Ça commence de façon assez étrange et on se demande bien où l’auteur veut nous emmener. On croit d’abord à un petit livre et on a tort car il y a là bien plus dans Quatrième étage que ce que le début pourrait laisser croire.
C’est d’abord l’histoire de Serge qui marche dans Bruxelles avec ses sacs de courses sous le bras et un pote à lui qui lui demande s’il croit à la chance. Et puis boum, voilà que le pote se fait faucher par un bus et se retrouve raide mort sur la chaussée. Attroupement, flics, interrogatoire. Et tout soudain, sans qu’on comprenne pourquoi, Serge vole la voiture des flics pour se rendre chez l’oncle de son pote afin de lui annoncer lui-même la mort de son neveu.
Au chapitre suivant, un vieux propriétaire avare monte au quatrième étage et vient demander à Thomas son loyer. Mais l’immeuble est en ruine et l’appartement est sous-loué, pièce par pièce, à des familles entières qui s’y entassent. Sauf dans la chambre. Parce que dans la chambre dort Marie, la femme de Thomas, et que Marie ne doit rien savoir de ce qui se passe. Marie est malade et Thomas lui fait croire que tout va bien, que les voisins sont bruyants et que l’immeuble est en travaux.
Et Serge arrive chez l’oncle qui l’envoie réparer une chasse d’eau au quatrième étage d’un immeuble. Il arrive dans l’appartement de Louise, absente, qu’il va fouiller méticuleusement. Et Thomas raconte à Marie des histoires pour l’endormir, parce qu’elle a besoin de beaucoup de sommeil. Pendant qu’elle dort, il sort pour trouver à manger dans un Bruxelles de fin du monde où règne la loi du plus fort et où les hommes ont perdu tout sentiment d’humanité.
Je ne suis encore jamais allée à Bruxelles et franchement, en lisant Nicolas Ancion, je me demande si c’est une bonne idée de le prévoir :
« Le centre de Bruxelles ne manque pas d’idées pour rapporter aux épouses, restées au pays, un cadeau digne de l’amour que les touristes leur portent : décapsuleur en forme de gosse qui pisse, tire-bouchon au même motif, porte-clefs itou, cuiller à café toute pareille, tasse, chope, verre à whisky, à moutarde, bavoir pour bambin, boîte aux lettres, presse-papiers, brosse à cabinet, statue de jardin, tapisserie pour salle de séjour. Pour ceux qui veulent donner dans le futurisme, on peut orienter son choix vers la même panoplie d’inutilités aux couleurs criardes de l’Europe : étoiles jaunes et fond bleu. Il faut ajouter dans cette gamme les parapluies, sacs à dos, paillassons et cadres pour plaques de bagnoles, on trouvera de quoi satisfaire les plus exigeants. Quant aux autre, ils peuvent encore offrir les échantillons de bière des moines, les moules en chocolat, le cornet de frites en marbre, l’Atomium de poche, la version écusson pour casquette, le roi et la reine en poster, en verre à dent, en brosse à habit. […] Il suffirait de remplacer le gosse qui pisse par une femme insipide sous un voile pour se croire à Lourdes.«
Le ton est là, à la fois drôle et triste, souvent poétique et décalé. On dirait un texte tout simple et pourtant, petit à petit, le lecteur est embarqué, voire même manipulé par un Nicolas Ancion qu’il n’a pas vu venir.
« La vérité, il n’y en a qu’une, elle est plate, linéaire, pas toujours banale mais souvent décevante. Le mensonge, lui, c’est le canif de la pensée : avec une multitude de lames, un cure-dent, un tire-bouchon. Si tu es prêt à mentir, l’horizon s’ouvre devant toi, tout est possible et rien n’est encore déterminé ; si tu te cantonnes à la vérité, tu es réduit à te retourner et à regarder la réalité en face pour la décrire le plus fidèlement possible. Et ça, il n’y a rien à faire, ce n’est pas mon truc.«
Menteur, Thomas doit l’être pour cacher la sordide réalité à Marie, et Serge va devoir le devenir, par la force des choses, pour réparer ses bourdes.
J’ai beaucoup aimé ce petit roman, son humour persistant, son ton léger alors que c’est une tragédie que nous dessine Nicolas Ancion. Ce n’est que peu à peu que le lecteur le comprend et ce n’est que peu à peu qu’affleure l’émotion, une fois qu’il est trop tard pour que celui qui ne voulait lire qu’une histoire belge, donc drôle de notre point de vue, referme le livre. C’est une très belle histoire d’amour, racontée sur un ton désinvolte et inapproprié, ça frôle parfois l’absurde parce que le monde est fou et c’est mille fois mieux que les romans d’Eric-Emmanuel Schmitt et on ne le sait pas, misère…
Le blog de l’auteur, profitez-en. Nicolas Ancion sur Tête de lecture
Quatrième étage
Nicolas Ancion
Pocket, 2010
978-2-266-18732-9 – 185 pages – 5,90 €
Celui-ci est encore dans ma PAL mais ton avis me donne bien envie de l’en sortir très vite!
Si tu es tentée de relire cet auteur, Manu et moi avons prévu « Ecrivain cherche place de concierge » en lecture commune pour le 1er mai 😉
PS : Et pour le gosse qui pisse, je confirme qu’il a son petit succès auprès des touristes ^^
Je vais à la Ville mardi prochain, si je trouve ce livre à la bib, je vous rejoins avec plaisir ! Vive la Belgique !
Aaaah? je croyais que l’auteur écrivait des nouvelles?
Je crois quand même que Bruxelles c’est autrement, mais bon, oui, le machin qui fait pipi…
Je pense qu’il a plusieurs recueils à son actif en effet, mais comme je ne sais pas bien lire les nouvelles, c’est bien qu’il donne aussi dans le roman.
Un auteur très surprenant c’est vrai!:)
Je ne m’attendais vraiment pas avec un tel début à ce que ce texte devienne aussi intimiste et émouvant.
je sais pas encore si je vais me laisser tenter… j’ai tant de livres à lire !
Mais il est tout petit celui-là !
Hum, je crois que ça me tente bien. Tu accepterais qu’il vienne chez moi ? Je n’habite qu’au premier étage, mais bon, personne n’est parfait.
Ce que tu en dis m’intrigue beaucoup et j’adore ton argument « schmittien ». Luttons pour faire connaître les auteurs belges !
(par contre, si quelqu’un d’autre veut le lire aussi, je peux attendre, je ne suis pas pressée du tout)
Si tu n’as pas changé d’adresse postale, c’est comme si c’était fait.
Que cette lecture ne te détourne pas d’un séjour à Bruxelles, c’est une très jolie ville. Comme dans toutes les villes touristiques européennes, on y trouve des kitcheries et des quartiers tristounets, mais cela ne doit pas devenir rédhibitoire.
En fait, si je me mets un peu sérieusement à la littérature belge, c’est que le séjour à Bruxelles est bel et bien prévu 🙂
PS : si tu as envie de pinter à Bruxelles, je suis là 😉
Promis, si je vais à Bruxelles, on s’y verra !
GENIAL :))))
pfff… j’ai honte… je connais un peu l’auteur (et il est vraiment très sympa) mais je ne me suis toujours pas plongée dans ses romans alors que j’en ai pourtant envie… :-s
il a failli faire l’objet de l’énigme de ce soir, puis je me suis dit qu’une fois que vous auriez trouvé la nationalité et la période d’édition, ça sera beaucoup trop facile… z’êtes trop forts !
C’est vrai qu’on peut voir Bruxelles comme ça, au vu de certaines boutiques mais bon, c’est bien plus que ça, heureusement ! Comme l’a dit Cynthia, on a bientôt prévu une LC, ce sera mon premier livre de cet auteur mais je sens qu’il va me plaire 🙂
de toute façon, je crois bien que c’est le lot de toutes les villes touristiques, nous avons nos Tours Eiffel en plastique…
Un beau petit roman, en effet, même si je préfère ses nouvelles ! Terrible et beau à la fois.
Je suis tellement emballée que j’irai peut-être même jusqu’à lire ses nouvelles, mais j’ai souvent du mal à en lire, aussi bonnes soient-elles…
Ton avis me donne envie de le lire !
J’ai acheté « L’homme qui valait 35 milliards » à la foire du livre de Bruxelles.
Vive les auteurs belges ^^
J’ai préféré commencer à le découvrir avec Quatrième étage parce que son dernier roman me semble plus tourné vers un fait d’actualité, ce qui me tente moins. Mais lis-le et donne-nous vite ton avis !
Dis, est-ce que je me fais des films ou est-ce qu’il y a vraiment un clin d’oeil à l’Ecume des jours ?
Il y a de ça oui, dans l’appartement qui rapetisse et dans la femme aimée malade (mais les gens qui n’ont pas lu le livre vont nous détester, là !)
Connais-tu Emmanuel François ? j’ai été séduite par cet auteur belge il y a peu.
Je viens de lire ça chez toi effectivement : encore un auteur de plus à noter.
François Emmanuel est bon mais pas du tout dans la même veine… Ses ouvrages sont plus contemplatifs, lyriques… Dans le genre belge barré, il y a Thomas Gunzig aussi. Je ne l’ai pas encore lu, il attend dans ma biblio 😉
ce livre à l’air bien étrange… j’aimerais bien lire d’autres avis dessus parce que je pense que nous ne sommes pas forcément charmé…
et rien à voir mais je t’ai taguée sur mon blog si le cœur t’en dis, bien sûr 😛 en plus, tu dois avoir des choses à dire pour celui-là vu l’état de ta PAL (mais je te laisse le découvrir, et je le répète, uniquement si tu en as envie)^^
Ce livre va faire un petit tour sur la blogo, tu auras peut-être l’occasion de lire d’autres billets.
Moi aussi, je veux bien que tu me le prêtes ! ^_^ Mais laisse-le se promener d’abord sinon il risque de rejoindre ma PAL prioritaire qui est juste énorme pour l’instant !
ok, son petit tour le fera passer par chez toi.
Ton billet est bien tentant !
Mais en ce moment je préfère m’abstenir de m’inscrire pour ce livre voyageur car ma pal atteint des niveaux inquiétants…
Mais y a-t-il des Belges dans ta PAL, hein ?
J’ai découvert cet auteur il y a peu avec « L’homme qui valait 35 milliards » et je me suis régalée. Je pensais en chercher très vite un autre de lui. Et je pense que ça sera donc celui-là car tu m’a donné envie avec ton article…
J’en suis ravie, j’espère qu’il te plaira tout autant.
le Manneken Pisse, de pis en pis! C’est comme les tours Eiffel à Paris, y ‘en a partout! Ce livre semble intéressant. Je vais voir à l’acheter, un Pocket ce n’est pas cher.
Les touristes, quel fléau 😉
Oh, le résumé est charmant ! Le côté déjanté a vraiment de quoi me tenter… Et tu as prévu un petit tour à Bruxelles alors ? Je monte à la fin du mois de mai, découvrir de nombreuses libraries (merci Cachou!!)
Ce n’est encore qu’un projet, mais j’espère qu’il va se réaliser, non pas pour le gosse qui fait pipi tout nu dans la rue, mais bien plutôt pour la bière, tout de même (me plaira-t-elle autant que la Guinness ? est-elle aussi généreusement servie ? combien pourrai-je en boire de suite tout en gardant l’air digne ? Autant de questions existentielles auxquelles j’ai hâte d’apporter une réponse !)
Oh je t’accompagnerai bien sur ces pérégrinations d’importance s’il en est !! On pourrait se faire une évaluation de nos g… de bois respectives à distance 😉
Ton billet m’intrigue beaucoup… Et ton commentaire sur Bruxelles me fait rire : j’y vais le mois prochain !
Toi aussi !? Mazette, c’est un haut lieu de rendrez-vous bloguesque on dirait !
« Le ton est là, à la fois drôle et triste, souvent poétique et décalé. On dirait un texte tout simple et pourtant, petit à petit, le lecteur est embarqué, voire même manipulé par un Nicolas Ancion qu’il n’a pas vu venir » : noté ! ça me semble pas mal du tout ! 😀
J’aime beaucoup être manipulée par mes lectures, vraiment beaucoup. Alors si toi aussi ça te plait, tu devrais apprécier ce petit livre-là.
Eh bien, voilà une lecture et des commentaires qui font rudement plaisir ! Il y en a du beau monde qui passe sur ce blog 🙂
Un grand merci pour cette note enthousiaste !
À une prochaine certainement 🙂
C’est moi qui vous remercie pour ces instants bruxellois fort agréables. Au plaisir de vous relire.
J’netends beaucoup parler de cet auteur, il faudrait que je m’y mette.
Il te plaira, j’en suis sûre !
toujours preneuse pour un humour léger et décalé … 🙂
Alors fonce, l’humour belge, ça fait toujours du bien
Un auteur de plus à découvrir.
A la lecture de ton billet j’ai pensé à « Good bye Lenine ». reste à le lire pour confirmer cette impression !!
Connais pas du tout…
Ah, les p’tits Belges, il n’y a que ça de vrai (ben quoi?)!
Contente qu’il t’ait plu. ^_^ Je l’ai donné à lire aux élèves, et pour l’instant j’ai de bons retours (ils ont encore 10 jours pour le lire, je n’ai pas eu tous les avis).
T’as vu, je fais pas semblant 😉
Ça m’a l’air plutôt original… je note !
C’est original, drôle et sensible : tu ne notes pas, tu soulignes 🙂
Voilà qui me tente carrément !! 😉
Alors succombe !
Je suis très tentée ! Un livre visiblement déroutant !Je veux bien qu’il fasse un arrêt chez moi si tu es ok !
Pas de problème, c’est noté, en 3e position.
Bon, bon, je suis faible : je succombe ! Et je puis t’assurer qu’il sera traité en invité de marque chez moi (si tu es ok, bien sûr)… 😉
C’est noté, aucun problème.
j’aime bien cet auteur et n’ai pas encore lu ce livre ci. Mais je viens de faire encore une bonne dizaine d’achats qui complètent ma PAL. Il faut que j’apprenne à rester concentrée sur ma PAL justement.
C’est bien d’être raisonnable… mais là quand même, tu passes à côté de quelque chose…
Pour Bruxelles, je pense que l’auteur a raison, ce n’est pas une très jolie ville. D’autres villes belges sont beaucoup plus jolies.
Je n’ai vu que Bruges, c’est très beau, mais je suis sûre que Bruxelles a son charme aussi !
Il a vraiment l’air magnifique. Je vais donc le noter mais pas te l’emprunter car ma pal est vraiment gigantesque…
C’est raisonnable, mais c’est dommage…
Je viens de le terminer, il m’a fait l’effet d’un coup de poing dans le ventre. Je laisse reposer un peu cette lecture, puis j’écrirais mon billet. En tout cas merci.
Sous ses airs légers, c’est en effet un texte vraiment fort.
Vous en parlez mieux que moi tout compte fait.
En lisant ce billet j’ai presque envie de le relire
L’écriture m’a un peu dérouté et je suis peut-être passé à-côté de quelque chose.
Enfin Bruxelles n’est pas tout à fait comme ça.
J’y ai habité plus d’un an, au quatrième étage précisément (sans ascenseur)
Il a un peu forcé le trait.. mais c’est justement ce qui rend le résultat intéressant, le ton décalé, un peu loufoque
C’est cette loufoquerie qui me plait. Le prochain que je lirai de cet auteur c’est Ecrivain cherche place de concierge, ça a l’air bien barré aussi…