Comme des ombres sur la terre de James Welch

James Welch1870, au bord de la rivière des Deux Médecines (Two Medicine River) dans le Montana, frontière avec le Canada. Les Pikunis, Indiens Pieds-Noirs (Blackfeet), et en particulier la bande des Mangeurs Solitaires vivent là comme leurs ancêtres avant eux, et les ancêtres de leurs ancêtres. Ils sont les Seigneurs des Plaines et pourtant, depuis plusieurs décennies, les choses ont changé. La présence des Napikwans se fait de plus en plus sentir, jusqu’à l’affrontement et la discorde au sein même de la tribu. Certains sont pour la lutte, d’autres pour la coopération, tant l’implantation de ces pillards venus de l’Est semble irrévocable.

« Il est bien que tu t’inquiètes, Chien de l’Homme Blanc, mais n’oublie pas que les Napikwans sont beaucoup plus nombreux que les Pikunis. A tout instant les pilleurs peuvent pénétrer dans nos villages et nous anéantir. On dit que déjà quantité de tribus à l’est ont été exterminées. Ces Napikwans sont différents de nous. Ils ne s’arrêteront pas avant d’avoir tué tous les Pikunis […]. C’est pour cette raison que nous devons les laisser en paix, et même leur céder une partie de nos territoires de chasse pour qu’ils y élèvent leus cornes-blanches. Si nous traitons sagement avec eux, nous pourrons en conserver assez pour nous et pour nos enfants. Ce n’est pas une solution agréable, mais c’est la seule.« 

La vie continue tant bien que mal chez les Mangeurs Solitaires. Chien de l’Homme Blanc et Cheval Rapide participent à un raid contre les Corbeaux et leur volent des dizaines de chevaux. Mais à cause de Cheval Rapide, Rein jaune est capturé pendant l’opération, torturé, et ses ennemis lui coupent tous les doigts. C’en est fini de sa vie de guerrier et de chasseur, de sa vie d’homme aussi peut-être. Pendant  sa détention, Chien de l’Homme Blanc  nourrit sa famille et se rapproche de sa fille aînée, Peinture rouge, qu’il va finalement épouser. Les Mangeurs Solitaires partent ensuite en guerre contre les Corbeaux pour venger Rein jaune, et Chien de l’Homme Blanc, ayant tué Bouclier Taureau, devient Trompe-le-Corbeau, acquérant de plus en plus d’importance au sein de la tribu. Il est de ceux qui vont aller négocier leur territoire avec les Napikwans.

Le roman d James Welch pourrait être sous-titré « chronique d’une mort annoncée » et il en a la saveur. C’est infiniment triste car le lecteur sait qu’il assiste aux derniers jours d’un peuple fier qui fut victime d’un terrible génocide. James Welch le fait pénétrer dans le quotidien de cette tribu des Mangeurs Solitaires où il assiste aux querelles, aux tromperies, aux rites, à la disparition des bisons et à tout ce qui fait la vie spirituelle et matérielle de cette poignée d’humains au bord du gouffre sans le savoir. Les scènes de chasse sont minutieusement décrites et la cérémonie de la Danse du Soleil prend vie sous la plume de James Welch.

On voit les Tuniques Bleues aussi qui peu à peu avancent, s’installent… pas que des salauds de pionniers violant et pillant (même s’ils sont majoritaires), il y a aussi des Hommes Médecine, de ceux qui essaient de faire bénéficier les Indiens des derniers progrès médicaux pour leur éviter de mourir comme des mouches. Mais c’est en vain, et les guerriers périssent sans combattre, et pire encore, sans comprendre pourquoi Ceux du Dessus les ont abandonnés. Tout s’effondre en effet puisqu’il est permis aux Blancs de massacrer femmes, enfants et vieillards au nom de quelque injuste vengeance qui n’est que prétexte à extermination.

Il y aura encore Little Big Horn en 1876, dernier sursaut de la résistance indienne, avant le massacre de Wounded Knee en 1890 qui signera la fin de la culture indienne telle que perpétrée depuis que Chef Soleil brille haut dans le ciel pour les Pieds Noirs, les Iroquois, les Algonquins… aujourd’hui parqués, imbibés et souvent méprisés. James Welch est lui même né dans la réserve de Browning en 1940. Il n’y a pourtant pas de haine dans ce texte, pas d’esprit de revanche ou d’envie de refaire l’Histoire. Il n’y a qu’un désir de replonger aux racines d’une culture moribonde et d’un pays multi ethnique qui s’est construit sur la loi du plus fort.

C’est un beau livre triste qui ne pourra que plaire à ceux qui s’intéressent à la culture indienne.

 
Comme des ombres sur la terre

James Welch traduit de l’anglais par Michel Lederer
Albin Michel (Terres d’Amérique), 2010
ISBN : 978-2-226-21503-1 – 394 pages – 22.50 €

Fools Crow, parution aux États-Unis : 1986

40 commentaires sur “Comme des ombres sur la terre de James Welch

    1. Quelle découverte pour moi que cet auteur, qui n’en était pas là à son premier livre. Merci encore de cette aimable proposition, et tu sais maintenant que tu peux avoir confiance en la poste canadienne !

  1. J’aime beaucoup la culture des indiens d’Amérique et leur histoire, je pense que ce titre pourrait me tenter. En plus généralement les romans de la collection « Terres d’Amérique » me plaisent beaucoup…

    1. J’ai découvert ce romancier chez Jules, mais il semblerait qu’il soit une référence en matière de littérature amérindienne. Je te l’aurais bien prêté mais je l’ai déjà passé à un lecteur de la bib…

  2. J’aime bien cette collection et tout particulièrement James Welch, je n’ai pas lu celui là qui était devenu indisponible c’est bien qu’il soit réédité
    j’ai lu « c’est un beau jour pour mourir » que j’avais trouvé passionnant

    1. Il a surtout un ton très triste parce qu’on voit ses gens qui font sacrifices de leur vie, de leurs terres en croyant qu’ils satisferont les Blancs, alors que nous, lecteurs, savons bien que tout ça est inutile.

  3. Je n’arrive pas à être tentée par ce genre d’histoire. Il faut dire qu’on nous en a gavés ici quand j’étais plus jeune alors j’ai eu une overdose. Du coup bon… je pense que je vais passer mon tour, malgré ton petit coeur, ce qui est digne de mention!

    1. J’imagine qu’on peut arriver à saturation, aussi important soit le sujet… Vous êtes aux premières loges, peut-être que dans la volonté de bien faire les pédagogues vont-ils trop loin dans la culpabilité et la répétition…

  4. Je me souviens de ce passage à quelques mots pres : » c’est un pays immense que l’oeil en un seul regard, ne peut embrasser … Partout des vallées verdoyantes, des lacs,des rivières ou l’on peut voir de la fumée s’échapper des tipis…  » enfin de mémoire il y a bien longtemps que je n’ai relu…

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