Pourquoi ces crimes, demande-t-on à Gilles de Rais, « tueur d’enfants, pédéraste, sodomite, bête enragée » lors de son procès : « pour mon plaisir et ma délectation charnelle. »
Comme bien d’autres écrivains et historiens, Pierre Combescot est attiré par ce monstre. « Pourquoi ? Pourquoi ? Tout ce sang, ces têtes tranchées, ces membres amputés, pourquoi ? Quelle obligation du destin, quelle fatalité l’y pousse ? »
En romancier, il dessine quelques pistes, imagine les sentiments et pulsions qui ont pu agiter Gilles de Rais, le jeune homme puis l’adulte.
En cette époque de bruit et de fureur, s’il en est, les Anglais, les Bourguignons, les Armagnac mettent le pays à feu et à sang et « la Cour est devenue un repaire de brigands. » Amaury de Craon meurt à la bataille d’Azincourt. A la vue du cadavre de son oncle, le jeune Gilles de Rais fut-il envahi d’ « une sorte de volupté, un grand feu intérieur » ? Plus tard, à Chinon, fut-il « ébloui, troublé » par les divins charmes masculins de la Pucelle ? Se sent-il, à son contact « lavé de toutes les particules de péché qui lui collent à la peau » ?
Fait maréchal de France pour sa bravoure aux côtés de Jeanne, il abandonne pourtant bientôt la guerre pour une vie ostentatoire et dispendieuse. Il chasse comme une brute, parade avec brio et prie avec ferveur dans ses chapelles somptueuses. Rien n’est trop beau ni trop cher pour ses plaisirs pervers. Bientôt, de jeunes garçons disparaissent dans son sillage sans laisser de traces. Il aime éblouir et faire souffrir ; il se ruine consciencieusement. A sa perversité s’ajoutent bientôt, philtres, alambics et autres invocations sataniques. Mû par un appétit meurtrier insatiable, le Maréchal accumule les cadavres démembrés de jeunes garçons sur son passage. Ses ennemis en profitent pour fomenter sa chute, et c’est l’arrestation, l’heure des terribles bilans : « Cent quarante enfants auraient été sacrifiés pour le seul plaisir du Maréchal. » Pour échapper à la torture, Gilles de Rais avoue tous ses crimes, fournissant maint détails, une manne pour les romanciers. Il est pendu le 26 octobre 1440, implorant l’assistance de prier pour lui.
Pierre Combescot n’a pas percé le noir mystère Gilles de Rais mais a mis en scène une époque tumultueuse et brutale qui a engendré ses saints et ses monstres dans une même violence meurtrière. Roman historique, biographie et fiction pour un livre qui fait froid dans le dos, bien sûr, parce que Gilles de Rais, bien que monstrueux, fut un homme, un homme qui renvoie chacun à lui-même et à la nature humaine.
Pour mon plaisir et ma délectation charnelle
Pierre Combescot
Grasset, 2009
ISBN : 978-2-246-63101-9 – 188 pages – 13.90 €