Nul n’oubliera jamais le nom de Robert Badinter, ancien ministre de la Justice qui permit l’abolition de la peine de mort en France. Il a toute sa vie étudié la justice et aujourd’hui, il s’interroge sur « L’art, la représentation par l’artiste de ce que pour lui, libre de sa création, signifient le crime et son corollaire, le châtiment. »
L’exposition « Crime et châtiment » du musée d’Orsay nous fait d’abord traverser un couloir sombre dans lequel des toiles s’inspirant de la mythologie et de la Bible nous rappellent que la justice fut d’abord une question divine. Peu de tracas pour les meurtriers avant un hypothétique au-delà… Puis au bout du couloir (où les toiles sont relativement mal éclairées…), trônant sinistrement, une guillotine drapée d’un voile noir : c’est la justice humaine, aveugle, irréversible mais surtout parfois coupable.
C’est avec la Révolution française puis la Terreur que s’ouvre cette rétrospective de la justice assassine. Car c’est environ vingt mille personnes qui alors ont été guillotinées en France. Plusieurs tableaux mettent à l’honneur le crime emblématique de l’époque, celui de Charlotte Corday. D’autres portraits complètent plus loin la courte liste des célèbres femmes assassines : Salomé, Messaline, lady Macbeth… Coupables ou pas, les sorcières ou prétendues telles firent elles aussi les frais de la justice quand la rationalité et la science décidèrent d’en finir avec les pratiques ancestrales. J’ai sur le sujet découvert les dessins d’Alfred Kubin (1877-1959), peintre autrichien tout à fait intéressant à mes yeux, qui fit de la mort, du sexe, du monstre et de la folie les thèmes principaux de son œuvre.
L’exposition concerne pour une partie le traitement physique des prisonniers, à travers par exemple des eaux-fortes de Goya, des plans de prisons, des photos de la maison d’arrêt de Saint-Lazare. Bien des artistes ont représenté les instruments de justice (jusqu’à la chaise électrique d’Andy Warhol) et le fatal moment de l’exécution que ce soit par pendaison, décapitation ou garrottage. Plus terrible encore, les artistes ont aussi représenté des têtes coupées, en particulier celles de criminels connus comme Giuseppe Fieschi, accusé de l’attentat contre Louis-Philippe le 28 juillet 1835 dont on peut voir trois représentations différentes. Des amas de membres coupés aussi, autant d’études anatomiques (Études de pieds et de mains de Géricault par exemple).
Les gens de justice sont aussi représentés, sous la célèbre plume de Daumier qui apporte un peu de légèreté dans cette exposition.
Cependant, alors que le visiteur se divertit de ces amusantes caricatures, il est tout à coup écrasé, rappelé à la terrible évidence de la bêtise humaine par un monumental Christ en croix de plus de deux mètres (Le Christ en croix, Léon Bonnat), là, au milieu des avocaillons et des juges qui ne savent pas ce qu’ils font…
S’ouvre ensuite une passionnante rétrospective sur l’implication de la science. A partir du début du XIXe siècle, le criminel, et en particulier le tueur en série, est peu à peu assimilé à un fou ce qui implique qu’il peut être soigné (depuis la loi de 1810, le fou n’est plus coupable car irresponsable de ses actes). Avant, il doit être étudié et c’est donc ainsi que naissent toutes sortes de théories, de la physiognomonie à la phrénologie :
« L’instinct meurtrier ou carnassier est une force primitive innée, par conséquent une qualité fondamentale résultant d’une partie cérébrale particulière, placée immédiatement derrière les oreilles, chez la plupart des carnassiers omnivores.»
S’ouvre alors l’ère des aliénistes qui vont étudier, « soigner », en tout cas éviter la potence ou la guillotine à bien des fous.
La forme du corps humain en particulier du crâne devient objet de descriptions et de classements rationnels. C’est Alfred Bertillon, criminologue français qui va fonder en 1870 le premier laboratoire de police scientifique visant à l’identification des criminels. C’est alors la naissance des fiches anthropométriques, avec photos d’identité, des tableaux de classifications et de reconnaissance des divers types de criminels.
C’est dans cette section de l’exposition que l’on voit les images les plus pénibles à mes yeux, à savoir des photos de scènes de crimes. Et pour ne pas être en reste de morbide, l’homme a inventé le fait divers et la presse à sensation. Car le crime fait vendre et ce depuis la fin du XVIe siècle. Mais c’est avec l’arrivée de la presse à grand tirage que le récit de crime va triompher. Le taux de criminalité en croissance exponentielle dans les nouvelles grandes villes industrielles du XIXe siècle va faire les riches heures de bien des feuilles de chou comme Le Petit Journal et L’œil de la Police, très abondamment illustrés.
La littérature populaire profite aussi de cette mode sanglante, du côté des bandits avec Rocambole, mais plus sûrement du côté des enquêteurs avec Harry Dickson, Sherlock Holmes et autres fins limiers.
A l’image d’un Victor Hugo qui écrit mais aussi peint la misère humaine qui conduit au crime, bien des peintres représentent la pauvreté et l’ignorance à l’origine d’actes insensés.
Inscrite sous l’égide de Victor Hugo qui est partout grâce à des citations et des dessins, cette exposition est une réussite quant à son message, sa diversité et la qualité des oeuvres exposées. Elle est source de réflexion et d’indignation, elle tend aux visiteurs un miroir de la barbarie humaine toujours à l’oeuvre quelque part dans le monde. Barbarie de la justice qui assassine pour punir, barbarie des hommes qui tuent leurs semblables.
« Cette tête de l’homme du peuple cultivez-la, défrichez-la, arrosez-la, fécondez-la, éclairez-la, moralisez-la ; vous n’aurez pas besoin de la couper. » Victor Hugo
Crime et châtiment, sous la direction de Jean Clair et Robert Badinter, du 16 mars au 27 juin 2010
Catalogue de l’exposition publié par Gallimard, 49 €
Ah, zut, j’arrive le 28. J’aurais été bien curieuse de la voir, celle-là…
Ah oui, c’est rageant. Ce sera aussi trop tard pour « Turner et ses peintres » que j’ai aussi envie de voir, mais il y a aura encore l’expo Munch à la Pinacothèque qui doit être aussi très bien.
ça a l’air bien sympa dis donc !
Oui, je suis ravie d’avoir pu me faire une échappée parisienne pour voir cette expo.
J’ai aussi beaucoup envie de voir les expositions Munch et Turner mais malheureusement, on a mis Paris bien loin de chez moi…
J’irai la voir, c’est certain. Jean Clair est quand même un commissaire d’exception et je n’ai pas encore vu de ses expositions. Celle ci sera l’occasion rêvée.
Peu probable que j’aille à Paris avant la fin juin… tant pis, cela avait l’air très intéressant !
C’est parfois rageant de ne pas être parisien…
Une expo dont on entend beaucoup parler. Je pense que ça doit parfois faire froid dans le dos… ça me fait penser que j’avais acheter le texte de Badinter « L’abolition », il y a quelques années et que je ne l’ai jamais lu…
Oh oui, il y a des oeuvres qui font frémir, et des pratiques qui font se demander où est l’humain parfois dans l’homme…
Une expo que j’aimerais bien voir, avec une perspective originale et éclairante…
J’ai acheté le catalogue de l’exposition, extrêmement riche, qui explicite et poursuit bien des choses vues dans l’expo (impossible d’avoir un audio guide, ils n’en avaient pas assez !).
Tu étais toi aussi dans cette file d’insensés hier ??
Non, j’y suis allée la semaine dernière, mais la file était longue aussi, malgré la pluie !
J’ai failli y aller hier, mais la file d’attente devant Orsay m’a dissuadé. Mais j’essaierai à nouveau, en nocturne certainement.
Du coup, j’ai poussé jusqu’au musée Maillol pour voir l’exposition vanité, qui retrace, de manière antéchronologique et très riche, les représentations et les façons de concevoir la mort en peinture, à travers l’utilisation du thème du squelette et du crâne. Très bien faite, très instructive, elle vaut vraiment le détour (mais Turner doit être pas mal non plus 😉
Quelle chance vous avez vous autres franciliens. C’est la seule chose qui me fasse regretter d’être partie, car dans notre rurale province, c’est la misère culturelle…
Ben , tu sais, on peut habiter en région parisienne et ne pas avoir souvent l’occasion de profiter des expos 😦
La prochaine fois que j’en fais une, je te donne RDV !
Ca a l’air très intéressant !
Je ne sais pas si je me rendrais à Paris avant juin, mais si c’est le cas, j’irai la voir !
Si tu en as l’occasion il ne faut effectivement pas la manquer.
ça doit être une expo très intéressante.
Si tu es parisienne n’hésite surtout pas à en profiter.
Oh tu en parles si bien et de manière si complète que tu me mets l’eau à la bouche 😦
Oh oui, je suis désolée, tu es bien loin de notre capitale. Mais le catalogue vaut le coup aussi, on y apprend quantité de choses et les contributions sont à la fois claires et érudites.
Brrrr ça fait frissonner !!! Et moi, je me dis « Argh si proche de Paris et si peu de temps disponible ! »… 😐
Ah non, pas d’excuse : arrête de lire, arrête de travailler et file au musée d’Orsay 🙂
Merci. Très tenté mais je ne sais pas quand je retournerai à Paris.
Puisque pour aller quelque part en France il faut passer par Paris, je suis aller voir l’expo entre deux trains, ça a donc parfois du bon…
c’est dommage, j’étais sur paris récemment, et je n’ai pas pu aller voir cette expo. J’ai vu par contre Sainte Russie, au Louvre, que je te conseille!
Bon, je crois que je vais chercher quelqu’un pour m’héberger sur Paris…
J’y vais cet après midi !! 🙂
J’espère que tu nous donneras ton avis.
Zut, j’enrage d’être si loin, car cette exposition m’intéresse énormément… Brrrr ! Pourquoi ?!!!
Oui, c’est rageant, je suis comme toi, ça m’agace d’être si loin de tout ce qui est intéressant…
J’y vais en juin … turner me fait très envie mais je crains la foule … il y a aussi boticelli à caen !
Il y a toujours beaucoup de monde pour des expos telles que celle-là (ce qui est rassurant finalement) : j’y étais un après midi de semaine et j’ai trouvé que nous étions bien trop nombreux, même plus d’audio guides disponibles…
Jean Clair est un très grand commissaire d’expo, je vais aller voir celle-ci qui a l’air passionnante.
Je l’ai entendu lors d’une émission radio et cette expo est devenue incontournable à mes yeux…
Quelle expo originale !
Elle est originale et très riche. J’ai le catalogue là sur mon bureau et je n’ai pas fini d’y trouver mille choses intéressantes et de faire bien des découvertes.
Quelle chance tu as eu de voir cette expo. J’en avais entendu parler sur France Inter et j’etais frustree de ne pas pouvoir y aller. Merci pour ce resume et ces images.
C’est rageant d’entendre toujours du bien de manifestations parisiennes, ils ne se rendent pas compte qu’ils fabriquent des frustrés. Parce que Paris, c’est quand même loin pour beaucoup de monde… Il te reste l’excellent catalogue de l’exposition pour en profiter un peu quand même.
L’affluence dans les expos est incroyable et m’ôte à chaque fois le courage de m’y rendre… Mais là, ton billet m’a passionnée, d’ici fin juin, je devrais trouver un moment tout de même, surtout en semaine…
Merci pour cette très belle intro !!
C’est ragenant quand on y est qu’il y ait tant d’autres personnes, c’est vrai, on aimerait être seul. Mais c’est quand même réconfortant de voir que tant de gens se déplacent encore pour voir une expo. C’est pas que je sois pessimiste envers le genre humain, non, mais bon, ça me rassure finalement de voir tant de gens !
J’étais intriguée par l’expo et je trouve ton billet très intéressant. Je pense que je vais me décider d’ici le week-end prochain !
Si tu n’es pas loin, ça serait vraiment dommage de la rater. Il y a bien longtemps que je n’étais pas allée au musée d’Orsay, j’habite maintenant en province, les Parisiens ont bien de la chance…
Quel dommage ! Cette exposition est vraiment loin pour une toulousaine comme moi ! 🙂
J’aurais été intéressée car je suis une fervente admiratrice de Robert Badinter et Victor Hugo, du combat qu’ils ont mené pour nous offrir l’abolition de la peine de mort.
Je sais bien que c’est rageant de ne pas pouvoir aller voir toutes ces formidables expositions parisiennes, je suis très souvent bien frustrée moi aussi.
Oh, je suis bien contente, j’ai cherché ça et là, et je n’avais pas encore trouvé sur la blogosphère de billet sur cette exposition si marquante … C’est enfin chose faite !
Je vois aussi que je n’ai pas été la seule à craquer pour le catalogue d’exposition qui offre, en effet, plein de précisions utiles et intéressantes – je n’avais pas non plus d’audio-guide, et sans, ça manquait un peu d’explications, parfois, peut-être …
Fréneuse / Nibelheim
Je n’ai pas fini de tourner les pages de ce passionnant catalogue, mais je trouve dommage que le musée d’Orsay ne puisse pas fournir d’audio guide à tous ceux qui le désirent…
Cet expo a l’air très belle, j’essaierai d’y aller à mon retour à Paris!
Surtout ne la rate pas, elle est passionnante.
Cette exposition m’a beaucoup plu et je compte bien y retourner avant la fermeture. Joli billet!
Bonjour, votre billet est très bien fait et bien illustré.J’ai visité cette exposition que j’ai trouvé très bien faite avec de belles oeuvres bien présentées et une guillotine cachée par un rideau en tissu transparent.Des questions peuvent surgir et trouver réponses dans le gros catalogue mis à disposition.A bientôt.jocelyne ARTIGUE