« Dans la pièce, hébété, un vieil homme regarde le garçon. Son costume gris, trop court, l’étrangle au cou. Cou flasque et tanné, craquelé de rides qu’il voudrait effacer. Comme ce drame. Trop tard. Lui vit. L’autre est mort, dans sa librairie. A trois heures de l’après-midi. » Le vieil homme, c’est monsieur Combes, libraire du village de Morghor. Le mort c’est Théo, son commis, âgé d’une vingtaine d’années. Son commis et amant. Alors coupable Combles qui s’empresse de se débarrasser du corps en l’enterrant dans sa cave, de remplacer son commis par un autre bellâtre du même âge qu’il se plaît à contempler en silence ?
C’est avec beaucoup d’habileté que Stéphane Héaume invite le lecteur à découvrir l’étrange monsieur Combes. Un érudit certes, mais un érudit déçu, blasé : « Il s’était imaginé, en s’installant à Morghor, que sa librairie serait un monastère, que chaque ouvrage serait une bible et son bureau un autel ; il avait cru, assez naïvement, qu’il chanterait ses grand-messes d’érudit en solitaire, pour le seul orgueil de son savoir ; que dans chacun de ses livres il y aurait un peu de son saint sacrement, et que, les lisant bout à bout, il finirait par y trouver le Saint-Graal. Mais le temps avait passé qui l’avait conduit à déposer sa robe, lui, le curé défroqué de la littérature. » Et quel étrange comportement il a avec son nouveau commis : observateur jusqu’au vice ? Maniaque jusqu’à l’obsession ?
L’auteur nous emmène exactement où il a envie qu’on aille, jusqu’à l’émouvante révélation finale. Cette personnalité trouble s’obscurcit de ligne en ligne, desservie par des commères avides de scandale, trop heureuses de suspecter les moindres gestes d’un vieil ermite peu causant. Monsieur Combes est un esthète, elles comptent bien le lui faire payer.
Si l’intrigue n’était pas réussie, le style même de Stéphane Héaume suffirait à être un argument de lecture : c’est un vrai plaisir de lire cette écriture aussi précise que poétique, qui exprime aussi bien les sentiments qu’elle emberlificote le lecteur. J’ai pensé à Flaubert parfois, ou à Balzac, dans les descriptions de la petite vie de province, si mesquine, et l’acuité de la perception psychologique. C’est sombre et désenchanté, au bord de l’ironie et du mystère. C’est très beau : lisez ce livre !
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Le contemplateur
Stéphane Héaume
Anne Carrière, 2007
ISBN : 978-2-8433-7456-2 – 182 pages – 15 €