De beaux lendemains de Russell Banks

De beaux lendemainsUne petite ville des États-Unis un jour d’hiver particulièrement froid. La conductrice du bus scolaire perd le contrôle de son véhicule et quatorze enfants sont tués. Pas elle, ni Nicole Burnell, jeune adolescente, et toutes deux racontent l’accident et la vie des habitants après. De même Billy Ansel, veuf, qui perd ses deux jumeaux et reste seul face à la douleur avec l’alcool pour seul compagnon. A ces trois voix s’ajoute celle de Mitchell Stephens, avocat new-yorkais qui veut que des responsables soient désignés, qu’il y ait procès. Pourquoi s’acharne-t-il ? Pour que ce genre de tragédie ne se renouvelle pas ? Pour qu’un responsable endosse la douleur ? Pour donner un nom au malheur, ce malheur qui s’acharne sur sa fille qui s’enfonce chaque jour un peu plus dans la drogue ?
Certains parents acceptent de se faire représenter par Stephens, alors que Billy Ansell ne veut pas de procès, surtout personne pour raviver la douleur et la laisser à vif. Ces quatre destins nous font entrer de plain-pied dans la vie de ce village, au coeur d’un drame terrible qui changea à tout jamais la vie de ses habitants, qu’ils aient ou non été victimes au premier plan. Et malgré l’intimité qui se tisse entre le lecteur et les personnages, Russell Banks ne donne pas dans le voyeurisme. Avec une étonnante économie de mots, il suggère plus qu’il n’impose les vies et moeurs parfois extrêmement troubles de tous ces gens.

De cette sobriété, Atom Egoyan tira un film (1997) qui ne l’est pas moins. Beaucoup plus complexe dans sa construction que le livre, il joue entre l’avant et l’après accident et donne à Michell Stephens (Ian Holm, le Bilbo de Peter Jackson) le rôle central. Son acharnement est particulièrement détestable : il représente ce besoin des Américains de faire procès de tout, même de la douleur. Il harcèle des parents bouleversés, cherchant à les convaincre qu’ils pourront gagner et être indemnisés pour la perte de leur enfant. Et pourtant lui-même est un père souffrant, qui ne peut rien pour sa fille, si ce n’est payer. L’ambiguïté fait tout l’intérêt du personnage qui aime et souffre de son impuissance. A la douleur de voir mourir son enfant répond parfois un acharnement qui canalise les émotions, leur donne un but, une raison d’être.
Banks et Egoyan parviennent tous deux à l’émotion sans aucune scène larmoyante, sans aucun pathos. On peut de ce fait trouver froids le livre comme le film que je qualifierais plutôt de sobres. Sobriété de style pour servir la dignité des personnages  fragiles, faibles ou déterminés, tout simplement et densément humains.

Russell Banks sur Tête de lecture 

 

De beaux lendemains

Russell Banks traduit de l’américain par Christine Le Boeuf
Actes Sud (Babel n°294), 1997
ISBN :978-2-7427-1444-5 – 326 pages – 8,50 €

The Sweet Hereafter, parution aux Etats-Unis : 1991