle. » Puis elle se met à écrire des histoires qui font rire les critiques et se pâmer les midinettes edwardiennes. Son thème favori : « un destin tragique pour des êtres beaux et fiers. » Des aristocrates de pacotille, riches à en mourir, sans rapport aucun avec la réalité, peuplent ses fictions ampoulées, ses romans au kilomètre, qu’on imagine tous les mêmes. Mais ses livres se vendent très bien, sans gloire ni louanges : elle devient riche, bien que toujours aussi seule. Deux guerres successives, qu’elle traversera de loin, auront raison de sa fortune.

Alors pourquoi l’aime-t-on cette femme à la « vanité incommensurable et à l’amour propre démesuré » ? Parce que c’est une femme seule et entière. Une femme si sûre d’elle, de sa grandeur qu’elle paie ses créanciers avec ses livres dédicacés qu’ils lui renvoient immédiatement, mais elle a déjà effacé la note. Elle s’est inventée une vie qui n’a rien à voir avec la réalité car « l’expérience n’est qu’un pis aller aux libres jeux de l’imagination. » Je la trouve magnifique cette Angel parce qu’elle vit son rêve jusqu’au bout, parce qu’elle ne se laisse pas ébranler. C’est vrai qu’elle est un monstre d’égoïsme, qu’elle ne sait ni compatir ni s’attendrir, mais elle est entière et digne. Pas de compromis, pas de bassesses : elle est fidèle à elle-même. Contre la déprimante réalité du quotidien, elle a trouvé refuge dans l’imagination et dès lors, la réalité sera toujours plus décevante que la fiction. Car Angel n’est pas à sa place dans la société britannique du début du XXème siècle, elle aurait voulu vivre ailleurs, en un autre temps. Si la vie déçoit, pourquoi ne pas s’en tisser une autre de mots et de rêves. Ce choix la condamne à une solitude irréversible mais assumée.

Et puis Angel bouscule les codes et les modes : elle est extravagante, désobéissante, elle ne fait pas ce que l’on attend d’elle. Loin d’être une héroïne compassée, c’est une femme forte et énergique.

Alors même si Angel écrivait les livres à l’eau de rose que je ne lirai jamais, son destin, inspiré de « la plus célèbre Anglaise de son époque après son admiratrice, la reine Victoria », la romancière Marie Corelli, son destin est passionnant.

Angel d’Elizabeth Taylor a inspiré le cinéaste français François Ozon pour son film Angel sorti en 2007, avec Romola Garai, Sam Neill, Charlotte Rampling, Lucy Russell


Angel

Elizabeth Taylor (1912 – 1975) traduite de l’anglais par Tina Jolas
Payot & Rivages, 2007
ISBN : 978-2-7436-1656-4 – 365 pages – 9.50 €

Angel, parution en Grande-Bretagne : 1957