Enculée de Pierre Bisiou

Enculée« Rien comme enculer ne m’a jamais donné cette sensation de vertige, quand ma queue me semble littéralement pendre ou se perdre dans le cul pénétré bien au fond, une sensation de vide où bat le gland tandis que l’anus de la douce étrangle ma hampe. »

Voilà. Pour ceux et celles qui douteraient du contenu de ce livre malgré le titre explicite, le ton est donné grâce à ces premières phrases. D’aucuns les trouveront grossières, voire vulgaires, mais bon, c’est de sexe qu’il est question, de ce qui se fait dans ou sur un lit (ou ailleurs), avec les mots qu’il faut. Pierre Bisiou appelle un chat un chat et une chatte une chatte, c’est ainsi. Et comme le lecteur en prend pour cent cinquante pages d’une seule nuit d’amour, autant savoir à quoi s’attendre.

Sécrétions, sensations, positions : Pierre Bisiou décrit tout. Ça peut sembler clinique et pornographique, mais il a la pornographie joyeuse ce jeune auteur, joyeuse et parfois si triste. De ces béances ainsi décrites, il ne nous cache rien et pourtant, la faille est bien là, qu’aucun mot ne remplira jamais. « La philosophie, la sodomie, la peinture aussi, ce sont les activités du réel, celles de l’échec mais tout de même celles de la confrontation. » Être un homme, un costaud, un queutard, cela peut sembler si confortable aujourd’hui. Fantasmes de domination, de puissance, et pourtant tout est si fragile face à une femme. Aussi libre et enthousiaste soit-elle, aussi réceptive et ouverte, il restera toujours le sentiment de ne pas être à la hauteur. « Je ne bande pas comme les professionnels sur l’écran 16/9. […] Inutile avec une verge aussi fatiguée imaginer entreprendre dans l’immédiat une nouvelle exploration de ton tréfonds. » Les hommes, comme les femmes, doivent affronter des images, des icônes sociales et artistiques dont ils ne sortent pas grandis. Alors oui, « il faut aimer ce que l’on est, pas ce que l’on voudrait être, quand on est juste soi. »

D’où l’éternelle tristesse de la fugacité. « Et puis j’aimerais qu’il pleuve pour que le ciel prenne à sa charge mon envie de pleurer, […] Moi qui vis le sexe comme une noyade. » Comme c’est fragile un homme, un homme qui jouit pleinement et sait qu’il y aurait un après lui… Post coitum animal triste…

Parce qu’il sait la fragilité de l’amour physique, l’auteur parvient à mêler crudité et tendresse dans ces quelques pages aussi poétiques que provocantes. Tendres également, car le narrateur est un amant attentif, il aime sa jeune partenaire : il veut la satisfaire, aller aussi loin qu’elle le désire, et c’est très loin. Car si c’est lui qui agit, c’est elle qui mène la barque dans cet océan de sensations extrêmes. Elle attend beaucoup de lui ; il ne peut la décevoir mais en même temps, il craint de la perdre en allant trop loin : « Parfois je t’ai voulue plus perverse ; mais j’ai craint aussi de te perdre dans les méandres de pratiques ouvertement salopes. » Ce type-là est terrifié devant le désir féminin et la concrétisation de ses fantasmes n’y change rien : « J’ai la pleine conscience que plus nous évoluons vers le fantasme, plus je creuse un fossé entre nous. Se comblera-t-il après la nuit comme les songes savent nous laisser vivre au quotidien quand revient le jour ? » C’est beau, non ?

Être soi-même, écouter son corps, accepter ses fantasmes, oser les concrétiser. Puis les écrire avec autant de volupté et de crudité que la langue française le permet. Loin d’être un traité sur la sodomie, Enculée est un livre sur le plaisir sexuel, une apologie du bonheur de jouir avec son corps et malgré les préjugés et autres réticences sociales. Le narrateur n’est d’ailleurs pas un adepte de la première heure de cet « usage inversé, contrarié, contre nature ». Il y vient pour le plaisir de déflorer des régions où peu d’hommes s’aventurent, faute d’être convaincants… C’est que cette pratique-là est un art qui demande de la patience… et du doigté. Et une plume authentique dans le cas de Pierre Bisiou qui pour son premier roman nous offre un livre, certes provocant, mais qui restera dans les annales du genre…

 
Enculée

Pierre Bisiou
Stock, 2008
ISBN : 978-2-234-06170-5 – 156 pages – 15,50 €