Orgueil et préjugés de Jane Austen

austen-1« C’est une vérité universellement reconnue qu’un célibataire pourvu d’une belle fortune doit avoir envie de se marier, et, si peu que l’on sache de son sentiment à cet égard, lorsqu’il arrive dans une nouvelle résidence, cette idée est si bien fixée dans l’esprit de ses voisins qu’ils le considèrent sur-le-champ comme la propriété légitime de l’une ou l’autre de leurs filles. » Et justement, Mr et Mrs. Bennet ont cinq filles à caser, rien de moins, alors ça serait pas mal que le beau, célibataire et riche Mr. Bingley en adopte épouse une. Jane, Elizabeth, Kitty, peu importe en fait, la foire est ouverte, suffit de se servir !
Et puis comme vous savez tou(te)s que mariages il y aura, pas la peine de ménager le suspens. La grande histoire, c’est le mariage, avec qui, quand, dans combien de temps. Combien de livres de rente est la question préliminaire à tout engagement, juste avant l’ancienneté de la famille et le nombre de voitures. Heureusement pour elles, les filles Bennet vont s’en sortir en imposant leurs sentiments et préférences, à force de patience ou sur un coup de tête, c’est selon.

Et pour ne pas vous infliger un énième résumé de ce roman tant plébiscité, je vous donnerai plutôt mes impressions moins littéraires que sociales. Car enfin, ce roman est avant tout une peinture extrêmement intéressante de la vie de familles plus ou moins riches de la bonne société anglaise au tournant des XVIIIe et XIXe siècles. Rien d’autres à faire pour ces jeunes filles que de se préoccuper de leur futur mariage, tout est là, le moindre geste, la moindre allusion tourne autour du futur mari. Consciemment, ces demoiselles se fabriquent un avenir d’ennui irréversible.
« …sans se faire une très haute idée des hommes, Charlotte Lucas avait toujours eu la vocation et le désir de se marier. Elle voyait dans le mariage la seule situation convenable pour une femme d’éducation distinguée et de fortune modeste, car, il mettait à l’abri des difficultés matérielles. » Mais elles avaient intérêt de se marier le plus tard possible, parce qu’après finie la rigolade : casée, mariée, plus de plans sur l’avenir, plus d’angoisse, le vide sidéral de la vie dans la bonne société.

Heureusement, Jane Austen manie l’humour à la perfection et ne manque pas de souligner les absurdités de certaines relations. J’aime beaucoup les conversations entre les époux Bennet, et le portrait de Sa Grâce est également particulièrement délectable.

Et Darcy, me direz-vous. Je vais ménager mes éloges au personnage pour lequel je n’ai pas eu le coup de coeur de certaines, pour vous toucher quelques mots d’une de ses incarnations à l’écran.

J’ai en effet regardé le film de Joe Wright juste après lecture. C’était, me semble-t-il, la première fois que je voyais un film avec Keira Knightley : elle est tout simplement adorable. Elle a une façon de sourire en fronçant le nez tout à fait irrésistible, j’en avais un mari tout retourné (eh oui, il a regardé ce film avec moi, de son plein gré et en est ressorti fort satisfait – je pense que le charme de Keira Knightley y est pour bien plus que celui de Jane Austen…). Mais alors Mr. Darcy, franchement, il est fade. D’abord, il a un grand nez, et en plein milieu de la figure en plus. Il a le charisme d’un âne ayant passé l’hiver au champ et son ultime apparition, manteau au vent, jaillissant du brouillard, la chemise ouverte sur un poitrail tout poilu, bof, j’ai déjà vu mieux.
Je n’ai bien sûr vu aucune autre adaptation de ce roman, je ne sais ce que valent les autres, mais comme c’est souvent le cas, j’ai trouvé que bien des épisodes étaient écourtés, même si le film dure plus de deux heures. Difficile de comprendre l’évolution d’Elizabeth, tout va si vite, en particulier la fuite de Lydia. J’ai été bien déçue par Mr. Collins que j’ai trouvé si prétentieusement ridicule dans le roman, l’excellent portrait d’un homme qui pour se faire une place en société est prêt à toutes les bassesses, malheureusement presque escamoté dans le film.
Bref, à part l’actrice principale, j’ai trouvé le film assez fade, même s’il permet de mieux entrevoir la grande différence sociale entre Elizabeth et Darcy (poussée même au-delà du crédible vu que les cochons vivent quasiment dans la maison des Bennet !).

La série BBC à présent. Sans aucun doute, la version en six épisodes est la durée qu’il faut pour adapter un tel texte : les événements sont tous rapportés, ils s’enchaînent logiquement et les personnages ont le temps nécessaire à leur évolution. Décors, costumes et réalisme social sont certainement dans cette série beaucoup plus près de ce qu’ils pouvaient être à l’époque de Jane Austen et c’est un grand avantage sur le film.
Mais alors les acteurs, là vraiment, j’ai eu du mal. Jennifer Ehle est fade, je la trouve inexpressive, mais ce n’est rien comparé à Jane (Sussanah Harker) qui est parfaitement tarte, je ne vois pas d’autre mot, et qui en cela s’accorde avec Bingley (Crispin Bonham Carter – un lien avec Mrs. Burton ?), qui porte un sourire niais d’un bout à l’autre. Elle est bonne, sage, patiente et tout ce qu’on voudra d’abnégation (elle me rappelle énormément Mélanie dans Autant en emporte le vent) et ça m’agace rapidement. J’ai trouvé convaincants les parents Bennet (avec un accessit particulier à Mr. Bennet (Benjamin Whitrow) dont décidément j’aime beaucoup l’humour) et Mr. Collins (David Bamber), qui est aussi onctueux et ridicule que dans le roman.
Je me sens un peu obligée de dire quelque chose de Mr.Darcy, mais je me désole d’avance de l’inimitié que mon avis ne manquera pas de provoquer… C’était la première fois que je voyais Colin Firth à l’écran et j’en attendais beaucoup, forcément. J’ai bien vu la chemise mouillée. J’ai admiré ses talents de cavalier (ah, galoper avec un chapeau haut de forme !). Et je crois bien que c’est tout : il est clair que je n’encombrerai pas le ban des fans…

L’année 2009 ayant été déclarée austenienne, me voilà satisfaite d’avoir apporté ma modeste contribution à la blogosphère ; j’ai apprécié ma lecture plus que je ne m’y attendais. L’histoire d’amour n’a guère séduit mon coeur endurci, mais je retiens particulière une peinture sociale sans concession et un humour tout à fait réjouissant.

 

Orgueil et préjugés

Jane Austen, traduite par V. Leconte & Ch. Pressoir
10/18, 1982
ISBN : 978-2-264-02382-7 – 379 pages – 7,40 €

Pride and Prejudice, parution en Grande Bretagne : 1813