Et si Emma Bovary, avant de mourir, avait murmuré à l’oreille de son médecin : « Assassinée, pas suicidée ». Et si ces quelques mots ayant fait leur chemin, avaient déclenché une contre-enquête chargée de faire la lumière sur ce mystère. Et si Flaubert n’en avait rien su, ou avait travesti l’histoire telle qu’elle s’est réellement déroulée au printemps 1846 à Yonville-l’Abbaye, Seine Inférieure ?
Avec cette contre-enquête sur la mort d’Emma Bovary, Philippe Doumenc nous convie à un jeu littéraire qui a déjà fait ses preuves. Parmi mes meilleurs souvenirs citons L’autre voyage de Phileas Fogg de Philip José Farmer qui s’inscrit très intelligemment et avec beaucoup d’humour et de rocambolesque dans les blancs du Tour du monde en quatre-vingts jours. Plus récemment il y a eu aussi Qui a tué Roger Ackroyd ? de Pierre Bayard, érudit et réjouissant décorticage du meilleur roman d’Agatha Christie.
Je suis bien moins convaincue par l’essai de Philippe Doumenc, mais je me dois de préciser que ma lecture de Madame Bovary remonte à fort longtemps, une quinzaine d’année au moins. J’avais cependant l’intrigue et les personnages en tête avant ma lecture, et je suis allée piochée un résumé très complet sur Internet afin de me remettre en tête le déroulement chronologique des faits.
Même si Madame Bovary est une institution littéraire, ou quasi, il est je pense permis d’avoir une opinion sur son héroïne. Est-elle une bourgeoise qui s’ennuie ? Une mal baisée qui se languit ? Une dépressive suicidaire ? Pour moi, c’est une jeune femme qui se découvre destinée à une petite vie, qui la refuse et projette sur deux hommes ses légitimes espoirs de bonheur. Mais ces deux là sont des médiocres, chacun à leur façon et les trop grandes aspirations d’Emma noieront ses rêves mort-nés. Vison féminine ? Certainement. Philippe Doumenc ne voit pas du tout les choses de cette façon, libre à lui bien sûr, mais je n’adhère pas. Pour lui, Emma est une sorte de nymphomane inassouvie, une dévergondée irresponsable qui pour éponger ses dettes va jusqu’à se faire cet exécrable monsieur Homais, laid, suffisant, la médiocrité fait homme, la virilité mise en berne. Avec son bonnet grec et son visage « quelque peu marqué de petite vérole » et qui « n’exprimait rien que la satisfaction de soi-même », le pharmacien d’Yonville est l’antithèse même du rêve romanesque qui dévore Emma Bovary. Et Philippe Doumenc ne s’arrête pas là, il prête à la jeune femme bien d’autres aventures improbables et libidineuses conduites par sa seule vénalité et que je ne vous raconterai pas pour ne pas vous gâcher le plaisir, si vous en éprouvez à la lecture de ce roman.
Cette déception m’a certainement fait passer à côté des subtilités et trouvailles de ce court roman qui s’approprie des personnages, les fait évoluer pour tisser une autre trame, une autre Emma… qui n’est pas la mienne.
Contre-enquête sur la mort d’Emma Bovary
Philippe Doumenc
Actes Sud, 2007
ISBN : 978-2-7427-6820-2 – 186 pages – 18 €